Pour les Nigériens, c’est une étrange et désagréable sensation de déjà-vu. L’ancien Président du Niger, discrédité à l’international pour son rôle supposé dans le coup d’Etat contre son dauphin et ami de trente ans, l’actuel patron de la junte militaire qui fut le chef de la garde présidentielle, enchaîne les déplacements diplomatiques à l’étranger et continue d’entacher la crédibilité du régime en place.
Si Mahamadou Issoufou, prudent, ne s’exprime plus au Niger sur ses canaux officiels, ses voyages sont rapportés sur les réseaux sociaux par ses partisans enthousiastes, qui profitent du silence des autorités pour prêter à leur héros un rôle international éminent « au service de l’Afrique et du Niger. » Ceux qui, à l’opposé, nourrissent à son encontre une rancune tenace, s’insurgent contre ces déplacements financés par le contribuable et reprochent sa complaisance au général Abderahmane Tiani au pouvoir.
Il y a une semaine, le Sénégalais Bassirou Diomaye Faye a accordé une audience à son aîné au palais présidentiel, suivie d’une courte et vague interview aux médias locaux du Nigérien, plein d’humilité envers son cadet, se disant très occupé par les questions de sécurité dans la région. « Le @PR_Diomaye a reçu ce mardi Mahamadou Issoufou, ancien président du Niger. M. Issoufou, actuellement président du Panel Indépendant de Haut Niveau sur la Sécurité et le Développement au Sahel, a discuté avec le chef de l’État des questions de sécurité dans la sous-région », écrit sobrement le communiqué de la Présidence sénégalaise.
Pourtant, une source onusienne en Afrique de l’Ouest a dit à Mondafrique que le Panel de Haut Niveau sur le Sahel est abandonné, même s’il n’est pas officiellement dissout. Nul ne semble d’ailleurs, à New York, avoir désormais la moindre stratégie pour le Sahel, secoué par les coups d’Etat et l’implosion des institutions régionales.
Il n’est pas exclu non plus que Mahamadou Issoufou se fasse ouvrir les portes en jouant sur l’ambigüité de ses responsabilités, la courtoisie diplomatique faisant le reste. En effet, sur les images tournées au Sénégal en compagnie de Diomaye Faye et du Premier ministre Ousmane Sonko, on voit que l’ancien Président est accompagné de son conseiller spécial chargé du dossier de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAF), dont Mahamadou Issoufou était le champion pour l’Union africaine.
C’est au titre de la ZLECAF que le natif de Tahoua a d’ailleurs fait son premier voyage hors du Niger en février dernier, invité par le président de la Commission de l’Union africaine Moussa Faki, qui lui aurait, dit-on, mis un jet à disposition. C’est toujours au titre de la ZLECAF qu’il participera à Kigali, à un autre événement financier international, du 9 au 11 octobre. Des photos du Président rwandais souriant aux côtés de Mahamadou Issoufou, prises en d’autres temps, refont surface.
L’utile et l’agréable
Le 12 juin dernier, Mahamadou Issoufou, l’ancien Président du Niger, a quitté Niame, pour les Bahamas, a-t-il annoncé sur son compte facebook officiel. Il y participera aux Assemblées annuelles de la banque panafricaine Afreximbank « en sa qualité de Champion de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECaf) ».
L’ancien Président, auquel les partisans de son successeur et héritier socialiste Mohamed Bazoum, reprochent de l’avoir trahi par le coup d’Etat du 26 juillet, rappelle dans son post qu’il « participe régulièrement aux Assemblées d’Afreximbank qui finance la ZLECaf à hauteur de 10 milliards. » Parlant de lui à la troisième personne, Mahamadou Issoufou précise s’être rendu pour la même occasion à Accra en 2021 et 2023.
Cette campagne de communication semble avoir pour but de desserrer l’étau autour d’Issoufou en lui prêtant un rôle diplomatique actif et une influence politique souterraine au Niger. Car la situation de l’ancien Président reste critique.
Issoufou, la bête noire
Son fils Abba, ancien ministre du Pétrole arrêté dans la foulée du coup d’Etat, est toujours détenu à la prison de Filingué. C’est là qu’avait été emprisonné avant lui la bête noire d’Issoufou, Hama Amadou, alors principal candidat de l’opposition à la présidentielle. Les soutiens de Hama dans la capitale mais aussi les nombreuses victimes du régime socialiste réclament bruyamment des enquêtes et des poursuites contre Issoufou, perçu comme le véritable parrain du système de prédation et d’intimidation qui a régné pendant douze ans sur le Niger. Malgré sa rouerie et ses intrigues, le roi est nu, quels que soient les efforts qu’il déploie pour le cacher.