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L’Iran seul bénéficiaire du massacre de civils israéliens par le Hamas

Le principal conflit qui agite le Moyen Orient aujourd’hui, est un conflit intra-islamique qui oppose les arabes sunnites et les perses chiites. Israel est un pion (stratégique) entre deux puissances islamiques rivales, l’Iran et l’Arabie Saoudite.

Si l’on en croit de « hauts responsables du Hamas et du Hezbollah » cités par le Wall Street Journal du 8 octobre, « les responsables de la sécurité iranienne ont aidé à planifier l’attaque surprise du Hamas contre Israël samedi 7 octobre et ont donné leur feu vert à l’attaque lors d’une réunion à Beyrouth lundi dernier. Des officiers du Corps des Gardiens de la révolution islamique d’Iran ont travaillé avec le Hamas depuis août (2023) pour planifier les incursions aériennes, terrestres et maritimes – la violation la plus importante des frontières d’Israël depuis la guerre du Yom Kippour en 1973 ».

Une chronique de Caroline Bright

Aussi étrange que cela paraisse aujourd’hui, le conflit israélo-arabe a cessé d’être israélo et arabe ou israélo et palestinien. Le seul vrai conflit qui agite le Moyen Orient aujourd’hui, est un conflit intra-islamique, un conflit entre les arabes sunnites et les perses chiites. Un conflit entre l’Iran et l’Arabie Saoudite.

L’Iran et l’Arabie Saoudite incarnent deux projets islamiques aujourd’hui en compétition l’un contre l’autre. L’Arabie Saoudite, gardienne des lieux saints a entrepris de sortir d’une économie de rente et de s’adapter à une économie de la connaissance et post pétrolière. L’Iran chiite de son côté s’est lancé depuis les origines de la révolution islamique (1979) dans un projet de domination du Moyen Orient musulman.

Pour s’imposer aux arabes sunnites, les Perses et chiites que sont les Iraniens ont du construire un argument fédérateur, massif : la Palestine. Les Iraniens ont donc patiemment construit le Hezbollah, le Parti de Dieu, entièrement dédié à la destruction d’Israël. Puis, au gré des évènements, ils ont inféodé le Hamas et ont créé le Jihad islamique palestinien dans la bande de Gaza.

Par la suite, outre le Hezbollah au Liban, le Hamas et le Jihad Islamique à Gaza, diverses milices en Syrie et en Irak, et même les Houthis du Yémen sont aujourd’hui armées et financées par l’Iran. Toutes ont vocation à attaquer Israël plutôt ensemble que séparément. L’action menée par le Hamas contre Israel le 7 octobre au matin a bien pu être imaginée et organisée par les services iraniens. Une répétition générale? Le moyen d’éviter un éventuel rapprochement israélo-saoudien ?

Il était urgent pour l’Iran d’agir à travers l’une ou l’autre de ses milices car deux lignes de forces, l’une diplomatique et l’autre économique, étaient en passe de marginaliser l’Iran au Moyen Orient :

La première ligne de force susceptible de marginaliser l’Iran au Moyen Orient était le rapprochement militaro-diplomatique Arabie Saoudite – Israel. Les Etats du Golfe, de plus en plus effrayés par les menées déstabilisatrices de l’Iran, ont été incités à se rapprocher d’Israel. Déjà, les services secrets d’Israel et des Etats du Golfe coopéraient discrètement depuis plusieurs années. Les Accords d’Abraham signés en 2020 ont officialisé cette coopération avec quatre pays musulmans.

Pour les Iraniens (Perses et chiites), le ralliement de l’Arabie Saoudite aux Accords d’Abraham, c’est-à-dire l’émergence d’un Moyen Orient pacifié où Israel avait pleinement sa place, représentait un risque intolérable. Une stratégie de quarante ans, centrée sur la « cause palestinienne » et destinée à placer le Moyen Orient (arabe et sunnite) à la main du prédateur chiite risquait d’être brutalement oblitérée. Car, derrière la reconnaissance saoudo-israélienne, il y avait le risque de voir tous les pays musulmans reconnaitre Israel. Soit un revers intolérable pour l’Iran. Il fallait donc agir.

En lançant le 7 octobre, le Hamas et le Jihad Islamique Palestinien à l’assaut d’Israel – avec le succès que l’on sait -, les Iraniens ont réussi un triple coup : ils ont abîmé l’image de suprématie militaire d’Israel ; ils ont amoindri l’intérêt d’une alliance militaire entre les pays du Golfe et Israel ; ils ont replacé la « cause palestinienne », celle-là même que les Israéliens et les Saoudiens avaient entrepris de marginaliser, au centre du jeu.

La deuxième ligne de force susceptible de marginaliser l’Iran était économique: un projet de corridor économique reliant l’Inde, le Moyen-Orient et l’Europe risquait de marginaliser définitivement l’Iran au sein du Moyen Orient. Ce projet de corridor a été annoncé en grande pompe dans le courant du mois d’octobre par les Etats Unis, l’Union européenne, l’Arabie Saoudite, l’Inde.

Dans ce cadre, une ligne de chemin de fer devait être construite pour traverser l’Arabie Saoudite en entier, entrer en Jordanie, traverser Israel et acheminer des marchandises en provenance d’Asie jusqu’au port de Haïfa, ultime étape avant le transport par bateau vers la Grèce et donc l’Europe.  « Les États-Unis et leurs partenaires entendent relier les deux continents à des pôles commerciaux et faciliter le développement et l’exportation d’énergie propre ; poser des câbles sous-marins et relier les réseaux énergétiques et les lignes de télécommunication pour promouvoir un accès fiable à l’électricité ; permettre l’innovation dans les technologies avancées d’énergie propre ; et connecter les communautés à un internet sécurisé et stable. Tout le long du corridor, nous envisageons de stimuler le commerce et l’industrie manufacturière existants et de renforcer la sécurité alimentaire et les chaînes d’approvisionnement», pouvait on lire sur le communiqué du State Department.

Ce projet de corridor n’a de sens que si Israel est intégré à un Moyen Orient pacifié et en plein essor économique. Dans ce cas de figure, il devient illusoire pour l’Iran et les Palestiniens de s’opposer à Israel, car cela revient à casser un projet économique dans lequel de nombreux pays musulmans auront investi.

Il fallait donc casser Israel avant sa reconnaissance par l’Arabie Saoudite et plus encore avant l’émergence de ce corridor économique. Si l’Iran réussissait à prouver la vulnérabilité militaire d’Israel, les pays du Golfe ne seraient guère incités a monter des projets avec l’Etat hébreu.

Les Américains alliés objectifs

L’attaque victorieuse du Hamas contre Israel est également la conséquence directe des choix diplomatiques et militaires des Etats Unis au Moyen Orient. Depuis 2014 avec Barack Obama et depuis 2020 avec Joe Biden, les États-Unis ont mené une politique étrangère visant à renforcer l’Iran et à lui permettre de former une forte sphère d’influence dans la région ». C’est ce que les chercheurs Tony Badran et Michael Doran ont appelé « le réalignement », une vision d’un nouvel ordre mondial dans lequel l’Amérique ne considérait plus l’Iran comme un ennemi, mais travaillait à l’apprivoiser pour lui donner une place d’ « équilibre » au Moyen Orient face à Israel et cela afin que « cet équilibre des pouvoirs, plus stable, rende [le Moyen-Orient] moins important ».

« Rendre le Moyen Orient moins important », ces mots ne sont pas ceux de Badran et Doran ; ce sont ceux de Robert Malley, le principal négociateur de Barack Obama et de Joe Biden sur l’accord nucléaire iranien. Ils témoignent depuis la guerre en Irak de l’obsession des Etats Unis de ne plus se laisser embarquer dans une guerre aussi ruineuse en hommes et en matériel.

Biden lui-même, dans un article paru dans le Washington Post, a parlé d’un « Moyen-Orient intégré », utilisant cette expression pas moins de trois fois pour indiquer clairement que son administration avait l’intention de poursuivre l’engagement de son prédécesseur (Barack Obama) de considérer l’Iran, non comme un État ennemi mais comme un « partenaire ».

Résultat, l’Iran est un Etat du seuil nucléaire, capable de bâtir une bombe atomique en moins de deux semaines. Et il est acquis également que l’Iran dispose également de ressources financières confortables en raison de l’autorisation donnée par les Etats Unis aux ayatollahs d’exporter librement leur pétrole. En dépit des sanctions encore en vigueur imposées par Donald Trump, les exportations pétrolières de l’Iran ont pu passer de 400 000 barils/jour à 3 millions de barils/jour sous Joe Biden. Les Etats Unis ont également transféré à Téhéran six milliards de dollars d’argent gelé par ces mêmes sanctions contre la libération d’otages détenus arbitrairement par l’Iran.

Rappelons que la diplomatie démocrate n’a eu de cesse d’affaiblir ses alliés traditionnels, l’Arabie Saoudite et Israël. Joe Biden voulait faire du prince régnant Mohamed Ben Salmane, le leader d’un « Etat paria » en raison du meurtre du journaliste Jamal Kashoggi – les droits de l’homme avant l’alliance stratégique – et que l’administration Biden a travaillé à affaiblir Benjamin Netanyahou tout au long de la crise qui a profondément divisé Israel à propos de la réforme de la Cour Suprême.

Sur CNN, Joe Biden a qualifié le gouvernement de Netanyahu d’ «extrême » et n’a perdu aucune occasion de faire la leçon à son homologue israélien sur les « valeurs démocratiques ».  Dans la foulée, la diplomatie démocrate a considérablement aidé l’Iran a remettre la « cause palestinienne » sur la table en finançant à nouveau une Autorité Palestinienne discréditée et en cherchant à tout prix à rouvrir un consulat américain à Jérusalem-est pour les Palestiniens. 

Deux visions opposées

Le « vieux » Moyen Orient, celui de la cause palestinienne, va-t-il balayer le nouveau Moyen Orient, celui du développement économique conjoint d’Israel et du monde arabe. Les accords de libre-échange conclus en mars entre Israël et les Émirats, puis le mois dernier, entre Israel et Bahrein pèsent peu aujourd’hui face aux réactions de soutien de la « rue arabe » aux islamistes du Hamas. Les inévitables représailles israéliennes contre Gaza vont mobiliser la rue arabe et empêcher tout rapprochement de l’Arabie Saoudite avec Israel.

La position de retrait des saoudiens après l’incursion du Hamas est déja notable. Une déclaration publiée par le ministère des Affaires étrangères n’a pas condamné les attaques, mais a plutôt noté que les Saoudiens avaient depuis longtemps mis en garde contre « les dangers de l’explosion de la situation en raison de la poursuite de l’occupation, et de la privation du peuple palestinien de ses droits légitimes ».

Les Etats Unis vont-ils soutenir Israel dont la population est en état de choc? Ou bien vont-ils maintenir la ligne diplomatique qu’ils ont adopté depuis l’arrivée de Joe Biden au pouvoir? Compte tenu du formidable pragmatisme des Américains, du poids que pèse la prochaine échéance présidentielle et des divisions de l’administration à Washington, le sort du Moyen Orient est à l’heure qu’il est totalement incertain. 

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