Les Ebrié qui ont joué un rôle clé dans la création d’Abidjan et qui à ce titre bénéficient de prérogatives politiques au sein de l’organisation de la capitale ivoirienne, appellent à la démission du ministre-gouverneur, Cissé Bacongo qui n’appartient pas à leur communauté. Lequel vient de remplacer Robert Beugré Mambé, qui appartient, lui, à la communauté Ebrié, qui vient d’être promu Premier ministre.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
Malgré l’étonnante promotion de Beugré Mambé comme Premier ministre d’Alassane Ouattara, son remplacement à la tête du District d’Abidjan par Cissé Bacongo, originaire du nord de la Côte d’Ivoire comme le président ivoirien, ne passe toujours pas. L’association des 61 villages où vivent la communauté des Ebriés et qui composent une partie de la ville d’Abidjan a appelé, de nouveau, à la démission du ministre-gouverneur en le regardant, cette fois, droit dans les yeux, lors d’une rencontre dans la salle de l’hôtel du District. « L’association des 61 villages Ebriés réclame votre démission parce que nous n’avons pas été consultés », a indiqué la présidente, tout en se débarquant de toute « xénophobie » et de toute référence au concept dangereux d' »ivoirité ».
Les quartiers populaires rasés
Cette prise à partie même si elle n’a aucune chance d’aboutir constitue une tension de plus pour M. Bacongo qui cristallise déjà la colère de millions d’Ivoiriens en raison de ses méthodes et de la violence avec laquelle ses équipes conduisent l’opération de déguerpissement des quartiers précaires et populaires. Son activisme touche même des zones habitables dont les propriétaires disposent des titres fonciers.
Depuis sa nomination, des dizaines de quartiers ont été rasés, tandis que leurs occupants jetés à la rue sans ménagement et n’ont bénéficié d’aucun dédommagement de la part de l’Etat.
Tous les maires d’Abidjan ont donc été des cadres Ebriés. Du moins, jusqu’à la nomination de Cissé Bacongo le 23 décembre 2023 à la tète du District d’Abidjan.
La colère de la communauté Ebrié est surtout dictée par la règle d’exclusivité qui prévalait depuis l’indépendance en 1960 en matière de gestion de la Ville d’Abidjan devenue depuis 2000 le District Autonome d’Abidjan. Puisque les Atchans ont cédé leurs terres à l’Etat pour la construction de la capitale ivoirienne, ils ont obtenu, en retour, une série de compensations dont celle de diriger cette ville d’Abidjan qui s’appelle désormais le District d’Abidjan et qui, pour cette raison, n’est jamais mis au vote.
Le prix du silence
Ce qui a provoqué un énorme tollé. Pour calmer les esprits, le concerné a reçu le 8 mars 2024 les chefs Atchans. Il leur a promis la construction d’un siège des chefs du District et a nommé en leur sein trois conseillers spéciaux. Cette corruption active rondement menée s’est faite au grand jour puisque le même jour, le président Ouattara a promis à chacun un véhicule de type 4X4. Et même s’il n’a pas été question de numéraire, de nombreuses rumeurs ont notamment circulé au sujet de millions qui auraient été distribués aux chefs Atchans pour obtenir leur silence.
Toujours est qu’à l’issue de la rencontre, le porte-parole des chefs Atchans, Alain Jean-François d’Assise, visiblement conquis, a dit soutenir le président et son ministre gouverneur. « Nous attachons, comme vous, du prix au développement d’Abidjan », avait-il dit à Cissé Bacongo. Il ne s’attendait sûrement pas à cet incroyable rebondissement qui met en scène la colère des populations Ebrié qu’Alassane Ouattara tente de convaincre de rejoindre le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix, (RHDP), son parti politique.