L’ivoirien Tidjane Thiam pourrait connaitre le sort du sénégalais Karim Wade

Tidjane Thiam voit sa candidature à la Présidentielle d’octobre prochaine contestée en raison de sa nationalité française qu’il vient, mais un peu tardivement, d’abandonner. Ce scénario  rappelle bien celui du Sénégalais Karim Wade, écarté de la course à la présidentielle en 2024 parcequ’il bénéficiait d’un double nationalité. Les débats  s’intensifient et gagnent les plus hautes instances du PDCI, le principal mouvement d’opposition ivoirien auquel appartient Tidjane Thiam.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè 

Rejoignez la nouvelle chaine Whatsapp de Mondafrique

Le vendredi 7 février 2025, après des semaines de rumeurs sur sa nationalité française, Tidjane Thiam a finalement décidé d’entamer la procédure de renonciation, précisant le lendemain devant ses militants de Yamoussoukro qu’il n’a fait l’objet d’aucune pression. Le dimanche 2 février, l’un des chroniqueurs de la Nouvelle Chaîne Ivoirienne (NCI), Arthur Banga, proche du pouvoir, avait pourtant déclenché une vague de colère au sein du parti en expliquant que le président Thiam était inéligible à huit mois de la présidentielle.

Syndrome Karim Wade

C’est une « coïncidence extraordinaire » a réagi Thiam pour qui « les médias ont déclenché une tempête sur la question de ma double nationalité en sachant très bien que je vais me présenter vendredi pour le dépôt de mon dossier ». Mais qu’il l’ait subie ou pas, cette procédure de renonciation relativement tardive affaiblit sa position en interne. Car de nombreux cadres au sein du parti n’avaient pas vraiment cru le chroniqueur.

Les doutes étaient plus permis qu’un scénario presque similaire s’était produit lors de la présidentielle de 2024 au Sénégal, pays voisin de la Côte d’Ivoire. Candidat désigné par le Parti démocratique sénégalais (PDS) Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, avait entamé la procédure de renonciation à sa nationalité française relativement tard.

Au moment du dépôt de sa candidature Karim Wade étant toujours français, le Conseil constitutionnel sénégalais avait invalidé son dossier au motif qu’il l’avait encore la double nationalité sénégalaise et française. Ce qui le disqualifiait, en vertu des dispositions de la loi électorale. Ils sont donc nombreux, y compris dans les rangs du PDCI, à redouter désormais le scénario sénégalais  se produise en Côte d’Ivoire, . Pour le PDCI, le scénario à la sénégalaise est d’autant plus dangereux que, faute d’avoir prévu un plan B, le PDS de Karim Wade n’avait pas avoir de candidat à la présidentielle. En revanche, le Parti des patriotes africains du Sénégal pour l’éthique, la fraternité et le travail (PASTEF), craignant la disqualification d’Ousmane Sonko à cause de sa condamnation à une peine de prison, a joué la carte Bassirou Diomaye Faye comme plan B. Une stratégie qui lui a permis de remporter la présidentielle.  

Attention aux signaux

Comparaison n’est pas raison, mais l’hypothèse d’un scénario à la sénégalaise ne laisse pas indifférent en Côte d’Ivoire. Par exemple l’avocat du parti, Me Chrysostome Blessy, député à l’Assemblée nationale, avait vitupéré M. Banga, l’accusant de vouloir décider de l’agenda du parti. Sa position confirmait sur ce point le narratif du PDCI selon lequel M. Thiam n’a pas de problème de nationalité et le porte-parole Soumaïla Brédoumy, l’a invariablement répété. En pure perte. Car désormais, des voix s’élèvent comme celle du vice-président chargé des grandes conférences, Gnamien Yao. Pour lui, il faut que « le parti soit attentif à tous les signaux, faibles ou non ».

Le PDCI doit organiser avant le mois de juillet une convention pour élire son candidat à l’élection présidentielle. Mais le pari est désormais suspendu à la décision des autorités françaises sur la demande de renonciation de Tidjane Thiam à sa nationalité française. D’autant que la nationalité française de l’ex-directeur général du Crédit Suisse n’est pas une nationalité de fait puisqu’il s’est fait naturaliser en 1981 lorsqu’il avait atteint ses 19 ans. Et dans un tel cas de figure, une fois libéré de sa nationalité française, Tidjane Thiam doit faire une demande de réintégration qui ne peut lui être accordée que par un décret du président de la République après enquête. 

Pas d’élection sans Gbagbo

Mais, il n’y a pas qu’au parti démocratique de Côte d’Ivoire que l’on retrouve de très fortes incertitudes. Des doutes persistent en effet aussi dans le camp du Rassemblement des Houpouëtistes pour la paix et la démocratie (RDPH, parti au pouvoir) où Alassane Ouattara s’est de nouveau enfermé dans le silence après avoir expliqué aux Ambassadeurs accrédités auprès de la Côte d’Ivoire, lors de la cérémonie des vœux du nouvel an 2025, qu’il a à la fois la santé et la volonté de continuer à servir son pays. A contrario, son meilleur ennemi Laurent Gbagbo a de nouveau mobilisé ses militants dans la commune de Marcory afin de faire pression sur la Commission électorale indépendante (CEI) qui ne l’a toujours pas inscrit sur la liste électorale en raison des démêlées judiciaires de l’ancien président.

Mais Laurent Gbagbo pose plusieurs conditions pour que la prochaine présidentielle soit apaisée. Et au nombre de celles-ci, son inscription apparaît comme une condition essentielle. D’ailleurs, faisant chorus avec lui, ses partisans n’ont pas hésité à menacer de paralyser le pays le jour du vote. C’est le cas d’Aline D. qui pense que « si Gbagbo n’est pas inscrit sur la liste électorale, il n’y aura pas d’élection ». Dans les rangs du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI),  c’est clairement la ligne de « Gbagbo ou rien ».

D’autres personnalités qui ont déjà annoncé leur candidature sont également dans la même situation que l’ancien président ivoirien. Il s’agit de son co-géôlier, Charles Blé Goudé qui avait pourtant adopté une position conciliante à son retour en Côte d’Ivoire. Mais ses constantes demandes d’amnistie qui lui auraient permis d’être candidat sont restées vaines.  L’ancien chef des patriotes sous la présidence de Laurent Gbagbo fait aussi l’objet d’une condamnation à 20 années de prison par contumace, tandis que son alter égo de la Fédération estudiantine et scolaire (FESCI) Guillaume Soro est toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt international qui lui interdit de rentrer en Côte d’Ivoire. L’ancien premier ministre a pourtant déclaré sa candidature, rendant ainsi le puzzle électoral difficile à lire.

La CEI attendue au tournant

Rien n’arrête en revanche le processus électoral. Dès mars, la Commission électorale indépendante doit publier les nouvelles listes électorales. S’ouvrira alors la phase des contentieux. Cette étape sera cruciale pour l’opposition qui dénonce des irrégularités sur les fichiers électoraux et exige, pour ce faire, l’audit de la liste électorale. Ce que refuse le gouvernement. Mais on saura également si le nom de l’ancien président figure sur la liste ou s’il est définitivement radié. Le cas de Tidjane Thiam fera également l’objet d’une attention soutenue, car en tant que ressortissant français, il n’a pas le droit d’être inscrit sur une liste électorale. Et s’il fait l’objet d’une radiation, ce serait alors le premier coup de tonnerre de cette pré-campagne électorale qui se déroule sous des auspices on ne peut plus difficiles à appréhender.