L’Etat islamique trace sa route du Mali vers le Nigeria via le Niger

 L’Etat islamique au Sahel (EIS), anciennement l’État islamique au Grand Sahara (EIGS)(1), un des deux mouvements terroristes présents dans le Sahel, a pour la première fois, implanté une base au Niger, à douze kilomètres à l’ouest d’Ezza près de la frontière malienne dans la région de Tillabéri. 

La Région de Tillabéri s'étend en partie sur le parc National du W du Niger
La Région de Tillabéri s’étend en partie sur le parc National du W du Niger

L’axe stratégique désormais vital pour l’EIS relie la région très enclavée des trois frontières Niger-Mali-Burkina Fas, le Gourma, avec le Nigéria, en traversant la frontière entre le Niger et son voisin du sud dans la région de Birni’n Konni.

Selon les sources de Mondafrique spécialistes de l’EIS, l’émir de la nouvelle katiba installée au Niger serait un Peul nigérien, Saadou Korsinga, dont le grand frère, Namata Korsinga, commande les opérations militaires du dernier né de la galaxie terroriste au Sahel: le groupe nigérian Lakurawa, implanté dans le nord-ouest du géant d’Afrique de l’Ouest. 

Le groupe Lakurawa, dont les contours font encore débat, a été déclaré terroriste par les autorités du Nigeria  en novembre 2024. Selon John Sunday Ojo, post-doctorant à l’Institut de sécurité et des affaires mondiales à l’université de Leiden aux Pays-Bas, le groupe a d’abord été actif à la frontière avec le Niger, après son apparition dans un contexte d’insécurité criminelle locale autour de 2017. D’après ce chercheur, les combattants de Lakurawa se revendiquent du djihad (2). Le groupe serait né en réponse à une demande des leaders communautaires traditionnels de Sokoto confrontés au banditisme armé et cherchant une protection contre rétribution.

Depuis, le groupe Lakurawa s’est installé dans les Etats de Sokoto et Kebbi, où il a instauré une stricte application de la charia tout en se livrant à des enlèvements contre rançon et des vols de bétail.

Des Peuls nigériens à la manoeuvre

À la tète des djihadistes de Lakurawa, Namata Korsinga, dont le nom de guerre est Farouk, est originaire de la commune d’Abala Filingue, le berceau du général Abderahmane Tiani qui préside aux destinées du Niger. Le commandant en chef de de l’Etat islamique au Sahel, Perodji Dioulde, dit Katab, qui coiffe à la fois le nouveau mouvement nigérian et la base apparue au Niger, est un Peul originaire d’Inkarfane, toujours dans la même zone. Ce dernier supervise toutes les opérations à la frontière du Mali et du Niger, jusqu’à Tillia, plus au nord, et Konni, au sud, à la frontière entre le Niger et le Nigeria

La nouvelle emprise au Niger devrait servir de tête de pont entre l’Etat islamique et Lakurawa. Le ravitaillement depuis Menaka, le berceau de l’EIS au Mali où la France avait installé une base militaire, à partir de Sokoto dans le nord-ouest du Nigeria en sera facilité. Les liens de parenté entre des commandants des deux organisations semblent confirmer l’appartenance de Lakurawa à la nébuleuse de l’Etat islamique, longtemps discutée par les spécialistes.

L'État du Sakoto, porte d'entée de l'État Islamique au Nigeria
L’État du Sakoto, porte d’entée de l’État Islamique au Nigeria

C’est dans le cadre de cette offensive générale qu’il faut comprendre les attaques de grande ampleur menées récemment par l’Etat islamique contre les deux grandes bases militaires nigériennes de la zone (dans les deux régions frontalières de l’ouest, Tahoua et Tillabéri) susceptibles de les gêner dans leurs déplacements vers Tillia (région de Tahoua), le 25 mai 2025, et vers Banibangou (région de Tillabéri), le 19 juin 2025. Plusieurs dizaines de soldats nigériens ont péri dans ces deux attaques, qui ont mobilisé des centaines d’hommes. Sanam, où est située la nouvelle katiba, forme un triangle avec ces deux villes.

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Le groupe constitue une menace pour la frontière Nigéria, Niger, Bénin déjà sous la pression des katibas d’Al Qaida.

(1) L’État islamique au Grand Sahara (EIGS) est devenu officiellement l’État islamique au Sahel lors de la reconnaissance par l’État islamique de la région comme une « wilayat » (province) distincte sous le nom de Wilayat al-Sahel. Ce changement de dénomination s’est opéré en 2022, lorsque le groupe a cessé de revendiquer ses attaques sous l’appellation EIGS ou comme simple sous-branche de l’État islamique en Afrique de l’Ouest, pour adopter le label officiel de « province du Sahel » (Wilayat al-Sahel).

(2) Voir un article de mars 2025 intitulé «cartographier l’ennemi, mobiliser l’avenir : stratégies de surveillance et de recrutement du groupe terroriste Lakurawa au Nigéria» (publié par le Global Network on Extremism and Technologie, GNET

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