Une petite révolution : même des responsables iraniens conservateurs admettent que l’imposition du hijab aux Iraniennes doit désormais être « revue », rapporte le Washington Post dans un article écrit par la journaliste spécialiste de la République islamique, Yeganeh Torbati. Trois ans après les manifestations de masse provoquées par la mort en détention de Mahsa Amini, une jeune kurde iranienne arrêtée pour son refus de porter le voile, le régime des mollahs entend lâcher du lest. 
Bruno Philip, ancien correspondant du « Monde »

Depuis les grandes séries de protestations qui se sont déroulées dans les rues des grandes villes d’Iran, en 2022, il était devenu patent que nombres d’Iraniennes sortaient désormais non voilées et, souvent, n’étaient pas inquiétées par une police des moeurs autrefois si répressive à l’égard de toutes celles osant ouvertement défier le régime des mollahs. L’article du Washington Post laisse cependant songeur tant il laisse entrevoir une réalité encore impensable avant la mort de la jeune Mahsa Amini : non seulement, écrit le grand quotidien de la capitale américaine, les femmes ne sont plus arrêtées lorsqu’elles sortent dévoilées à Téhéran mais « le refus collectif de refuser de se soumettre au port obligatoire du foulard est visible dans de plus petites villes du pays, comme, entre autre exemples, celle de Rasht , et aussi dans des régions réputées très conservatives comme Kermanshah, Hamedan et Dezful ».
Un régime sous pression
Une telle évolution, et sur une telle ampleur, est surprenante quand on pense que les forces de sécurité et la police des mœurs étaient encore il y a peu déployées dans les villes pour faire appliquer le port du voile, l’un des fondements moraux et religieux de la République islamique depuis son avènement en 1979. Certes, toutes les femmes n’étaient pas forcément arrêtées très longtemps : souvent, elles s’en tiraient avec une courte peine de prison ou, plus fréquemment, avec une amende. 
Mais les temps ont changé et le régime est sous pression  : « Les dirigeants iraniens ont assoupli le contrôle du port du hijab par crainte de nouvelles manifestations, admettent des responsables, notamment alors que le pays est confronté à une situation économique désastreuse en raison des inquiétudes liées au programme nucléaire iranien », écrit le Washington Post. Selon un certain nombre d’Iraniens joints au téléphone par la spécialiste Iran-Turquie du journal, Yeganeh Torbati,   » des Iraniens ordinaire ont confié que cet assouplissement des mesures a permis de libérer la pression populaire dans les mois qui ont suivi les frappes aériennes israéliennes et américaine dévastatrices contre l’Iran, provoquant un mécontement généralisée envers le gouvernement et une répression de la dissidence ». 
Si le « regime change » souhaité par Israël et les Etats-Unis ne s’est donc pas produit, les frappes ont ainsi prolongé, et à l’évidence renforcé, une certaine « tolérance » dont les autorités faisaient déjà preuve en la matière depuis les manifestations de 2022. Selon Holly Dagres, chercheuse au Washington Institute citée par le quotidien, la « République islamique marche sur des oeufs : submergée par le nombre croissant de femmes et de filles qui ne respectent pas les règles du hijab obligatoire, elle craint cependant qu’une répression excessive ne pousse à nouveau la population dans la rue ».
Le pouvoir iranien sur la défensive
Les conservateurs du régime n’ont certainement pas dit leur dernier mot. Mais ils ont manifestement décidé de choisir d’ignorer le phénomène :  Le président de l’Asssemblée nationale, Mohammed Bagher Ghalibaf, a affirmé que le Conseil suprême de sécurité national a demandé au parlement qu’une nouvelle loi prévoyant d’augmenter les amendes pour refus du port du foulard  ne soit pas appliquée! Preuve que le « guide », l’ayatollah Khamenei , est désormais conscient qu’il s’agit là d’une question de sécurité nationale et qu’il convient de calmer le jeu. 
Quant au président de la république Masoud Pezechkian, il n’a pas hésité à dire qu’appliquer une telle loi pourrait provoquer « une guerre sociale »…
Le Wasshington Post cite pour finir un politicien conservateur de second rang dont les récentes déclarations en disent long sur le changement de pied de la république des mollahs : Mohammed Reza Bahonar a déclaré en octobre que le temps de l’imposition du voile était désormais « révolu ». Devant la levée de boucliers des membres de son camp politique, l’homme a d’abord fait machine arrière, affirmant qu’il n’était pas question de renoncer aux valeurs religieuses de l’Iran mais que « les méthodes employées pour promouvoir ces valeurs devraient être ‘repensées’ « . On ne saurait mieux traduire le délicat numéro d’équilibriste d’un régime écartelé entre sa volonté de survie et la nécessité de prendre en compte la volatilité d’une société urbaine de plus en plus hostile à son égard. 
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