Les juntes militaires s’imposent durablement en Afrique de l’Ouest

Après avoir suspendu le Burkina Faso, la Guinée et le Mali de ses rangs pour changements politiques non constitutionnels, l’organisation sous-régionale, la CEDEAO,  n’arrive pas à arracher aux militaires installés au pouvoir à Ouagadougou, Conakry et Bamako des agendas de retour des civils au pouvoir. La crainte d’une « Afrique de l’Ouest des colonels » s’installe dans les esprits.  

Une chronique de Francis Sahel

Ce n’est pas tant l’annonce le 10 mars du report sine die du référendum constitutionnel au Mali qui a surpris, mais l’absence de réaction ferme de la part de la part de la communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le profil bas de l’organisation sous-régionale a été accueilli avec d’autant plus de surprise que le report du référendum va avoir un éffet domino sur les autres échéances électorales et rendre ainsi impossible le retour au pouvoir des civils en février 2024, suivant le chronogramme convenu avec la CEDEAO.  

Derrière cette discrétion, se cache la grande peine de la sous-région à infléchir les militaires maliens dont l’agenda du moment n’est pas très clairement le retour d’un régime civil au pouvoir à Bamako. Pour beaucoup, l’organisation sous-régionale a été trahie par les colonels maliens.

Le Sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO

Mali, aucune transition programmée 

En juillet dernier, le Sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO avaient décidé à Accra, au Ghana, de lever les lourdes sanctions contre le Mali (incluant la fermeture des frontières terrestres et aériennes) en échange d’un nouveau calendrier de la transition présenté par les militaires maliens. Celui-ci prévoit l’organisation d’un référendum constitutionnel et de six scrutins dont la présidentielle en février 2024. Mais depuis la levée des sanctions, le colonel Assimi Goïta et ses compagnons n’ont manifesté aucune volonté de respecter le calendrier de la transition qu’ils ont eux-mêmes soumis à l’organisation sous-régionale qui se trouve désormais dos au mur. Soit elle s’accommode de la situation délibérément créée par le pouvoir militaire de Bamako, soit elle décide de rétablir les sanctions. Dans les deux cas, le pari est risqué. Les militaires maliens et leurs partisans avaient réussi à présenter les sanctions de la CEDEAO, restées en vigueur entre janvier et juillet 2022, comme la volonté maladroite de quelques chefs d’Etat ouest-africains « à la solde de la France » de punir le peuple malien engagé dans la « lutte pour la souveraineté nationale ». L’argument avait séduit une bonne partie de l’opinion ouest-africaine.  

 Toutefois, si elle prend acte de son impuissance et laisse les colonels maliens faire à leur guise, la CEDEAO n’aura plus l’autorité nécessaire pour arracher un calendrier de transition au lieutenant-colonel Mamadou Doumbouya qui a pris le pouvoir en septembre 2021 à Conakry, en renversant le président Alpha Condé. 

Le « de Gaulle guinéen »   

Alors qu’il déclarait les premiers jours de son coup d’Etat avoir agi pour sauver la Guinée, comme l’avait fait le général de Gaulle pour la France, le lieutenant-colonel Doumbouya multiplie des actes qui attestent de sa volonté de confisquer le pouvoir. En dépit des pressions insistances de la rue et de la communauté internationale, les militaires au pouvoir à Conakry n’ont toujours pas annoncé de calendrier de transition. Ils ont contraint à l’exil les principaux leaders politiques Cellou Dalein Diallo de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et Sidya Touré de l’Union des forces républicaines (UFR) et placé dans leur collimateur des acteurs de la société civile, particulièrement les animateurs du Front national pour la défense de la constitution (FNDC).   Trois dirigeants du front, Ibrahim Diallo, Oumar Sylla et Mamadou Billoh Bah sont toujours incarcérés à la prison centrale de Conakry. Sur la base du rapport de l’ancien président béninois Yayi Boni, médiateur de la CEDEAO pour la Guinée, l’organisation sous-régionale avait décidé en septembre 2022 d’imposer des sanctions progressives à la junte militaire guinéenne. Toutefois, le lieutenant-colonel Doumbouya, ex caporal chef de la Légion étrangère française, n’a manifesté aucun signe d’infléchissement.  Le « de Gaulle guinéen » maintient sa volonté d’une période de transition d’au moins trois ans au terme de laquelle il ne prend pas l’engagement de ne pas être candidat. Il s’est rapproché des militaires maliens et burkinabé pour former un front de refus du « diktat » de la communauté internationale. 

Des militaires burkinabé habiles 

A la différence de leurs homologues de la Guinée et du Mali, les militaires burkinabé ne sont pas dans une posture de confrontation avec la CEDEAO. Ils se la jouent de manière plus subtile. Après le coup d’Etat de septembre 2022, qui a renversé le président Paul Henri Sandaogo Damiba, lui-même tombeur de son prédécesseur Roch Marc Christian Kaboré, le nouvel homme fort de Ouagadougou Ibrahim Traoré s’est engagé à respecter l’agenda de la transition convenu avec la CEDEAO. Celui-ci prévoyait le retour des civils au pouvoir en juillet 2024, au terme d’une transition de 24 mois incluant les huit mois déjà effectués par le lieutenant-colonel Damiba. Sauf amélioration spectaculaire de la situation sécuritaire dans le pays (ce qui paraît peu probable), les conditions de la tenue des différentes échéances électorales ne seront pas réunies d’ici à juillet 2024. Les chiffres les plus optimistes indiquent qu’au moins 40 % du territoire burkinabé a échappé au contrôle de l’Etat pour tomber entre les mains des groupes djihadistes. Aujourd’hui, l’urgence pour la junte militaire burkinabé c’est de reconquérir le territoire perdu avant d’aller aux élections. Nul ne peut évaluer le temps qui sera nécessaire pour relever cet immense défi. Mais pour Ibrahim Traoré et ses camarades, la menace n’est pas tant les pressions de la CEDEAO que l’absence des résultats dans la lutte antiterroriste qui a entraîné la chute de Damiba et qui peut, à tout moment, provoquer une prise nouvelle prise de pouvoir par l’armée. Par principe, la CEDEAO aura alors à condamner ce changement non constitutionnel. 

Finalement, face aux juntes militaires du Burkina Faso, du Mali et de la Guinée, l’organisation sous-régionale se retrouve avec une marge de manœuvre très réduite. Elle devra pourtant se réinventer pour sauver sa crédibilité et décourager les tentations de coups d’Etat dans d’autres pays de la sous-région.  

Francis Sahel 

  

 

 

 



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