Face à un Hezbollah décimé et après le départ du clan Assad de Syrie, l’axe de la résistance construit par l’Iran contre « le grand Satan » américain et « le petit satan » israélien voit son réseau d’influence s’effriter. Privé de ses leviers traditionnels, le régime des mollahs est contraint de réinventer sa stratégie géopolitique, sous peine de sombrer dans l’isolement. Un tournant historique pour la puissance régionale qui pourrait redessiner l’équilibre du Moyen-Orient.
Eliane Bedu
Le 23 février 2025, à l’occasion des funérailles de Hassan Nasrallah à Beyrouth, dirigeant du Hezbollah pendant 32 ans, le Guide suprême iranien, Ali Khamenei, a rendu hommage à Nasrallah ainsi qu’à Hashem Saffieddine, chef du conseil exécutif du Hezbollah et pressenti pour lui succéder, mais également tué quelques jours plus tard. À cette occasion, Khamenei a réaffirmé l’engagement dans la lutte contre Israël, déclarant : « Que l’ennemi sache que la résistance à l’usurpation, à l’oppression et à l’arrogance ne s’arrêtera jamais et se poursuivra jusqu’à ce que le but soit atteint, par la volonté de Dieu. »
Si cette prise de parole prononcée devant plus de 60 000 personnes, dont des délégations étrangères officielles, visait à afficher une posture de force, elle intervient toutefois dans un contexte d’affaiblissement de l’Axe de la Résistance – alliance informelle regroupant l’Iran, le Hezbollah, les milices chiites irakiennes affiliées à Téhéran connues sous le nom de Forces de Mobilisation Populaire (PMF), les Houthis et d’autres groupes armés tels que le Hamas. En effet, depuis le 7 octobre 2023, et plus encore après le conflit entre Israël et le Hezbollah de mi-septembre à fin novembre 2024, ces acteurs ont subi d’importantes pertes humaines, notamment parmi leurs dirigeants, ainsi qu’une dégradation de leurs capacités militaires et de leur influence diplomatique.
Le déclin du Hezbollah

Le Hezbollah, pendant longtemps une force dominante dans le paysage politique libanais, voit son influence décliner sous l’effet de plusieurs revers : les frappes israéliennes incessantes depuis le 7 octobre 2023, l’élimination de ses dirigeants Hassan Nasrallah et Hashem Saffieddine, et l’incursion terrestre de Tsahal au Sud-Liban à la fin septembre 2024, puis la chute de Bachar al-Assad en Syrie deux mois plus tard, coupant le corridor terrestre d’acheminement d’armes iraniennes vers Beyrouth. Aujourd’hui, la fermeture des vols iraniens vers le Liban, limitant l’arrivée de fonds en liquide pour l’organisation, et l’élection de Michel Aoun à la présidence après deux ans de vacance, ont finalement affaibli le Hezbollah, dont l’influence se restreint à son alliance avec le groupe politique Amal et leur contrôle du ministère des Finances. Signe de cet isolement, le président Aoun s’est directement adressé au gouvernement irakien, affirmant que le Liban ne serait plus un champ de bataille pour une guerre par procuration, tandis que l’émissaire américaine Morgan Ortagus a réitéré l’exigence de Washington d’exclure le Hezbollah du gouvernement.
Ainsi, bien que le Hezbollah ne soit pas éradiqué, il traverse une crise majeure en tant que principal adversaire d’Israël au sein de l’Axe de la Résistance – de par sa proximité géographique et son histoire commune avec l’État hébreu. La mort de Hassan Nasrallah a mis en lumière les limites du soutien militaire iranien, décevant les attentes de ses proxys. L’attaque aérienne iranienne du 1er octobre, baptisée Promesse honnête 2 et menée en réponse à son assassinat, s’est avérée plus symbolique qu’opérationnelle, Téhéran cherchant à éviter des représailles contre ses infrastructures nucléaires et pétrolières.
Les milices chiites irakiennes sur la réserve

Parallèlement, en Irak, les milices chiites pros iraniennes (Popular Mobilisation Forces), dont une petite partie constitue le mouvement de l’IRI (Islamic Resistance in Iraq) s’éloignent progressivement de l’influence de Téhéran, sous la pression d’un projet américain visant à les démilitariser et à les intégrer au gouvernement irakien, et sous la menace d’une résurgence de l’État Islamique à la suite de la chute du régime syrien. Certaines d’entre elles, telles qu’AAH ou Badr, privilégient désormais une approche plus nationale, s’ancrant dans le paysage politique et sociétal irakien et se positionnant comme des partenaires de l’Iran, et non plus comme de simples proxys.
Finalement, les Houthis, mouvement politico-militaire zaïdite en guerre contre le gouvernement yéménite et soutenu par l’Iran, semblent être les seuls membres de l’Axe de la Résistance à ressortir renforcés de la guerre contre Israël. Bien que leur mouvance religieuse soit proche du chiisme, elle reste distincte et indépendante du Guide suprême iranien, leur permettant de mener leur propre stratégie de « résistance » contre l’Occident et Israël, tout en conservant une autonomie vis-à-vis du régime des mollahs.

Connus en Occident pour leurs attaques contre des navires commerciaux en mer Rouge, qui ont perturbé le commerce mondial, les Houthis ont profité de leur éloignement géographique par rapport au reste du conflit pour accroître leur influence et leurs effectifs, passés de 220 000 en 2022 à 350 000 en 2024. La diversité de leurs alliances, tant sur le plan militaire que commercial, leur confère une résilience qui les protège de l’affaiblissement général de l’Axe de la Résistance. Ils entretiennent notamment des relations directes avec la Russie – qui les fournit en drones kamikazes et autres armes, participent au trafic de drogue (provenant d’Iran et d’Afghanistan) et à la contrebande d’armes vers l’Afrique de l’Est. Pour cela, et malgré leurs divergences doctrinales, ils coopèrent avec des groupes terroristes sunnites tels qu’Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQAP), Al-Shabaab en Somalie, et potentiellement avec ISIS-S (branche de Daesh en Somalie). Ils tirent également profit du trafic maritime en mer Rouge et du trafic humain, recrutant des combattants pour la Russie afin de les envoyer sur le front ukrainien. Nonobstant, malgré cette montée en puissance depuis le 7 octobre 2023, les États-Unis exercent une pression croissante sur le groupe, Donald Trump les ayant désignés comme une Foreign Terrorist Organization (FTO) et menaçant de mener des frappes contre eux.
L’Iran se retrouve donc dans une impasse : incapable de compter sur ses proxys, tous sous pression américaine et israélienne, il ne peut non plus leur apporter un soutien direct sans risquer de nouvelles sanctions économiques et des frappes ciblées contre ses infrastructures nucléaires et pétrolières.
Face à cette situation, Téhéran pourrait être tenté d’accélérer le développement de l’arme nucléaire, malgré la fatwa du Guide suprême interdisant sa finalisation depuis 2003. Toutefois, une telle décision aggraverait les tensions avec le président américain Donald Trump, qui a annoncé rétablir une politique de « pression maximale » pour forcer l’Iran à abandonner son programme nucléaire. Par ailleurs, les négociations en cours entre la Russie et les États-Unis sur l’Ukraine pourraient inclure un accord tacite empêchant Moscou d’aider Téhéran dans ce domaine.
Poutine, médiateur entre Téhéran et Washington
Cette hypothèse semble d’autant plus crédible que Vladimir Poutine, à la demande de Trump, a accepté de jouer le rôle de médiateur entre Washington et Téhéran le 4 mars 2025. Si un tel compromis se concrétise, les relations irano-russes, scellées par un traité de partenariat global signé le 17 janvier 2025, pourraient évoluer vers une coopération essentiellement commerciale et diplomatique, au détriment des liens militaires.
Confronté à une possible impasse nucléaire, l’Iran est contraint d’adopter une posture plus prudente pour préserver sa place sur la scène internationale et assurer la survie de son régime. En effet, bien qu’une frappe directe contre le pouvoir central reste improbable – malgré l’élimination d’Ismaïl Haniyeh, dirigeant du Hamas, à Téhéran en juillet 2024 prouvant la faisabilité d’une telle opération – la santé fragile d’Ali Khamenei, au pouvoir depuis 36 ans, alimente les incertitudes quant à la stabilité politique du pays. Sa disparition pourrait déclencher une révolte populaire, potentiellement encouragée par des acteurs extérieurs, menaçant directement le régime des mollahs. Avec un Hezbollah affaibli, Assad renversé, les milices irakiennes fragilisées par la résurgence de l’État islamique et la pression américaine, et les Houthis sous surveillance des États-Unis, l’Iran pourrait chercher à bâtir un nouvel Axe de la Résistance fondé non plus sur des milices et des groupes paramilitaires, mais sur des alliances économiques et militaires de portée mondiale, avec des puissances comme la Russie et la Chine. Même si Moscou venait à conclure un accord avec Washington sur l’Ukraine et à refuser d’aider l’Iran dans son programme nucléaire, sa présence en Afrique à travers Africa Corps et Wagner offrirait à Téhéran de nouvelles opportunités pour étendre son influence, notamment via la vente de pétrole et d’armes. De son côté, la Chine, déjà pilier du maintien économique iranien grâce à l’achat massif de son pétrole, apparaît aujourd’hui comme le seul véritable rempart de l’Iran face aux pressions américaines.
L’Iran se trouve à un tournant stratégique. Longtemps moteur de l’Axe de la Résistance, il est aujourd’hui contraint de redéfinir son rôle sur la scène internationale, sous peine de voir son influence et son régime s’effondrer.