Le sort judiciaire du milliardaire Mamy Ravatomanga au coeur de la transition malgache

À la suite de l’entrée forcée à l’ile Maurice du milliardaire malgache en fuite, Mamy Ravatomanga, l’âme damnée du régime de l’ancien Président Andry Rajoelina, la Commission des crimes financiers de cette île voisine de Madagascar a déclaré avoir « gelé ses fonds » après avoir « obtenu des renseignements crédibles » de transfert d’une « forte somme d’argent à Maurice, avec l’intention de déplacer ces mêmes fonds vers une autre juridiction et de quitter le territoire ». Les initiatives mauriciennes furent l’élément déclencheur pour que le Pôle Anti-Corruption (PAC) d’Antananarivo daigne enfin lancer un mandat d’arrêt international contre Mamy Ravatomanga, basé sur des accusations de blanchiment de capitaux, d’enrichissement illicite et d’infractions économiques. Craignant son extradition vers Madagascar et sa probable condamnation, l’homme d’affaires a demandé dêtre soigné à La Réunion. Mamy Ravatomanga qui entretenait de bonnes relations avec Emmanuel Macron bénéfidiera-t-il du soutien de la France, Le feuilleton ne fait que débuter.

La mobilisation populaire soutenue au final par une majorité des militaires de l'armée malgache a eu raison de l'ancien régime corrmpu du Président
La mobilisation populaire soutenue au final par une majorité des militaires de l’armée malgache a eu raison de l’ancien régime corrmpu du Président Raojelina

Le milliardaire Mamy Ravatomanga, qui reste le symbole le plus éclatant des turpitudes de l’ancien régime qui vient d’être renversé à Madagascar, est aujourd’hui suspecté par les autorités mauriciennes de blanchiment d’argent, et de trafic de bois de rose, fait qui remonte à 2011. L’homme d’affaires qui faisait, hier, la pluie et le beau temps  est aussi impliqué dans la vente de 5 Boeing 777 à l’Iran en violation de l’embargo international dont ce pays est frappé. D’où le mandat d’arrèt international qui vient d’être émis par les autorités de Madagascar, un nouvelle qui a réjoui l’opinion publique dans la Grande Ile. De nombreux dossiers impliquant cet homme d’affaires n’ont jamais connu de suite à Madagascar en raison de son influence sur la justice malgache.

Une réaction bien tardive

Rolly Mercia, ministre de la communication sous le Président Hery Rajaonarimampianina,  a témoigné devant la justice française
Rolly Mercia, ministre de la communication sous le Président Hery Rajaonarimampianina,  a témoigné devant la justice française

La réaction de la justice malgache est considérée comme tardive, étant donné que très tôt, des voix se sont élevées pour dénoncer les multiples exactions dont cette éminence grise de Andry Rajoelina était coutumière. Parmi ces voix, Rolly Mercia, ministre de la communication sous le Président Hery Rajaonarimampianina,  a témoigné devant la justice française dans les affaires impliquant le magnat malgache, dont notamment l’Affaire Balkany, ancien maire de Levallois Perret, et l’affaire Bricom Ltd.

Dans un article qu’il a écrit dans le journal « Le Citoyen » publié en juillet 2018, Rolly Mercia a accusé Mamy Ravatomanga d’avoir reçu de la société Bricom Ltd enregistrée à l’ile Maurice un règlement opaque d’honoraires et de diverses indemnités pour un montant de 250 000 dollars, paiement qui lui aurait été versé sur l’un de ses comptes bancaires personnels à Monaco.

Rolly Mercia a payé au prix fort cette témérité : 6 ans et 5 mois de détention à la prison d’Antanimora dont 44 mois pour atteinte à la sûreté de l’État, et 30 mois pour faux témoignage.La machine judiciaire fut pour lui implacable, ne lui laissant aucune chance de s’en sortir équitablement. Plusieurs pièces à décharge ont disparu du dossier, entre autres les rétractations écrites de l’auteur de la fausse accusation, ou bien les certificats médicaux indiquant la fragilité de l’état de santé de l’ex-ministre.

Les révélations de Transparency International

Ces informations fournies par Rolly Mercia apparaissent aussi dans une grande enquête parue en juillet 2022 sur les manœuvres plus ou moins obscures autour de Madarail, un cas qui constitue une parfaite illustration de la captation de l’Etat par des intérêts privés. Menée par Dr Frédéric Lesné, à l’époque directeur exécutif de Transparency international Initiative Madagascar, cette enquête met en exergue le rôle central de Mamy Ravatomanga dans la restructuration de l’actionnariat de l’entreprise ferroviaire, que l’Etat malgache a négocié avec la Banque mondiale.

Ainsi apprend-on qu’une société enregistrée à l’Ile Maurice, Madarail Holdings Ltd, possède 75 % des actions de Madarail, et l’État malgache 25%. Or, lors d’une interview diffusée à une station de   télévision tananarivienne le 1er avril 2022, Mamy Ravatomanga avait mentionné détenir 75 % de la société Madarail depuis 2011. Ce qui laisse supposer logiquement qu’il soit le propriétaire de Madarail Holdings Ltd.

Mais  les cartes sont brouillées par l’enchevêtrement de sociétés opaques dont le centre névralgique se trouve à l’Ile Maurice. Ainsi, l’enquête de Dr Frédéric Lesné établit que la totalité des 1 000 actions de Madarail Holdings Ltd appartenait, en août 2018, à une autre société mauricienne du nom de Madagascar Utilities Ltd. Bien que Mamy Ravatomanga dément que Madagascar Utilities Ltd est une filiale de Sodiat dont il est propriétaire, le site internet du groupe présente bien Madarail comme une « entreprise appartenant au groupe Sodiat ».

Malgré les dénégations de l’homme d’affaires, les enquêtes    à partir du registre du commerce mauricienont pu établir l’existence d’un lien actionnarial direct entre Madarail Holdings Ltd et Madagascar Utilities Ltd. Il est en outre apparu que les deux sociétés partagent la même adresse postale à l’île Maurice et que   les deux administrateurs actuels de Madagascar Utilities Ltd KhodadeenMohammad Yassin et Edoo Shabinaz sont aussi les administrateurs de Madarail Holdings Ltd, et figurent parmi les dirigeants  de plusieurs autres sociétés mauriciennes appartenant à Ravatomanga. La boucle est ainsi bouclée !

Une longue impunité

On se rappelle que Madagascar utilities Ltd a été accusée en 2017 d’être impliquée dans une affaire de détournement de fonds publics liée à une location de groupes électrogènes à la Jirama, à une époque où Mamy Ravatomanga était membre du conseil d’administration de cette entreprise d’Etat. Dès le retour de Andry Rajoelina au pouvoir en 2018, le Directeur de l’agence anti-corruption Bianco Analamanga a été limogé et l’affaire fut enterrée.

Dans la filière du litchi malgache, Mamy Ravatomanga imposait un véritable diktat en allouant la plus grosse part des exportations a son entreprise Sodiat. Une grande partie des recettes de cette juteuse exportation disparait dans la nature notamment à l’étranger, ce qui a amené des lanceurs d’alerte à tirer la sonnette d’alarme. Ainsi, en novembre 2022, Transparency International Initiative Madagascar (TI-Mg) a déposé devant le Pôle anti-corruption d’Antananarivo des dénonciations de faits de corruption, de fraude et de blanchiment d’argent potentiels dans le secteur du commerce du litchi.

Le Groupement des exportateurs de litchis (GEL), sous l’instigation de l’homme d’affaire sulfureux, a déposé une plainte contre TI-Mg. Les responsables de cet organisme ont dû leur salut a une forte mobilisation de la société civile nationale et internationale, qui ont exhorté les autorités malgaches à ne pas utiliser la justice de manière abusive dans le but de harceler et d’intimider les défenseurs des droits humains.

Jusqu’ici, Ravatomanga n’a pu être inquiété car sous le régime de Andry Rajoelina, il pouvait s’appuyer sur une justice corrompue, et une administration (civile et militaire) complice. 

Des multiples turpitudes

Aux dernières nouvelles, deux procureurs du PAC (pole anti-corruption)d’Antananarivo   viennent d’être limogés, ce qui constitue un signal fort indiquant la fin de l’impunité. Et aujourd’hui, des hommes de loi intègres collectent des informations sur divers faits douteux à travers Madagascar auxquels pourraient être mêlé le milliardaire malgache.

On cite entre autres la tentative de spoliation des terres dont est victime la population de l’ile Sakatia. Figurent aussi dans la liste plusieurs affaires anciennes et nouvelles : l’affaire des 70 pickups achetés chez SODIAT et utilisés lors du COVID, mais qui ont disparu ; l’acquisition douteuses de plusieurs immeubles, comme l’immeuble PRADON impliquant la Sonapar, l’hotel de France à Majunga, les garages Teo a Behoririka et a Talatamaty ; le détournement de l’immeuble de l’OSTIE au profit de la société Polyclinique ; l’utilisation a des fins douteuses de la compagnie d’aviation TOA, dont les jets et avions augmentent en nombre alors que les clients ne semblent pas se bousculer…

Le nouveau pouvoir, et en première ligne la ministre de la justice Fanirisoa Erinaivo auront du pain sur la planche. L’administration doit se départir de la mauvaise gouvernance chroniquequi rend la corruption endémique à Madagascar. Le réseau de complicité et le haut degré de compromission qu’occasionnent les privilèges statutaires de certains corps de métier soulèvent la difficulté d’apporter des preuves juridiquement valables en matière de corruption.

Il en est de même du privilège de juridiction consacrée par la Constitution, dont jouissent les hauts responsables étatiques, même lorsqu’ils ne sont plus en poste. Ainsi, le parlement n’a jamais autorisé de levée de l’immunité parlementaire tandis que les chefs d’institutions et les membres de gouvernement ne peuvent être jugés que par la Haute cour de justice. Mais selon les organisations des sociétés civiles, une quinzaine de dossiers, qui devraient être transférés au niveau de la Haute Cour de Justice sont aujourd’hui bloqués au niveau de l’Assemblée nationale.

A l’échelon inferieur, il faut une autorisation du procureur sur avis du gouvernement pour poursuivre un maire, un gouverneur, ou un fonctionnaire. Pour poursuivre un magistrat, un inspecteur des impôts, un policier ou un gendarme, une autorisation de son ministère de tutelleest nécessaire. La délivrance d’une telle autorisation est cependant très rare.

D’une manière générale, le manque d’effectif constitue un frein dans le fonctionnement de la Justice, laquelle ne compte que 710 magistrats dans toute l’île. Dans son discours lors de la rentrée judiciaire 2025, la Procureure générale par intérim (PGCS p.i) auprès de la Cour suprêmea ainsi déclaré que le Tribunal de Première Instance (TPI) compte 296 magistrats pour traiter 64.187 dossiers en 2024, tandis que la Cour d’Appel ne dispose que de 114 magistrats pour 13.078 dossiers, contre 52 magistrats pour 1.541 dossiers auprès de la Cour de Cassation.

La refondation d’une société démocratique est un vaste chantier dont le succès dépendra du choix judicieux des actions prioritaires.

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)