L’impérialisme de Paul Kagamé en Afrique de lOuest

 Profitant de l’absence d’un leadership régional réel, le président rwandais Paul Kagamé a engagé une stratégie d’implantation forte et durable de son pays en Afrique de l’Ouest à travers un partenariat sécuritaire et militaire avec le Bénin ainsi que des accords économiques avec la Guinée-Conakry. 

« Nous ne nous interdisons rien » : une sorte de jubilation ressortait des propos du président béninois Patrice Talon qui recevait le 15 avril dernier à Cotonou son homologue rwandais Paul Kagamé en visite de travail au Bénin. Encadrement, coaching, formation, déploiement conjoint des troupes : « nous irons le plus loin possible si c’est nécessaire », a ajouté le président Talon dont le pays est confronté depuis plusieurs mois à une menace djihadiste venue du Sahel, à travers la frontière commune avec le Burkina Faso et le Niger, dans les parcs du W et de la Pendjari.  

Stratégie du « Package » 

Après une présence remarquée en Centrafrique où ses troupes assurent jusqu’à la sécurité personnelle du président Faustin Ange Touadera et au Mozambique où elles combattent la menace djihadiste à Cabo Delgado, le président Kagamé considère l’implantation de son pays en Afrique de l’Ouest comme une consécration de sa stature continentale, mais surtout comme un succès total de stratégie « d’aide package ». Celle-ci consiste à apporter l’expertise militaire et sécuritaire du Rwanda et à profiter en même temps pour faire du business sans aucune limitation dans les nouveaux territoires d’implantation. En Centrafrique, laboratoire de cette stratégie de package, les entreprises rwandaises font des affaires juteuses dans les marchés publics et les secteurs stratégiques des mines et des pierres précieuses. Outre les dividendes diplomatiques et politiques que le soutien militaire au Bénin va générer, Kagamé espère des retombées économiques de l’envoi de son armée au Bénin. Grâce à leur savoir-faire, les entreprises rwandaises pourront facilement gagner des parts de marché au Bénin dans les domaines des TIC, de l’agriculture, du commerce, du transport aérien et de la formation professionnelle et technique. « Il n’y aura pas de limite dans ce qui sera accomplie ensemble », a juré le président Talon. 

Défi à l’Union Africaine 

 Pourtant, c’est bien en Guinée-Conakry, troisième étape de sa tournée ouest-africaine, après le Bénin et la Guinée-Bissau, qu’apparaît très nettement la diplomatie « sans frontière et sans état d’âme » du Rwanda. Tant que ses intérêts peuvent y être défendus. Suspendue de l’Union africaine après le coup d’Etat du 5 septembre 2021, qui a renversé le président Alpha Condé, la Guinée est ostracisée par la CEDEAO, qui reproche à la junte dirigée par le colonel Mamadi Doumbouya de ne pas être pressé de rendre le pouvoir aux civils. Dans ce contexte de pressions et d’isolement diplomatique, l’arrivée du président Kagamé le 17 avril à Conakry a été perçue comme un soutien politique clair à la junte guinéenne, qui n’a d’ailleurs ménagé aucun effort pour en faire un événement exceptionnel. Après le tapis rouge et les fanfares, le président rwandais Paul Kagamé a inauguré à Conakry un pont de 117 mètres, avec deux rampes d’accès l’une de 200 mètres, l’autre de 185 mètres ainsi que quatre bretelles. Kagamé repart de Conakry avec neuf accords signés entre le Rwanda et la Guinée dans les domaines de l’agriculture, du numérique, des TIC, de la gouvernance locale, du développement durable et de l’industrie.   

Crise de leadership 

Kagamé profite de la crise de leadership qui frappe l’Afrique de l’Ouest pour faire avancer les pions du Rwanda dans une région, pourtant si éloignée géographiquement de Kigali. Naguère, « patron » incontesté de la sous-région, le Nigeria s’est replié sur lui-même pendant les deux mandats du président Buhari (2015-2023).  Ni la Côte d’Ivoire ni le Ghana, les deux autres poids lourds économiques de la sous-région, n’en ont profité pour prendre la place laissée vacante par le Nigeria. A cette crise de leadership s’ajoute le recul de la démocratie dans la sous-région. Avec une série de coups d’Etat (deux au Mali, deux au Burkina Faso, un en Guinée), mais aussi le recul des libertés individuelles et collectives, y compris au Sénégal, l’Afrique de l’Ouest ne peut plus opposer à Kagamé l’argument de la démocratie et du respect des libertés pour freiner ses ambitions ouest-africaine. Le président rwandais a bien conscience de la marge de progression dans la sous-région dont dispose son pays. Mieux que quiconque, il sait en effet que si l’envoi des troupes rwandaises au Bénin prouve son efficacité, « le remède rwandais » serait alors sollicité par les autres pays de la sous-région, ceux du Sahel, comme ceux du Golfe de Guinée, tous confrontés une menace terroriste prégnante. Il répondra ainsi oui mais en échange des opportunités d’affaires pour les entreprises rwandaises. 

1 COMMENTAIRE

  1. Bravo à Kagame…du moment qu’ils nous débarrasse des impérialistes occidentaux, à commencer par la France. Et où est le problème si le Rwanda fait des affaires avec des pays africains? Il fait les affaires avec ses frères non? Vous préféreriez que ça soit les français qui raflent tout comme d’habitude? Eh oui, il faudra vous y faire, les temps changent.

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