Les enjeux de « la corne de l’Afrique » expliqués aux ignorants

Le groupe de pays africains s’étendant de l’Éthiopie, l’Érythrée, Djibouti et la Somalie, à cheval sur le golfe d’Aden et la mer Rouge, géopolitiquement stratégiques, constitue la Corne de l’Afrique officielle. Elle est souvent étendue politiquement et économiquement pour inclure le Soudan, le Sud-Soudan, le Kenya et l’Ouganda.
 
Le contexte géopolitique actuel de la Corne de l’Afrique est extrêmement complexe et en évolution rapide, marqué par des tensions internes, des rivalités régionales et des influences internationales croissantes. Plusieurs facteurs peuvent influencer l’avenir de cette région, et il existe plusieurs scénarios possibles sur ce que pourrait être l’évolution géopolitique de la Corne de l’Afrique dans les années à venir.
 
Voici quelques éléments clés qui pourraient façonner l’avenir de cette région :
 
Un article de Bolock Mohamed Abdou, activiste, juriste, et défenseur des droits humains
 
 
1. *Les tensions internes en Éthiopie et les implications pour la région* :
 

Avec plus de 110 millions d’habitants, l’Ethiopie est le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique. C’est une République fédérale divisée en 10 régions autonomes dont le Tigré qui a pour capitale Mekele.  à la frontière de l’Erythrée et du Soudan. 
 
Le Tigré, plus grand que la Suisse, est situé au nord du pays,
 
L’Éthiopie a longtemps été un acteur clé en Afrique de l’Est, mais les tensions internes, en particulier dans le Tigré  depuis 2020, ont mis à mal la stabilité du pays. Officiellement, la guerre a commencé en novembre 2020 par une offensive lancée par le gouvernement central pour renverser les autorités rebelles du Tigré issues du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Le parti qui dirige la région autonome a été accusé d’avoir attaqué des bases de l’armée fédérale au Tigré
 
La guerre civile, les massacres, et la crise humanitaire ont des répercussions profondes, non seulement pour l’Éthiopie, mais aussi pour ses voisins, notamment le Soudan, Djibouti, et l’Érythrée. Si le conflit continue ou dégénère, cela pourrait créer un environnement propice à l’instabilité régionale et à de nouvelles alliances, voire à une dislocation et à des interventions internationales.
 
Une stabilisation relative en Éthiopie, associée à l’importance géostratégique de la région Afar, en revanche, pourrait redonner au pays un rôle de leader dans la région, mais cela dépendra de la réconciliation interne, de l’intégration des diverses communautés ethniques et de la gestion de ses relations avec les voisins, y compris les Afars, les Somalis, les Oromos, et les Tigréens.
 
2. *L’Érythrée et ses relations avec l’Éthiopie et Djibouti* 
 
 
L’Érythrée dont la capitale est Amara a une position géopolitique stratégique en tant que voisin de l’Éthiopie et Djibouti. Bien qu’un accord de paix ait été signé entre l’Éthiopie et l’Érythrée en 2018, de nombreuses tensions subsistent, notamment concernant les frontières et les droits des minorités. Le pays pourrait chercher à renforcer ses relations avec certains acteurs extérieurs comme les Émirats arabes unis et la Chine, tout en gérant ses propres dynamiques internes de gouvernance autoritaire et de restrictions des libertés.
 
Le pouvoir à Djibouti vient de faire passer une loi qualifiant de « terroristes » les quelques centaines de combattants du Front pour la Restauration de l’Unité et la Démocratie (FRUD) qui, derrière leur leader Mohamed Kadamy (voir son image ci dessus), se battent pour la reconnaissance des droits légitimes de l’ethnie des Afar et la démocratie à Djibouti. Et cela dans l’indifférence de la communauté internationale !
 
Les Afar habitent trois pays de la Corne de l’Afrique : Djibouti, l’Ethiopie et l’Erythrée. Ce peuple, qui contrôle l’ensemble des côtes Érythréennes de la mer rouge pourrait aggraver la situation si une solution n’est pas trouvée pour leur intégration dans la région. Les puissances étrangères viennent de découvrir l’importance stratégique des Afars dans la région de la Corne de l’Afrique.
 
L’Érythrée a une relation tendue avec Djibouti, surtout en ce qui concerne la question de la presqu’île de Doumeira et les intérêts stratégiques en mer Rouge. Les tensions entre ces deux pays pourraient encore se manifester si des intérêts régionaux divergents émergent.
 
3. *Djibouti et sa position stratégique* :
 
Djibouti, en tant que petit mais stratégiquement situé le port de la mer Rouge, joue un rôle important en tant que centre de transit pour les exportations de pétrole et en raison de sa proximité avec les détroits stratégiques comme celui de Bab-el-Mandeb. 
 
À Djibouti, l’entreprise de télécommunication Huwaei, engagée dans un bras de fer direct avec les États-Unis, est désormais citée dans une affaire d’espionnage qui a pour principal acteur Omar Guelleh. Le président de Djibouti qui refuse toujours à offrir son pays sur un plateau d’argent aux puissances occidentales, largement impliquées dans la Corne de l’Afrique, n’a pas les mêmes préventions avec les Chinois. Les autorités de Djibouti ont commis le péché de faire construire le palais présidentiel à l’aide des Chinois.
 
 
Djibouti abrite également une base militaire américaine et plusieurs autres bases étrangères, dont la Chine, ce qui renforce son importance géopolitique pour les grandes puissances.
 
La stabilité de Djibouti est donc cruciale pour la sécurité maritime et la gestion des routes commerciales vitales dans l’océan Indien et la mer Rouge. Cependant, la concurrence entre les puissances étrangères pour l’accès à la région (Chine, États-Unis, France, etc.), les tensions internes et l’autoritarisme du pouvoir, pourraient accentuer la pression sur le pays et éventuellement aggraver les tensions internes ou avec ses voisins.
 
4. *La question des revendications et des conflits ethniques* :
 
Les revendications ethniques et territoriales restent un enjeu majeur dans la Corne de l’Afrique. Le peuple Afar, notamment en Éthiopie, Djibouti et Érythrée, continue de chercher une reconnaissance politique plus forte et de revendiquer plus de droits et d’autonomie. Des conflits locaux, comme ceux entre les Afars et les Somalis en Éthiopie, pourraient amplifier les tensions internes.
 
En Somalie, le groupe islamiste armé Al-Chabab a incendié de nombreuses habitations lors de raids perpétrés fin mai 2017 dans des villages de la région du Bas-Chébéli, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch en s’appuyant sur des témoignages et l’analyse d’imagerie satellite. Les combattants d’Al-Chabab ont enlevé des civils, volé du bétail et commis des incendies criminels lors d’attaques ayant contraint plus de 15 000 personnes à fuir leurs foyers.
 
La Somalie, qui a été largement déstabilisée par des décennies de guerre civile, de milices armées (notamment Al-Shabaab) et d’incertitudes politiques, pourrait également jouer un rôle central dans l’évolution de la région. La dynamique interne de la Somalie, associée à ses relations avec l’Éthiopie et d’autres voisins, pourrait se transformer en une série de rivalités ou de coopérations qui auront des répercussions sur les relations géopolitiques de la Corne de l’Afrique.
 
5. *L’influence des puissances extérieures :
 
La Corne de l’Afrique est un carrefour stratégique, et les grandes puissances mondiales (notamment les États-Unis, la Chine, la Russie, et les pays du Golfe) ont des intérêts importants dans la région, en raison de son emplacement près des routes commerciales maritimes vitales et de la guerre contre le terrorisme (comme en Somalie). Les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite sont particulièrement impliqués dans les investissements et les bases militaires, et la Chine a un intérêt croissant en matière de port, d’infrastructure et de commerce, notamment en Érythrée et Djibouti.
 
La rivalité entre ces puissances pourrait également entraîner des tensions supplémentaires, et certains pays de la région pourraient être amenés à se positionner en fonction de ces relations externes, créant ainsi des alliances stratégiques mais aussi des frictions.
 
6. *Les défis environnementaux et leur impact géopolitique
 
La Corne de l’Afrique fait face à des défis environnementaux de plus en plus graves, notamment la sécheresse, la désertification et l’insécurité alimentaire. Le changement climatique pourrait déstabiliser davantage des zones déjà fragiles, notamment les régions arides habitées par les Afar, et provoquer des migrations internes et transfrontalières. Ces migrations pourraient exacerber les tensions entre les groupes ethniques ou avec les États voisins, ajoutant une couche supplémentaire d’instabilité à la situation géopolitique.
 
Les ingérences des États du Golfe, en particulier l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, dans la région de la Corne de l’Afrique et de la mer Rouge, ont pris une ampleur considérable au cours de la dernière décennie. Ces pays ont cherché à renforcer leur influence stratégique en raison de l’emplacement géopolitique crucial de la région, qui est au carrefour des routes maritimes mondiales reliant l’Asie, l’Afrique et l’Europe, et également en raison de la présence de ressources naturelles et d’enjeux sécuritaires (comme le terrorisme ou la piraterie).
 
7. *Les intérêts stratégiques dans la région des Etats du Golfe*
 
L’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis à la manoeuvre
 
Les États du Golfe sont principalement intéressés par la Corne de l’Afrique et la mer Rouge par souci de contrôler mes routes maritimes.
La mer Rouge et le détroit de Bab-el-Mandeb sont des passages vitaux pour le commerce mondial, notamment pour le transport de pétrole et d’autres marchandises entre le Moyen-Orient, l’Asie et l’Europe. Le contrôle de ces routes maritimes est d’une importance capitale pour la sécurité énergétique et les intérêts commerciaux des pays du Golfe.
 
Les investissements dans les infrastructures, l’aide humanitaire, et les initiatives de développement peuvent stimuler l’économie de certains pays comme Djibouti, l’Erythrée et la Somalie. Ces pays bénéficient également d’une certaine stabilité en matière de sécurité grâce aux soutiens militaires.
 
Cependant, les rivalités entre puissances régionales, les investissements militaires et les alliances avec des factions locales (comme en Somalie et au Yémen) peuvent exacerber les conflits internes, créer de nouvelles tensions ethniques et politiques, et compromettre la stabilité à long terme de la région.
 
Les États du Golfe, en particulier l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, continuent de jouer un rôle déterminant dans la dynamique géopolitique de la Corne de l’Afrique et de la mer Rouge. Leur influence est liée à leurs intérêts commerciaux, militaires et sécuritaires dans cette région stratégique, mais leurs interventions peuvent aussi avoir des effets déstabilisants, exacerbant les tensions entre les différentes factions locales et avec d’autres puissances extérieures. Le défi à long terme pour la région sera de trouver un équilibre entre ces ingérences et la préservation de la souveraineté des États de la Corne de l’Afrique.
 
8. Les possibles scénarios d’évolution* :
 
– *Scénario de coopération régionale* ;
Dans un scénario optimiste, les pays de la Corne de l’Afrique pourraient trouver un terrain d’entente pour coopérer dans des domaines comme la gestion des ressources en eau, la sécurité régionale, et la lutte contre le terrorisme. Cela pourrait inclure des initiatives régionales de développement économique et de réconciliation ethnique.
 
– *Scénario de fragmentation* ;
Les tensions ethniques et politiques internes, ainsi que les rivalités régionales, pourraient mener à une fragmentation accrue des États de la Corne de l’Afrique, avec une multiplication des conflits ethniques ou frontaliers, et des interventions étrangères accrues.
 
– *Scénario de domination d’une grande puissance extérieure* ;
L’une des puissances mondiales ou régionales pourrait chercher à dominer la région, que ce soit par des investissements, des bases militaires, ou des accords commerciaux. Cela pourrait rendre la Corne de l’Afrique encore plus vulnérable aux ingérences extérieures.
 
La situation géopolitique de la Corne de l’Afrique est donc marquée par une série de dynamiques qui peuvent aller dans différentes directions, en fonction de la manière dont les acteurs internes et externes géreront les tensions et les opportunités dans les années à venir. La stabilité régionale dépendra en grande partie de la capacité des États à surmonter leurs divisions internes, à gérer leurs ressources naturelles et à trouver des solutions diplomatiques aux conflits persistants.