Il y a près de deux mois et demi, la Présidence de la République du Niger se félicitait de la signature historique de la Charte du Liptako-Gourma le 16 septembre 2023 à Bamako, instituant « l’Alliance des États du Sahel (AES) » Et d’ajouter : « Ensemble, nous bâtirons un Sahel pacifié, prospère et uni ». Cette alliance commence à prendre frme dans le domaine de l’énergie. Un réseau électrique de transport d’envergure régionale dit « dorsale trans-sahélienne » est à l’étude
Un article d’Olivier Vallée pour « le Spinx », notre excellent confrère malien
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La France et la CEDEAO ont perdu la bataille militaire et morale contre le Niger. L’armée la plus puissante de la CEDEAO, celle du Nigeria, s’est montrée incapable d’aligner 20 000 soldats à la frontière du Niger alors qu’elle serait la quatrième armée africaine après l’Égypte, l’Algérie et le Mali. Son président Tinubu a été condamné à 460 000 USD d’amende aux Etats-Unis en 1993 pour trafic de drogue et blanchiment d’argent sale. Les généraux nigérians sont poursuivis pour corruption, y compris le major-général Abdullai Iyanda Muraina.
Les adversaires de la junte nigérienne sont peu reluisants. Alassane Ouattara, du haut de ses 81 ans, a été élu en 2020 par 94% des voix, etc. A présent les États de l’AES se doivent de trouver, face à l’adversité de l’extérieur, en dépit de la guerre des mots et des chiffres, des ressources éthiques endogènes pour faire front.
«L’Alliance des États du Sahel (AES)» est aujourd’hui le véritable enjeu de ces trois pays après leur exclusion de fait de l’UEMOA. Il y a quelques mois, dans ces colonnes, j’appelais à sauver et Bazoum, la paix, et l’intégration régionale avec une commission de l’UEMOA revigorée et dévouée à l’établissement d’infrastructures communes, d’interconnexion électrique en particulier.
Le Mali menacé par lui-même ?
Le Mali, dépourvu pour l’instant en énergie fossile, avait pu, au fil des ans, disposer d’une capacité de production électrique soutenue par l’interconnexion avec les pays voisins. Peu de jours avant le coup d’État au Niger, les bailleurs de fonds souscrivaient au financement d’un vaste projet d’interconnexion. Les partenaires au développement ont en effet, le 17 juillet 2023, annoncé leur soutien au financement du projet d’interconnexion électrique entre la Mauritanie et le Mali. D’un montant total estimé à 900 millions USD, ce projet devrait permettre à 620 000 personnes dans les deux pays d’avoir accès à l’électricité. Il a poursuivi une initiative, qui semble baroque à présent, de faire du G 5 Sahel le tuteur militaire et énergétique d’États pourtant souverains. Le Conseil d’administration de la Banque africaine de développement avait approuvé un financement de 379,6 millions de dollars pour financer «Desert to Power» pour les pays du G5 Sahel : Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad. La Facilité de financement visait à aider les cinq pays du G5 Sahel à adopter un mode de production d’électricité à faible émission en exploitant l’abondant potentiel solaire de la région.
Le projet actuel d’interconnexion sera davantage le maillon essentiel du réseau électrique de transport d’envergure régionale dit « dorsale trans-sahélienne » dont les études sont en cours. Il permettra de relier la Mauritanie au Tchad en passant par trois autres pays, le Burkina Faso, le Niger et le Mali. La ligne de 225 kV pourrait autoriser également l’intégration de nouvelles centrales d’énergie renouvelable au réseau interconnecté de la sous-région. Le projet est financé (en principe) à hauteur de plus de 350 milliards de FCFA par l’Agence française de développement (AFD), la Banque africaine de développement, l’Union européenne, la Banque mondiale et le gouvernement fédéral du Nigeria. Aujourd’hui dans la volonté de sanction perpétuelle de l’AES, le président Macron, avec l’aide de Josep Borel, s’oppose au financement par l’UE d’une interconnexion Mauritanie-Mali.
En attendant l’improbable interconnexion, la ministre malienne de l’Energie pourrait éviter de s’en prendre au personnel d’EDM et s’assurer que les détournements des flux pour les centrales et les stations-service vont cesser, en particulier à Bamako. Le trafic des citernes, des camions chargés de fuel et d’essence qui viennent du Sénégal pour alimenter les groupes électrogènes d’Energie du Mali sont connus depuis des années et ont enrichi les grands importateurs et les partis politiques au pouvoir. Il semble qu’à présent les nombreux délestages du pays sont occasionnés par un détournement sans mesure de l’approvisionnement par les citernes.
La cible nigérienne
Les adversaires du Mali semblent indifférents à la dégradation de l’offre électrique du Mali. Sans doute le pari d’un effondrement du régime actuel les réconforte. Cependant le Niger reste encore la première cible des critiques de Paris et de Bruxelles. Ces acteurs extérieurs veulent un marché privé de l’électricité pour rentabiliser les investissements solaires fantaisistes qu’ils ont financés. La firme pétrolière chinoise d’État China National Petroleum Corporation (CNPC) a, pour sa part, réalisé les centrales électriques nécessaires au bon fonctionnement de ses installations pétrolières à Agadem ainsi qu’à la raffinerie de Zinder. La société mauritanienne Istithmar a mis en production en 2021 deux centrales électriques, dont une à Niamey de 89 MW et une autre de 23 MW à Zinder (deuxième plus grande ville du pays). Une centrale hybride (solaire et produits pétroliers) de 25 MW, entièrement financée par l’Agence française de développement (AFD) et l’Union européenne, est en cours de finition à Agadez. Une autre centrale solaire de 50 MW à Gorou-Banda, près de Niamey, a par ailleurs reçu des financements européens. Elle a été inaugurée début juillet 2023 en présence de Mohamed Bazoum et du représentant de l’Union européenne (UE), Josep Borrell. Ce dernier et Emmanuel Macron sont assez furieux de cette situation relativement favorable alors que les projets de libéralisation du marché énergétique et de privatisation de NIGELEC sont reportés de nouveau. Comme pour EDM, à la NIGELEC, le sérieux dans la gestion et la compétence dans la production seront les plus efficaces parades contre les entreprises de perturbation venues de la France et de l’UE. De plus, Gorou-Banda demeure au point mort par la volonté française.
Une partie de la presse française confidentielle martèle que les fragilités de la gestion énergétique vont accabler le Niger. Depuis que le Nigéria a suspendu la fourniture de l’électricité, la NIGELEC s’appuie en effet sur des centrales nationales électriques au diesel, mais leur capacité est insuffisante. Les importations d’électricité en provenance du Nigéria représentaient 71% de la consommation nationale avant le coup d’État. La situation financière de la NIGELEC se détériore (les importations en provenance du Nigéria étant l’option la moins chère pour la fourniture d’électricité). Par ailleurs les « observateurs » estiment que l’absence d’investissements privés dans l’énergie empêchera l’interconnexion et que la mise en service de l’oléoduc d’exportation du brut d’Agadem, infrastructure construite et opérée par la China National Petroleum Corp (CNPC), est factice.
Le défi relevé de l’oléoduc
Pourtant le 1er novembre, Ali Lamine Zeine, le Premier ministre et enfant de Zinder, s’est rendu à Koulélé, près d’Agadem, en compagnie du ministre du pétrole, des mines et de l’énergie, Mahamane Moustapha Barké. L’oléoduc, d’une capacité de 96 000 barils par jour, est alimenté par le brut des gisements d’Agadem. La France table que le Niger ne pourra terminer les travaux dans le dernier tronçon béninois qui s’achève au terminal de Seme. La CNPC et la Chine ont cependant averti le Bénin de leur intention d’achever très vite cette partie finale d’un projet décisif. Le Bénin leur a répondu positivement. La compagnie pétrolière publique chinoise a signé avec le Niger un contrat de 5 milliards d’USD pour développer les champs pétroliers de l’Est du Niger, en particulier à Agadem où se trouvent des réserves prouvées de 324 millions de barils. Le pipe-line de 1950 kilomètres qui approvisionnera les tankers à Seme est quasiment achevé.
La Chine a réalisé au Niger son plus gros investissement au Sahel et le maintien de la sécurité des infrastructures est un enjeu politique et financier majeur. D’autant plus que la Chine exploite et exporte aussi une part croissante de l’uranium nigérien. La Chine constitue le plus sûr partenaire pour l’achèvement dans de bonnes conditions d’un projet de grande ampleur qui montre son intérêt pour le Sahel longtemps considéré comme une zone d’assistanat par l’Occident.
Le contre-poids américain
Le plus sûr allié objectif du gouvernement du Niger reste les Etats-Unis. La politique américaine en Afrique est basée sur le concept global et stratégique de relations à long terme dans un intérêt commun. Cela induit le refus d’attaques ad nominem vis-à-vis des nouvelles personnalités politiques et militaires du Sahel. Attaques que la guerre informationnelle décrétée à Paris développe et organise. Molly Phee, sous-secrétaire d’État adjointe, a contribué à cette décrispation américano-sahélienne à travers la «Stratégie des Etats-Unis pour l’Afrique subsaharienne», doctrine élaborée par le National Security Council. Dans le fil de cette tentative d’éviter la poursuite de l’isolement du Sahel, l’USAID s’affirme comme un apporteur d’aide, plus efficient et plus rapide que l’UE, avec plus de 6 milliards USD décaissés dans le seul cadre humanitaire en Afrique, c’est-à-dire par exemple en RCA, au Mali ou en Éthiopie.
A Niamey, la semaine dernière, le Premier ministre a pu recevoir une mission de la Banque mondiale qui a déjà pointé tous les effets néfastes des sanctions et les a chiffrés. Ces chiffres sont repris dans leur abstraction par les détracteurs du gouvernement d’Ali Lamine Zeine. Pour l’appui budgétaire en 2023, seuls 82 millions de dollars (0,55% du PIB) ont été versés en 2023, contre des flux attendus de 625 millions de dollars (3,6% du PIB). Ce sont des montants qui n’ont pas beaucoup de sens car les appuis annoncés ne sont jamais totalement versés dans l’exercice en cours et ils sont moins utiles quand le Niger cesse de rembourser sa dette. Le financement de l’investissement (équivalent à 1,17 milliard de dollars) ne sera pas versé au Niger en 2023. Idem, ces financements de projets sont reconduits d’année en année sans réels décaissements.
De nouvelles relations avec le FMI
Grâce aux Etats-Unis, la reprise des relations techniques et opérationnelles avec la FMI est prévue au plus tard en décembre. Une mission du FMI devrait venir au Niger dans ce cadre pour préparer le décaissement rapide de deux facilités de crédit déjà négociées avant la destitution de Bazoum. Le secrétariat général du FMI est la seule autorité qui en décide, quelles que soient les manœuvres de la France et de la Côte d’Ivoire qui se poursuivent à l’encontre de la reprise des relations statutaires du FMI avec un État membre.
La reconnaissance du CNSP par les Etats-Unis a libéré la parole, à Niamey. Les reproches de corruption vis-à-vis au président déchu fusent. Surpris en tentant de s’évader avec des complices, on lui attribue, ainsi qu’à son influente belle famille, de nombreux manquements aux règles de la comptabilité publique ainsi que des relations financières et commerciales favorisées par son ancien statut. Comme au Burkina Faso, ou au Mali, l’étendue des vols par les précédents gouvernants élus est considérable. Mais le Niger gagnerait plus à durcir les clauses de contrôle sur l’enrichissement personnel des nouveaux dirigeants et l’exécution de la loi de finances qu’à chercher dans la période révolue la seule cause de ses difficultés. La BOAD, la BIDC et d’autres menacent la production hydroélectrique de Kandadji en interrompant leur financement. Le G 5 Sahel a vécu. L’AES peut œuvrer dans chacun des États membres pour une réforme complète de la gouvernance, en particulier dans les entreprises nationales de l’énergie et pour conserver leurs droits au financement extérieur dans une démarche d’intégration régionale.