Les trois premiers mois du nouveau président sénégalais ont été diversement appréciés par les médias locaux qui affichaient, mercredi, les bons et les mauvais points du gouvernement. Ailleurs, en revanche, c’est plutôt l’interrogation qui prédomine, même si les instances financières internationales semblent pour le moment rassurées par le nouveau régime.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
C’est déjà l’heure de rendre les comptes pour Bassirou Diomaye Faye, même si le coordinateur de la jeunesse du Pastef, Megane Demba Touré s’y refuse ostensiblement, du moins, avant la fin du mandat du nouveau président sénégalais. La presse locale, en revanche, ne s’est pas fait prier pour dresser le bilan des 100 premiers jours du nouveau président à la tête du Sénégal. L’As, nouveau quotidien dont le lancement a coïncidé avec l’entrée en fonction de Bassirou Diomaye Faye dresse un bilan flatteur du « duo (qui) avance comme des siamois », avec une légère prééminence tout de même pour le Premier ministre Ousmane Sonko qui accapare la lumière « sur certains dossiers pendant que le chef de l’Etat semble se satisfaire de ses prérogatives régaliennes ».
Constat plus acidulé dans les colonnes de L’Observateur qui parle, lui, d’un duo en « état d’éclipse », après seulement trois mois d’exercice du pouvoir qui n’auraient visiblement pas assagi le premier ministre Ousmane Sonko, vu que ce dernier « ne s’est pas départi de son ton guerrier et de sa tendance à occuper le devant de la scène », critique le journal. Pour L’Obs sénégalais, le nouveau président « fait (même) pâle figure » aux côtés de son congénère de l’inspection générale des impôts, tandis que Bes Bi prend note « des cent jours souvent conflictuels du nouveau régime avec les différents acteurs et segments de la société ». Au surplus, Bes Bi assène que le nouveau régime s’est fait « piéger par ses nombreuses promesses électorales » mais aussi « par l’immense espoir qu’il a suscité » au sein des populations sénégalaises.
Le nouveau régime a tout de même organisé les assises de la justice et raboté les prix de plusieurs produits de première nécessité, à la veille de la fête de Tabaski, marquant ainsi de précieux points auprès de son électorat. En revanche, les médias ne décolèrent toujours pas d’avoir reçu des leçons de traitement de l’information de la part d’Ousmane Sonko qui a déjà attrait deux activistes devant les tribunaux dont l’un serait un imam. Au surplus, le déguerpissement du marché de Colobane, dès lundi, est tombé à la veille du 100è jour du nouveau régime, provoquant la colère des marchands ambulants qui comptent parmi les nombreux soutiens d’Ousmane Sonko.
Le piège de la surenchère
Le Premier ministre s’est lui-même rendu à Colobane pour calmer les esprits et expliquer aux commerçants ambulants qu’ils seront accompagnés. Le Pastef accuse ses adversaires de tenter d’exploiter à des fins politiques ce déguerpissement perçu par le gouvernement comme une mesure d’utilité publique. Le Premier ministre a aussi insinué des accusations de « sabotage », du moins, comme l’a affirmé Abass Fall proche de Khalifa Sall, ancien ministre d’Abdou Diouf et ancien maire de Dakar de 2009 à 2018, qui, selon lui, paraissait le plus visé par les propos de M. Sonko .
Mais le maire de Médina, Bamba Fall, ancien ministre conseiller de Macky Sall en a profité pour régler quelques comptes à Ousmane Sonko dont la visite visait à apaiser la colère des marchands ambulants. « Ce dont il faut tenir compte, c’est que le gouvernement a joué au pyromane puisque c’est le ministre de l’intérieur qui a demandé aux maires, en tant que démembrements de l’Etat d’accompagner les opérations de déguerpissement », a-t-il accusé.
Cette incompréhension d’une partie des populations sénégalaises se conjugue également avec les interrogations des soutiens panafricanistes du Pastef. Le nouveau régime reste en effet muet sur les éléments-clé de sa campagne électorale, notamment sa promesse de sortir le Sénégal du Franc CFA, de renégocier les contrats des multinationales occidentales et d’appeler au retrait de la base militaire française du pays. Au surplus, le nouveau président fait montre de zèle pour obtenir le retour des Etats du Sahel au sein de la Cedeao.
Une main tendue aux occidentaux
Les plus satisfaits demeurent en revanche les partenaires internationaux qui craignaient que Bassirou Diomaye Faye engage des réformes radicales, au terme de ce que laissait présager sa rhétorique préélectorale. Mais à l’arrivée, le nouveau président n’est pas aussi jusqu’auboutiste qu’attendu, écrit Bloomberg qui met en exergue les 750 millions de dollars obtenus par le Sénégal à la suite d’une émission surprise d’eurobonds, alors que le nouveau régime accusait son prédécesseur d’avoir excessivement eu recours à l’emprunt. Le président sénégalais a également consacré sa première visite d’Etat en dehors du continent africain à la France bien qu’il ait toujours voulu mettre de la distance entre son pays et son ancien colonisateur. Malgré tout, et -probablement- en raison de leur formation professionnelle, le nouveau président et son Premier ministre continuent tout de même d’alimenter des inquiétudes sur les risques qu’ils puissent prendre des mesures contraires aux intérêts des entreprises occidentales.