L’Afrique est en pleine transition démographique et sa jeunesse est souvent présentée comme un moteur pour son développement, constate le site « The Conversation ». Toutefois, la croissance de la population du continent entraîne aussi la croissance du nombre de personnes âgées, encore largement exclues de l’ordre des priorités des responsables africains. De nouvelles politiques publiques pourraient toutefois être envisagées…
Chargé de recherche Population et Genre, Agence française de développement (AFD)
De tous les champs d’étude de la démographie africaine, ce n’est pas le vieillissement qui vient d’emblée à l’esprit, tant le continent est associé à la jeunesse.
Pour en savoir un peu plus sur cet enjeu encore largement ignoré, l’Institut national des études démographiques (INED) et l’Agence française de développement (AFD) ont produit une étude qui présente, à partir des données statistiques disponibles, l’état des politiques publiques existantes et les perspectives quant à leur mise en œuvre.
La jeunesse demeure majoritaire en Afrique
L’âge médian, c’est-à-dire l’âge qui sépare la population en deux parties numériquement égales – l’une plus jeune et l’autre plus âgée –, est de 38 ans en Europe et de 30 ans en Asie. En Afrique, il est de 19 ans environ, ce qui en fait le continent le plus jeune au monde.
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Cette forte dynamique démographique s’exprime aussi par le fait que plus de 60 % de la population africaine a moins de 25 ans. Dans la plupart des pays subsahariens (hors Afrique australe), de forts taux de fécondité ont contribué – et contribuent toujours – à une augmentation rapide de la population. Des projections estiment que la population africaine pourrait atteindre 2,5 milliards de personnes d’ici 2050 (elle en compte aujourd’hui près de 1,5 milliard). Sur ces 2,5 milliards de personnes, les 60 ans et plus seront environ 215 millions, soit un peu plus de 8 %. En 2023, seulement 5 à 6 % de la population africaine était âgée de 60 ans et plus. Cette moyenne statistique ne doit pas masquer le fait qu’il existe de grandes disparités selon les pays : 3 à 4 % en Ouganda et au Niger contre 7 à 9 % en Afrique du Sud et en Tunisie. À titre comparatif, en Europe, cette part de la population représente 25 % de la population totale, en Amérique du Nord 16 % et en Asie 12 %.
Le vieillissement, laissé pour compte par les politiques publiques
La part relativement faible des personnes âgées, en particulier dans les pays sub-sahariens, explique l’engagement très limité des décideurs à mettre en place des systèmes robustes de protection sociale qui leur seraient destinés, alors même qu’elles vivent souvent dans des conditions de vie très précaires, combinant pauvreté et formes de vulnérabilité spécifiques entraînées par la vieillesse.
Les personnes âgées en Afrique dépendent encore très largement des soutiens familiaux voire des structures communautaires proches (ménages, familles, voisins), mais ces structures sociales changent vite avec l’urbanisation et les effets plus larges de la mondialisation : le changement des modes de consommation et l’amplification de l’utilisation des réseaux sociaux entraînent une évolution des valeurs socio-anthropologiques.
Bien que les personnes âgées représentent actuellement – et pour les années à venir – une part réduite de la population africaine (en pourcentage), leur nombre est appelé à augmenter du fait de la forte croissance démographique du continent. De ce fait, de nouveaux défis en matière de santé publique, de protection sociale et de pensions de retraite devront être relevés.
Le premier de ces défis a trait à l’extension du taux de couverture sociale de la population, qui doit se produire en prenant en compte le poids de l’informalité dans l’économie. Afin de garantir une protection des individus face aux risques sociaux au sens large (maladie, chômage, accidents du travail, vieillesse), il est essentiel d’articuler cette protection au système informel, qui représente environ 80 % de l’emploi en Afrique.
Pour ce faire, la protection pourrait s’engager dans trois voies. Tout d’abord, la mise en œuvre de régimes contributifs « flexibles » qui valoriseraient des cotisations basées sur des revenus irréguliers liés à l’informalité. Ensuite, la valorisation des systèmes communautaires tels que la tontine qui pourraient être mieux étendus et mutualisés, ainsi que la promotion de mutuelles de santé adaptées aux travailleurs indépendants, aux petites entités de production et de commerce. Enfin, l’extension des paiements digitalisés via « le mobile money » qui permettrait de simplifier les cotisations et les prestations, comme c’est déjà largement le cas au Rwanda ou au Kenya.
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Les nécessaires ajustements des politiques publiques
La mise en œuvre de la protection sociale des personnes âgées repose cependant sur plusieurs conditions préalables. La première tient aux capacités des États à solliciter les compétences humaines et techniques nécessaires pour lever l’impôt et à utiliser les recettes fiscales pour financer la protection sociale. Il faut également programmer le couplage de la couverture maladie à celle de la retraite, pour garantir aux individus, tout au long de leur vie active et au-delà, une sécurité financière qui leur permette d’accéder aux soins. En outre, il faudra combiner les contributions prélevées sur les revenus des travailleurs du secteur formel (pour financer la couverture santé et les droits aux pensions de retraite) avec une prise en charge sur fonds publics des travailleurs informels, des personnes sans emploi et/ou des populations vulnérables au sens large (femmes isolées, individus en situation de handicap, par exemple). Pour cela, d’autres sources de financement doivent être envisagées : taxes sur les produits de luxe, les véhicules neufs et les carburants, sur les billets d’avion ou les transactions financières…
Les arbitrages à faire entre des priorités « concurrentes » seront difficiles. D’un côté, il s’agira d’investir massivement dans l’éducation et la formation professionnelle pour faire de la jeunesse africaine un moteur de croissance économique. Mais d’un autre côté, il faudra également construire et réformer les systèmes de santé et de protection sociale en vue de répondre aux besoins d’une population vieillissante plus nombreuse. En d’autres termes, c’est une gestion proactive du dividende démographique (soit la chance pour les pays qui connaissent un rajeunissement démographique de voir leur économie croître temporairement) qui pourra garantir une meilleure prise en compte des enjeux liés au vieillissement de la population.
La question persistante des données
Quels que soient les scénarios privilégiés pour la mise en œuvre de la protection sociale des seniors, il faudra recueillir et analyser des données sociodémographiques fiables et complètes. Or la question des statistiques démographiques reste un sujet d’inquiétude en Afrique. En effet, les insuffisances dans ce domaine ont des conséquences significatives sur le développement du continent.
Dans de nombreux pays africains, on constate une grande faiblesse des systèmes d’état civil insuffisamment financés et manquant de ressources humaines, un recours de plus en plus rare aux recensements, à la collecte et au traitement des données. De plus, comptabiliser les populations vivant dans des zones de conflit ou d’insécurité alimentaire reste particulièrement difficile, de même qu’identifier les causes de décès.
La gestion du vieillissement de la population, illustration des réalités socio-économiques du continent
La capacité du financement de la protection sociale des personnes âgées, qui devrait reposer sur une vision stratégique et une volonté politique, reste problématique. Des solutions existent, qui vont de la mobilisation accrue des ressources nationales par l’impôt, et des actions innovantes dans les systèmes de collecte et de gestion, au soutien des partenaires internationaux sur des initiatives pilotes et des subventions ciblées et à l’inclusion du secteur informel dans des systèmes contributifs adaptés.
La problématique du vieillissement se présente en tout état de cause comme un révélateur des questionnements fondamentaux quant au développement de la plupart des pays africains.
En premier lieu, il s’agit de considérer dans quel modèle de croissance économique et de soutenabilité les pays du continent seront engagés lorsque les cohortes de personnes âgées auront augmenté. De plus, les politiques publiques liées au vieillissement devront aussi intégrer la nécessaire adaptation au dérèglement climatique dont on sait déjà qu’il touchera tout particulièrement le continent africain. Cela devra se faire via la mise en place de systèmes d’alerte propres aux personnes âgées, de pratiques de diagnostic des effets climatiques extrêmes sur les personnes vulnérables que sont les personnes âgées, de logements adaptés, de systèmes de veille et de divers systèmes d’entraide de proximité.
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Troisièmement, la croissance d’une population de plus en plus âgée, en nombre sinon en pourcentage, aura-t-elle vraiment pu bénéficier d’un dividende démographique qui reste encore décalé et incertain dans la plupart des pays subsahariens – hors Afrique australe ? Sur ce point, l’expérience des pays « devanciers » d’Asie de l’Est et du Sud-Est, en particulier, ne semble plus être un exemple qu’il est possible (voire souhaitable vu leur coût environnemental) de suivre, notamment en matière d’investissements massifs dans les infrastructures de transport et d’énergie carbonée.
Pour les décideurs des pays d’Afrique subsaharienne ainsi que pour d’autres acteurs locaux (entreprises, organisations de la société civile), il est donc crucial d’anticiper le vieillissement programmé des populations. Or les pays développés ont historiquement vu leur économie se développer grâce à un modèle industriel et manufacturier où le salariat formel a été à la base de la construction des systèmes de protection sociale. De sorte que le défi actuel pour l’Afrique, face au vieillissement de sa population, est de penser des politiques publiques adaptées à un modèle économique qui repose encore très largement sur une économie « informelle ».