Au Sénégal, les 100 premiers jours de Bassirou Diomaye Faye vont être scrutés. A commencer par les activistes panafricains qui s’agacent de voir le nouveau président demander le retour des Etats du Sahel au sein de la Cedeao et de maintenir les liens séculaires avec la France.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
Bassirou Diomaye Faye va devoir s’y faire. Alors que le 2 juillet approche à grands pas, consacrant ses cent premiers jours à la tête du Sénégal, les critiques qui s’abattent actuellement sur son régime risquent de redoubler de force. La plupart proviennent principalement des activistes panafricains qui ne décolèrent pas contre sa stratégie visant à faire revenir les trois pays du Sahel, à savoir le Mali, le Niger et le Burkina Faso, au sein de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Le président de 44 ans qui est à la tête du pays depuis le 2 avril dernier, semble pourtant avoir les deux pieds bien enfoncés dans ses certitudes de rupture. Depuis son investiture à la même date, il a initié des visites de voisinage en Mauritanie, en Guinée-Bissau avant de rencontrer le président ivoirien, Alassane Ouattara, la tête de Turc des panafricanistes. Mais en Côte d’Ivoire, Bassirou Diomaye Faye n’a pas hésité à louer le leadership du chef de l’Etat ivoirien, ainsi que sa grande qualité de démocrate. « D’ailleurs, je saisis cette occasion pour saluer le leadership et les efforts considérables que vous faites, ou que vous déployez dans le fonctionnement de la stabilité et de la démocratie. » Enfin, le successeur de Macky Sall a qualifié le président ivoirien d’homme qui fait « la promotion du développement », dans son pays, créant ainsi un sentiment de grande frustration au sein des soutiens du dirigeant sénégalais en Afrique de l’ouest.
Une aberration scandaleuse
Il fallait en effet avoir un grand culot pour faire une telle déclaration d’amour à un tel homme qui fait son troisième mandat à la tête de la Côte d’Ivoire dont la Constitution n’en autorise que deux et dont le maintien a coûté, en octobre 2020, la vie à plus de 80 opposants, selon les chiffres officiels, et blessé environ 300 personnes. Pour le ivoiro-camerounais, Franklin Nyamsi, cette déclaration de M. Faye « est une aberration scandaleuse » qui rame à contre-courant de l’idéologie panafricaniste de gauche revendiqué par le président sénégalais durant sa campagne électorale. D’ailleurs, le président d’Urgences panafricanistes, Kemi Séba, ne semble plus vraiment se faire trop d’illusion sur le compte du président sénégalais puisqu’il affirme sans ambages que « quand je vois le président Bassirou Faye, j’ai l’impression qu’il y a eu la période de campagne », adoubant ainsi, ne serait-ce qu’en partie, sans doute, la théorie de la trahison observée par M. Nyamsi dans la nouvelle attitude du président Faye.
La constance du président sénégalais à afficher sa position de faire revenir les trois Etats du Sahel à la case de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) constitue une autre friction avec les soutiens panafricanistes. Bassirou Diomaye Faye s’est en effet rendu au Mali le 30 mai puis au Burkina Faso, pour dit-il, faire revenir les trois Etats du Sahel sur leurs décisions. « Je comprends aujourd’hui quelque peu que les positions soient figées. Mais je perçois dans chacune de ces positions une fenêtre d’ouverture, un fil, si tenu soit-il, du dialogue », a-t-il insisté, réussissant à agacer un peu plus les partisans de l’Association des Etats du Sahel (AES) pour qui le nouveau président sénégalais est au service de la françafrique pour faire revenir les anciennes républiques parias au sein d’une maison Cedeao d’où elles ont été expurgées d’une manière ou d’une autre par des « sanctions illégales et illégitimes ».
De toute façon, il n’y avait guère meilleure façon de mettre mal à l’aise les panafricanistes qui reprochent à cette organisation sous-régionale d’être une arrière-cour de la France. En promettant en effet la rupture qui sonnait dans toutes les têtes comme une révolution contre la France, de nombreux africains attendaient que le Sénégal rejoigne les Etats du Sahel et qu’il enjoigne, dans la foulée, à l’armée française de quitter le pays comme l’ont fait les trois Etats qui accusent Paris d’avoir instrumentalisé le terrorisme pour conserver son ancien pré-carré. Au demeurant, le fait que la France ait d’abord choisi le bras-de-fer avant d’accepter de partir, pas très loin d’ailleurs, selon les autorités nigériennes qui accusent le Bénin voisin d’abriter des bases militaires françaises se préparant à des attaques contre elles, confirme quelque peu l’accusation des nouvelles autorités sahéliennes.
Les impatiences sénégalaises
Pourtant, le président sénégalais n’a pas l’air d’être particulièrement gêné par les critiques. Celles-ci se superposent néanmoins aux impatiences sénégalaises. La cherté de la vie qui a probablement connu un début de solution à la veille de la Tabaski est un chantier d’autant plus important que la guerre du poisson est à venir. L’Union européenne n’entend visiblement pas se laisser dicter une nouvelle conduite après la désignation des 151 navires qui sont désormais autorisés à voguer dans les eaux sénégalaises. Avec ce « coup de force » des nouvelles autorités, occidentaux et chinois qui se livraient aux activités de pêche sous faux drapeau sont mis à l’étroit au grand désarroi de l’Union européenne qui tient au maintien de ses acquis et menace déjà de refuser tout nouvel accord.
En attendant, le président sénégalais enchaîne les réunions avec les partenaires occidentaux. Le patron de l’Agence française de développement (AFD), Rémy Rioux, a rencontré le 22 juin dernier, Bassirou Diomaye Faye à Paris. Il a promis de « réaligner la coopération avec les nouvelles autorités selon les lignes qui seront fixées bientôt dans le plein respect de la souveraineté du Sénégal », a-t-il dit. Même tonalité chez le responsable de la fondation Bill Gates, M. Christopher J. Elias qui promet également son soutien aux priorités du gouvernement. Le lendemain, le président français Emmanuel Macron a eu une séance de travail avec son homologue sénégalais au sortir d’un déjeuner à l’Elysée. Les deux hommes ont promis à cette occasion de « donner une nouvelle impulsion au partenariat bilatéral » dans lequel les deux pays sont engagés depuis des décennies.
Mais toute cette diplomatie du nouveau président qui n’a encore rien donné de tangible, notamment sur les questions qui doivent faire l’objet de rupture, agace déjà les panafricains. Qui, en seulement trois mois bientôt de gouvernance, ont fait du Sénégal le miroir qui reflète le mieux les contradictions panafricanistes sur le continent.