L’ex Président Mahamadou Issoufou, le poison de la transition au Niger

Parrain et fondateur du système de prédation généralisée qui a progressivement conduit le Niger à sa perte, l’ex président Issoufou semble narguer tout le monde : les citoyens, les activistes pro-junte et la junte elle-même, dont il démontre quotidiennement la profonde ambiguïté.

Boubou blanc, bonnet rouge, visage et débit monocorde inchangés, Mahamadou Issoufou se filme. A droite, à gauche, presque toujours à l’étranger, dans des circonstances plus ou moins officielles. A chaque fois, les réseaux sociaux du Niger s’embrasent, indignés par son activité floue voire parallèle. Ils se demandent pourquoi l’ancien Président bénéficie de la mansuétude du régime militaire qui affirme pourtant avoir renversé la table lors du coup d’Etat du 26 juillet 2023. 

Issoufou vedette de l’Africa CEO Forum

La photo de famille officielle postée par la présidence de Côte d'Ivoire
La photo de famille officielle postée par la présidence de Côte d’Ivoire

La toute dernière apparition d’Issoufou s’est faite à Abidjan, à l’occasion de l’Africa CEO Forum, une grand messe annuelle du business continental qui a réuni pendant deux jours, les 12 et 13 mai, 2000 participants politiques et hommes d’affaires. Dans son discours de bienvenue, Alassane Ouattara a salué mardi, juste après les chefs d’Etat en exercice ayant fait le déplacement, son «frère Issoufou.» On ne peut pas rater l’ex Président du Niger : c’est le seul en blanc dans un océan marine. Au premier rang du protocole, il trône, comme si rien n’avait changé. Comme s’il était toujours l’enfant chéri de la communauté internationale, qui a déversé pendant plus de douze ans des milliards d’aide empressée dont les Nigériens se demandent toujours à quoi elle a servi.

L’événement est co-organisé par Jeune Afrique Media Group et la Société Financière Internationale, une filiale de la Banque Mondiale. On ignore à quel titre l’ex Président a été invité : sans doute, en tant que champion de la Zone de Libre Echange continentale Africaine, la ZLECAF, éléphant blanc de l’Union africaine ou promesse de gros business à venir, un jour peut-être, quand la région ne subira plus les assauts sanglants des groupes armés djihadistes ; quand les pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), le Mali, le Burkina Faso et le Niger, auront regagné le lit douillet de la bureaucratie libérale ouest-africaine. Celle que les Occidentaux préfèrent.

Bain de foule et bureau d’or

Juste avant la rencontre officielle, il a été vu avec sa deuxième épouse, Malika, pendant un bain de foule joyeux de la diaspora nigérienne d’Abidjan, chose particulièrement curieuse quand on sait qu’Alassane Ouattara a offert aux parias du régime renversé un traitement VIP.  «Tranquillement tranquille», a écrit l’un de ses militants sur Facebook. On ne saurait mieux dire.

Avant cela encore voici huit jours, le grand homme s’est filmé dans son propre salon : un vaste espace vide blanc et or, sur une petite table et dans un fauteuil doré rococo, en train de participer à distance à une autre réunion. Cette fois, c’était le Forum Afrique pour l’Investissement et le Commerce, un événement organisé par le Centre arabo-africain d’investissement et de développement d’Alger. Dans son discours en visio, Issoufou remercie Abdelmadjid Tebboune, autre dirigeant avec lequel les dirigeants de l’AES entretiennent des relations tumultueuses. Il ajoute se féliciter de cet «Important événement», qui contribuera «à l’intégration africaine et à la prospérité du continent», «pour en faire un continent développé à l’horizon 2063.» Nous voilà rassurés ! Suivent plusieurs minutes de chiffres, de prévisions, de formules, d’éléments de langage usés jusqu’à l’os. On retiendra l’équité, l’abondance à venir, le développement promis à la fin des temps. C’est surréaliste. On se pince. Comment ose-t-il, lui qui a dirigé le pays le plus pauvre du monde pendant douze ans, sans rien changer à la misère et au désespoir de ses compatriotes ?

C’est difficile d’interpréter le comportement d’Issoufou. Sur les réseaux sociaux, certains rient. D’autres pleurent. Provocation ? Amnésie ? Mégalomanie ? Folie même ? On ne sait.

Un Président bis?

Curieusement, Issoufou reproduit, sous une autre forme, une posture qui a coûté cher à son successeur désigné de 2021 : celle de Président bis. Il est partout, comme un message subliminal. Comme si son ancien gardien, le général Abdourahamane Tiani, s’était glissé dans les chaussures de l’ancien compagnon socialiste retenu prisonnier depuis presque deux ans. Du temps de Mohamed Bazoum, les visiteurs étrangers faisaient toujours le crochet par le salon d’Issoufou, après leurs entretiens officiels avec le Président en exercice. Comme si c’était lui qui détenait le vrai pouvoir. Et certains observateurs confirment que c’était bien le cas. Les nominations et les marchés se décrochaient chez Issoufou, à quelques centaines de mètres à peine du Palais présidentiel. Bazoum était un Président de papier. Et tout le monde, au Niger, le savait. Tiani serait donc le nouveau Bazoum, en version militaire, faisant mine de gouverner à l’abri du Palais présidentiel dont il ne sort que rarement, laissant les cérémonies officielles et le vrai pouvoir à son ancien patron ?

Mais alors, que penser de la dialectique officielle du régime, de ses ruptures diplomatiques, de son affirmation patriotique et refondatrice, de ses promesses de vertus nouvelles ? Tout cela ne serait-ce que double jeu cynique ? Et pour le profit de qui ?  C’est à la junte que la question est posée. Issoufou, lui, n’a pas changé d’un pouce.

Il aime toujours les honneurs, le protocole, l’or. Il aime l’influence ou ses attributs. Les affaires, bien sûr. Les récompenses : à Alger, il a reçu un prix d’honneur. Pour, dit son thuriféraire, «sa gouvernance empreinte de rigueur, de vision et de patriotisme qui a permis au Niger d’amorcer une transformation profonde.» On se pince encore. Car ce n’est pas seulement Issoufou qui est cynique, ce sont bien ses protecteurs étrangers. On se souvient du prix Mo Ibrahim 2020, qui a récompensé le leadership démocratique du président, avec ses cinq millions de dollars de dot. 

Un nouveau point de chute?

Avec le départ en février du Tchadien Moussa Faki Mahamat de la présidence de la Commission de l’Union africaine, Issoufou a perdu l’un de ses grands protecteurs de l’ombre. Mais il s’est trouvé un nouveau point de chute à l’étranger. Depuis la page de sa Fondation (qui porte, naturellement, son nom), l’ancien Président a annoncé, le 14 avril dernier, qu’il rejoignait le Conseil Stratégique pour les Politiques de Paix et de développement au sein du Nordic Center for Conflict Transformation (NCCT). Après enquête, il s’agit d’une organisation peu connue basée en Suède, avec un bureau régional à Tanger.

Son fondateur et directeur est un bi-national suédo-marocain, Noufal Abboud. Les activités de l’association sont peu détaillées sur son site web. Mais ce qu’on en voit est centré sur le Maroc, autour de la prévention de l’extrémisme violent, de l’appui judiciaire et politique, et de l’éducation. Tous domaines dans lesquels le bilan de Mahamadou Issoufou est calamiteux.  On se demande si ces nouvelles fonctions ne sont pas seulement une couverture.

L’ambiguïté du régime se traduit aussi à d’autres détails. Comme le passage, le 24 avril, par le salon d’honneur de l’aéroport, de Mamane Sani Mahamadou Issoufou dit Abba, l’ancien ministre du Pétrole de Mohamed Bazoum et fils du cacique socialiste, récemment libéré de prison. Il partait en voyage en Turquie, l’une des bases arrières de la famille avec Dubaï.

Mais les opposants et adversaires d’Issoufou ne désarment pas, même s’ils soutiennent souvent les nouvelles autorités précisément en raison du renversement du système socialiste. Mardi, le Mouvement des jeunes patriotes engagés pour la Justice sociale et la Refondation a demandé  des poursuites pour haute trahison contre l’ex Président pour son rôle dans divers marchés suspects ou avortés, dont celui du chemin de fer Bolloré, et ils affirment qu’il n’est pas «un non justiciable» du pays.