Pendant que le président sénégalais est désormais sur les rotules avec l’annulation de la décision qui reportait l’élection présidentielle au 15 décembre prochain, Abidjan et les principales capitales de la Cedeao semblent avoir décidé de dissimuler leur embarras derrière leur silence.
Bati Abouè
Si Abidjan et de nombreuses capitales de l’Afrique de l’ouest restent figées dans leur silence, il y a encore Patrice Talon pour évoquer publiquement sans trop se mouiller cependant la situation politique au Sénégal. Celle-ci a pris une nouvelle tournure depuis que le conseil constitutionnel a retoqué à la fois la loi reportant le scrutin présidentiel et le décret pris par Macky Sall, en amont, la veille de l’ouverture de la campagne électorale. Les deux dispositions ont en effet été jugées non conformes à la constitution sénégalaise par le Conseil constitutionnel qui a de nouveau réaffirmé l’intangibilité du mandat présidentiel, indiscutable à ses yeux.
Macky Sall est donc attendu pour trouver une nouvelle date pour la tenue du scrutin présidentiel mais n’a plus de marge de manœuvre suffisante pour prolonger son bail à la tête du pays. L’opposition et la société civile sénégalaises ont dit leur soulagement mais pas les « amis » du président. La Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest dont M. Macky Sall était l’un des pacificateurs attitrés a tout de même pondu un nouveau communiqué, le troisième en moins d’un mois, pour prendre acte de la décision du conseil et demander, dans son sillage, la fixation d’une nouvelle date. Mais dans les principales capitales voisines, c’est toujours le silence qui prévaut depuis que la situation politique a viré au pataquès.
Macky Sall avait provoqué ce coup de tonnerre à quelques heures seulement de l’ouverture de la campagne électorale avant que l’Assemblée nationale ne vote la loi reportant le scrutin présidentiel au 15 octobre prochain et, dans la foulée, le maintien en poste du président sortant. « C’est une situation regrettable », a déclaré le président béninois qui s’est demandé si la Cedeao est désormais légitime à agir, vu que son obstination à sévir a provoqué la sortie des Etats du Sahel de ladite organisation. « On observe aussi que le Sénégal est en difficulté. Et ce qu’on observe au Sénégal qui est regrettable est de nature à nous interpeller sur le rôle des communautés auxquelles nous appartenons. Est-ce que la CEDEAO et l’UEMOA doivent cette fois-ci condamner ou non ? Dans le cas du Niger, on a dit trop c’est trop ! Et voilà ce qui s’ajoute au trop c’est trop. Est-ce qu’on doit dire que désormais les problèmes politiques, de démocratie et des droits de l’homme ce n’est pas l’affaire de la Cedeao ? Faut-il cesser d’être le garant des libertés et de la démocratie ? », s’est demandé le président Talon (Bénin)
Embarras à Abidjan
Mais le président béninois est la seule voix dissonante dans ce concert de silence dans lequel se sont emmurées la plupart des capitales de l’Afrique de l’ouest. Même le président Ouattara qui est très proche de Macky Sall est peu disert sur l’enchaînement des événements au Sénégal et son porte-parole a soigneusement évité, jeudi 14 février dernier, ce sujet lors de sa communication à l’issue du conseil des ministres hebdomadaire. Le silence d’Abidjan est d’autant plus révélateur de la gêne de ses dirigeants que la Côte d’Ivoire doit organiser une nouvelle élection présidentielle dans un peu moins de deux ans dans un pays qui avait été soumis à une féroce répression ayant fait plusieurs dizaines de morts et plusieurs centaines de blessés graves.
Ces violences faisaient suite à la contestation du troisième mandat du chef de l’Etat sortant mais ce dernier devrait briguer un quatrième mandat en 2025 s’étant persuadé que celui-ci est le premier de l’ère de la deuxième République en raison des changements opérés sur des dispositions de la Constitution ivoirienne. Sous cet angle, le coup de force institutionnel de Macky Sall n’était pas totalement différent en soi de celui opéré par le régime ivoirien, le président sénégalais ayant même affirmé renoncer à se présenter à un autre mandat bien que la loi le lui permette.
Panique à la Cedeao
La situation politique sénégalaise porte un nouveau coup de boutoir à la Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) qui vient d’enregistrer la désertion du Burkina Faso, du Mali et du Niger, les pays trois du Sahel qui avaient formalisé leur entente à travers la création de l’Association des Etats du Sahel (AES). Après avoir été intraitable pendant des mois sur les sanctions économiques et menacé le Niger d’une intervention militaire, les chefs d’Etat de la Cedeao rasent désormais les murs. Le président togolais Faure Gnassingbé était à Abidjan jeudi dernier pour discuter avec son homologue ivoirien Alassane Ouattara du contenu des nouvelles propositions que la Cedeao pourrait faire aux dirigeants nigérien et malien.
Pour le président togolais, il ne s’agit plus de savoir qui a tort ou qui a raison mais de faire en sorte que les problèmes soient réglés pour que l’organisation retrouve sa cohésion. La Cedeao est en effet prête à réévaluer ses sanctions à l’encontre du Niger, a notamment déclaré Faure Gnassingbé. Pourra-t-il en revanche convaincre les trois pays du Sahel à faire machine arrière en réintégrant la Cedeao ? Difficile d’être optimiste dans un contexte où l’organisation sous-régionale fait face à une nouvelle crise. Le président de la commission Oumar Alieu Touray a d’ailleurs tout de suite compris que la crise politique au Sénégal connaissait un « développement inquiétant » menaçant l’unité de l’organisation. Il avait donc appelé à l’union, estimant que « s’il y a bien un moment où la Cedeao doit rester unie, c’est maintenant ». Ainsi pour être crédible, l’organisation a demandé au président sénégalais de rétablir « de toute urgence » le calendrier de l’élection présidentielle après avoir pris « acte » au début du coup d’Etat constitutionnel. En revanche, rien de plus ne sera fait. Comme l’a formellement admis Ismaïla Madior Fall, le ministre des affaires étrangères du Nigeria. Car pour lui, la Cedeao « privilégie aujourd’hui la logique politique interne » qu’elle ne l’avait pas fait au Mali et au Niger.