Les droits humains en péril en Guinée

L’opposition, la dissidence et les médias sont réprimés ; le retour à l’ordre constitutionnel est report

  • Les autorités militaires en Guinée ont réprimé l’opposition, les médias et la dissidence pacifique et n’ont pas tenu leur promesse de rétablir un régime civil d’ici décembre 2024.
  • Lorsque le général Mamady Doumbouya a renversé son prédécesseur autocratique, l’ex-président Alpha Condé, il s’est engagé à reconstruire l’État, à respecter les droits humains et à rendre justice. Pourtant, son gouvernement a largement continué à tuer, à intimider et à museler les détracteurs.
  • Les autorités guinéennes devraient respecter le droit des personnes à manifester pacifiquement et à s’exprimer librement, strictement contrôler les forces de sécurité et les obliger à rendre des comptes en cas d’abus.


(Nairobi, le 2 décembre 2024) – Les autorités militaires en Guinée ont réprimé l’opposition, les médias et la dissidence pacifique depuis qu’elles ont pris le pouvoir lors d’un coup d’État en septembre 2021, et n’ont pas tenu leur promesse de rétablir un régime civil d’ici décembre 2024, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. 

Les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force, notamment de gaz lacrymogènes et d’armes à feu, pour disperser ceux qui ont défié l’interdiction de manifester imposée depuis mai 2022 par le Comité national du rassemblement et du développement(CNRD), la junte dirigée par le général Mamady Doumbouya. La répression a entraîné la mort de dizaines de manifestants et d’autres habitants de Conakry, la capitale de la Guinée, depuis janvier 2024. Durant cette même période, la junte a suspendu au moins six médias indépendants, a arrêté arbitrairement au moins dix journalistes et a fait disparaître et aurait torturé deux éminents militants politiques.

« Lorsque le général Mamady Doumbouya a renversé son prédécesseur autocratique, Alpha Condé, il s’est engagé à reconstruire l’État, à respecter les droits humains et à rendre justice », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Pourtant, au cours des deux dernières années, son gouvernement a largement continué dans le sillage d’Alpha Condé en tuant, intimidant et muselant des détracteurs, mais également en torturant et en faisant disparaître des personnes soupçonnées de travailler avec l’opposition politique. »

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 30 individus en personne à Conakry, entre le 22 et le 28 septembre, dont des représentants d’organismes des Nations Unies et de la communauté internationale, des membres d’organisations nationales et internationales de défense des droits humains, des journalistes, des membres de l’opposition politique et des victimes de violations des droits humains, et a rencontré le ministre guinéen de la Justice et des Droits de l’Homme. Du 10 au 31 octobre, Human Rights Watch a également mené des entretiens par téléphone avec 27 témoins de violations des droits humains. Human Rights Watch a aussi examiné des déclarations de membres du gouvernement et analysé des dossiers médicaux et médico-légaux, des documents juridiques, des photographies et des enregistrements vidéo partagés directement avec ses équipes de recherche pour corroborer les récits des victimes et des témoins.

Human Rights Watch a écrit au ministre de la Justice le 5 novembre, pour lui faire part des conclusions de ses recherches et pour demander des réponses à des questions spécifiques. Le ministre de la Justice n’a pas répondu à Human Rights Watch.

Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), une coalition de premier plan de groupes de la société civile et de partis d’opposition guinéens, a appelé à un retour rapide à l’ordre constitutionnel après le coup d’État militaire. La coalition et les organisations guinéennes de défense des droits humains consultées par Human Rights Watch ont indiqué que jusqu’à 59 personnes, y compris au moins 5 enfants, sont mortes lors de manifestations depuis juin 2022, principalement à Conakry. Certaines étaient des manifestants, tandis que d’autres étaient des citoyens ordinaires qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment.

Les recherches de Human Rights Watch révèlent que les forces de sécurité ont fait un usage létal de la force, entraînant la mort d’au moins neuf personnes, dont une femme et quatre enfants âgés de 9 à 17 ans, lors de manifestations qui se sont déroulées à Conakry entre janvier et septembre 2024. Une seule de ces personnes seulement participait aux manifestations. Les manifestants s’en sont également pris à la police et aux gendarmes, en leur jetant des pierres ainsi que d’autres objets, et ont bloqué des routes.

Human Rights Watch a documenté de manière détaillée comment des membres des forces de sécurité auraient tiré sur des manifestants et tué des dizaines d’entre eux depuis 2019.Pourtant, les autorités n’ont toujours pas enquêté sur les décès et autres abus commis lors des manifestations politiques ni poursuivi les responsables présumés. Le procès des crimes commis dans le cadre du massacre du 28 septembre 2009 qui s’est achevé récemment est un pas important vers la justice en Guinée. Toutefois, des défenseurs guinéens des droits humains ont expliqué à Human Rights Watch qu’il était capital de veiller à ce que le procès ne soit pas un effort judiciaire isolé, mais qu’il marque plutôt le début de nouvelles enquêtes et poursuites concernant les violations des droits humains dans le pays. 

Human Rights Watch a aussi documenté des disparitions forcées perpétrées par la junte pour faire taire la dissidence et l’opposition politique. Le 9 juillet, les forces de sécurité guinéennes auraient torturé et fait disparaître de force Oumar Sylla, connu sous le nom de Foniké Menguè, et Mamadou Billo Bah, deux figures importantes de l’opposition. Les autorités n’ont pas reconnu leur détention ni répondu aux demandes de leur avocat à propos du lieu où ils se trouvent.

Les autorités militaires ont bloqué et suspendu des médias, et ont menacé et arrêté arbitrairement des journalistes.

Le 18 septembre, le ministre des Affaires étrangères, Morissanda Kouyaté, a annoncé que, contrairement au calendrier de transition de 24 mois convenu entre la junte et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en décembre 2022, l’élection présidentielle n’aurait pas lieu à la fin de l’année 2024, mais en 2025. Morissanda Kouyaté a confirmé qu’un référendum portant sur l’adoption d’une nouvelle constitution, visant à remplacer la charte de la transition et potentiellement à ouvrir la voie à la participation de Mamady Doumbouya à l’élection présidentielle, aurait bien lieu à la fin de l’année 2024. Cependant, au moment de la publication de ce rapport, aucune date n’avait encore été fixée pour le référendum. Plusieurs membres du CNRD, dont son porte-parole, Ousmane Gaoual Diallo, ont publiquement exprimé leur soutien à la candidature de Mamady Doumbouya lors de la prochaine élection présidentielle. 

Des membres de l’opposition et de la société civile ont fait part de leurs préoccupations quant à l’absence de calendrier électoral clair et aux violations de la charte de la transition. Le 12 novembre, une coalition guinéenne de groupes d’opposition et d’organisations de la société civile, connue sous le nom de Forces Vives de Guinée (FVG), a appelé au retrait de la junte du pouvoir d’ici le 1er janvier 2025 et au rétablissement de l’ordre constitutionnel. 

Un activiste de la société civile a déclaré à Human Rights Watch en septembre que « l’intolérance croissante de la junte envers l’opposition et ses promesses non tenues d’organiser des élections libres et équitables avant la fin de l’année peuvent mener tout droit au désastre » et que « le gouvernement devrait mettre fin à la répression pour ne pas aggraver une situation politique déjà tendue qui pourrait mener à des violences ».


Le 29 octobre, le ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation a dissous 53 partis politiques, en a suspendu 54 autres pendant trois mois et placé 67 autres en observation, leur donnant trois mois pour fournir au ministère des informations requises. La décision est intervenue après la publication d’un rapport d’« évaluation des partis politiques » par le ministre, invoquant un non-respect de la loi par certains partis, notamment l’absence de licences valides et de comptes financiers transparents. 

Parmi les partis en observation figurent trois partis d’opposition de premier plan, à savoir le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) dirigé par l’ancien président Alpha Condé, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) dirigée par Cellou Dalein Diallo et l’Union des forces républicaines (UFR) dirigée par l’ancien Premier ministre Sidya Touré. L’opposition soutient que cette décision vise à empêcher des personnalités politiques clés de se présenter aux élections. 

La Guinée étant un État partie à la Charte de l’Union africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, les autorités devraient cesser de cibler les opposants politiques et les activistes de la société civile, et garantir un retour rapide à un régime démocratique, a déclaré Human Rights Watch. 

Les Lignes directrices pour le maintien de l’ordre par les agents chargés de l’application des lois lors des réunions en Afrique de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois prévoient que ces derniers ne peuvent utiliser la force que lorsque cela est strictement nécessaire et dans la mesure requise pour atteindre un objectif légitime de maintien de l’ordre. 

« Alors que la période de transition touche à sa fin et que le risque de troubles est en hausse, les autorités guinéennes devraient respecter le droit des personnes à manifester pacifiquement et à s’exprimer librement », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Elles devraient également mieux contrôler les forces de sécurité, enquêter sur les personnes impliquées dans des abus présents ou passés et leur faire rendre des comptes, tandis que les leaders politiques devraient demander à leurs partisans de s’abstenir de recourir à la violence. »