En dépit de ce qu’ont bien voulu montrer, le 19 avril dernier, les ministres de la défense de Côte d’Ivoire et son collègue du Burkina Faso, les relations entre les deux pays ne sont pas bonnes. C’est le capitaine Ibrahim Traoré, le chef de la transition burkinabè qui le dit lui-même. Avec une tonalité qui rappelle bien l’impertinence d’un certain Thomas Sankara à l’égard d’Houphouët-Boigny, le vieux sage de la françafrique.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
L’histoire se répète donc entre les deux pays. 31 ans après la mort d’Houphouët-Boigny et 37 ans après celle du capitaine Thomas Sankara, assassiné puis enterré sommairement près de Ouagadougou, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso se détestent à nouveau après une accalmie qui a duré le temps du long règne de Blaise Compaoré qui vit d’ailleurs ses vieux jours en Côte d’Ivoire depuis son évincement du pouvoir, le 31 octobre 2014.
Comme naguère, Alassane Ouattara et Ibrahim Traoré qui revendiquent, chacun, l’héritage des deux anciens chefs de l’Etat, multiplient eux aussi les propos désobligeants, l’un envers l’autre, malgré un semblant de détente qui avait fait le tour des fils d’information, le 19 avril dernier, à l’occasion de la rencontre des ministres de la défense des deux pays, unis le temps d’une journée par la lutte contre le terrorisme.
Les graves accusations du président burkinabè
Mais la grande interview du chef de l’Etat burkinabè accordée à la télévision nationale, il y a quelques jours seulement, a plutôt rappelé la gravité du différend opposant les deux hommes et, par-delà eux, les deux pays. Celui-ci se nourrit avant tout du même soupçon d’une base-arrière de déstabilisation de l’autre côté de la frontière. Et à ce jeu de soupçon, le burkinabè est plus disert puisque le capitaine Ibrahim Traoré accuse ouvertement la Côte d’Ivoire d’abriter une base arrière terroriste comme son pays le fit autrefois contre son voisin ivoirien, regrette-t-il. « Ce comportement n’est pas bien. Le Burkina Faso a connu ça. Les terroristes ont habité ici. Mais qu’est-ce que cela a donné ? », se demande le dirigeant burkinabè pour qui il reste beaucoup de travail pour apaiser les relations avec son voisin.
La Côte d’Ivoire compte entre 5 et 6 millions de burkinabè selon le recensement de 2020. Mais cette relation de bon voisinage n’a pas toujours été stable. Dans les années 2000, la Côte d’Ivoire a été accusée de promouvoir l’ivoirité en réaction aux ambitions politiques d’Alassane Ouattara qui fut le seul premier ministre nommé par Houphouët-Boigny en dépit de ses origines burkinabè. M. Ouattara a en effet été vice-gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), un poste dédié au Burkina Faso avant de devenir gouverneur de cette banque centrale à un poste détenu par la Côte d’Ivoire.
Alassane Ouattara, un drôle de démocrate
Les relations entre Abidjan et Ouagadougou se sont re-normalisées après le 11 avril 2011, à la chute de Laurent Gbagbo poussé vers la sortie par l’armée française. Mais en octobre 2019, Blaise Compaoré est à son tour renversé au grand dam du président ivoirien qui lui a donné la nationalité ivoirienne pour empêcher son extradition vers son pays. D’autres coups d’Etat ont suivi dans le pays, accueillis parfois avec mansuétude par Abidjan. Alassane Ouattara a cependant condamné le renversement du lieutenant-colonel Sandaogo Damiba lequel, malgré son statut de putschiste, avait été accueilli à Abidjan lors d’une visite d’Etat.
Le président ivoirien s’érige en défenseur de la démocratie dans la sous-région après qu’il ait été lui-même porté au pouvoir par une rébellion armée. Alassane Ouattara fut aussi le fer de lance d’une Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (C edeao) décidée à ramener au pouvoir par les armes l’ancien président nigérien Mohamed Bazoum renversée par sa garde rapprochée. Depuis, de nombreux incidents ont opposé les deux pays à leurs frontières. Deux gendarmes ivoiriens ont été arrêtés le 19 septembre 2023 et sont détenus depuis à Ouagadougou, tandis que deux autres militaires burkinabè dont un VDP entrés illégalement dans le marché de Dantou, dans le département de Téhini en Côte d’Ivoire avec des fusils d’assaut ont été également arrêtés le 27 mars et sont détenus.
Des médias ivoiriens anti-CNT ?
En revanche, le chef de la transition burkinabè décrit le dernier incident à la frontière ivoirienne comme un repli de terroristes hébergés en Côte d’Ivoire. « Je suivais moi-même l’opération. Nos militaires n’étaient pas obligés de s’arrêter à 50 m pour regarder les terroristes s’enfuir au-delà du fleuve (en Côte d’Ivoire, ndlr). Ils auraient pu leur envoyer des roquettes mais ils ne l’ont pas fait par discipline », a dénoncé le capitaine Ibrahim Traoré. Qui accuse également la Côte d’Ivoire d’abriter « tous les déstabilisateurs » du Burkina Faso. A commencer par les médias ivoiriens. « Sur les plateaux télé, je ne crois pas qu’il y ait une chaîne où on insulte autant les autorités d’un autre pays ; ça se fait là-bas (en Côte d’Ivoire, ndlr). A un moment, il faut arrêter d’être hypocrite. Donc, il y a un problème avec les autorités de ce pays », a affirmé le chef de l’Etat burkinabè.
Dans les années 80, le ton du jeune capitaine Thomas Sankara qui se plaignait également, à son époque, de déstabilisation de la part du pouvoir d’Abidjan avait la même impertinence aux yeux d’un Houphouët-Boigny dont l’aura internationale était incontestable. L’histoire va-t-elle se terminer de la même façon ?