Le retrait des Américains de l’une de ses principales agences, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), va provoquer des milliers de morts sur le continent africain, avec une explosion du paludisme, de la tuberculose, du sida. Alain Jourdan, fondateur et secrétaire général de l’Observatoire Géostratégique de Genève, confie ses craintes à Mondafrique.
Ian Hamel, à Genève.
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L’ancien journaliste de « La Tribune de Genève » n’est pas prêt d’oublier le 24 février 2022, jour de l’invasion jour de l’Ukraine par la Russie lorsqu’au Palais des Nations à Genève, siège européen de l’ONU, il tombe sur un demi-millier de fonctionnaires les jambes en l’air. « Il avait été programmé une journée yoga, et malgré le déclenchement de la guerre, cette manifestation n’a même pas été décalée, comme si l’ONU vivait coupée du reste du monde », sourit Alain Jourdan. Par ailleurs, une stagiaire racontait récemment à l’auteur de l’article, que certains fonctionnaires dans son service ne rejoignaient qu’un jour ou deux par semaine leurs postes de travail. D’autres, sans motif particulier, “zappaient“ parfois une semaine entière.
Bref, l’ONU n’a pas bonne presse, et surtout elle n’a cessé d’étaler sa totale inefficacité dans les conflits en Ukraine, mais aussi en Syrie, au Soudan, en Israël et à Gaza. Malgré ses critiques vis-à-vis du « Machin », le fondateur en 2020 de l’Observatoire Géostratégique de Genève est l’un des premiers à sonner le tocsin. Le désengagement des États-Unis, suivi par d’autres pays, notamment l’Argentine, risque d’être une catastrophe pour la Cité de Calvin, avec la perte de milliers d’emplois. Mais il va surtout avoir des effets dévastateurs – pour ne pas dire cataclysmiques – à très court terme en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie. Washington était le plus gros contributeur de l’OMS (autour de 20 % du budget, soit 1,2 milliard de dollars). Son départ va affecter l’ensemble des opérations, qu’il s’agisse de la surveillance et du suivi des épidémies, de l’éradication de la poliomyélite, des services de santé et de nutrition, de la lutte contre le paludisme, la tuberculose, le sida. Autre victime, l’Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (GAVI).
Les réfugiés en ligne de mire
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Le retrait américain de l’OMS n’est que le début du bal. Donald Trump ne compte pas s’arrêter à la santé. En ligne de mire, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), l’Organisation météorologique mondiale (OMM), le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le Conseil des droits de l’homme. Sans oublier le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), et surtout l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). « L’impact sur les réfugiés sera majeur, environ 40 % du financement provenant des États-Unis », rappelle Ian Richard, président de l’Association du personnel de l’ONU, dans « La Tribune de Genève ».
De son côté Alain Jourdan constate qu’un vent de panique souffle déjà sur le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. « L’inquiétude porte notamment sur les programmes de réinstallation qui impliquent le transfert des réfugiés d’un pays d’asile vers un pays tiers ». Mais face à tous les reproches qu’on peut lui faire, le locataire de la Maison Blanche peut répliquer que jusqu’à présent, les États-Unis étaient le premier bailleur de fonds des Nations Unies. Rien n’empêche les autres pays, notamment la Russie, la Chine, et ceux membres de l’Union européenne, d’augmenter leurs engagements, et notamment leurs contributions volontaires. Pour le moment, ils ne se bousculent pas au portillon, notamment la France, étranglée par sa dette.
La Chine, relais des Américains
« En fait, s’il y a un pays prêt à prendre le relais des États-Unis, c’est bien la Chine. Le départ des Américains lui ouvre une voie royale. Xi Ping est déjà venu à Genève, il s’est rendu au Palais des Nations et à l’OMS. Le problème, c’est que sa préoccupation première, ce ne sont pas les questions liées au droit de l’homme », souligne le rédacteur en chef de « La Tribune des Nations », l’organe de l’Observatoire Géostratégique de Genève. L’OMS intéresse Pékin, car elle lui permettra de promouvoir ses vaccins dans le monde entier. En revanche, elle ne verrait pas d’inconvénient à étrangler financièrement le Conseil des droits de l’homme (présidé cette année par la Suisse).
Lors d’une conférence en janvier 2025, Charles Adams, ancien ambassadeur des États-Unis à Genève, constatait qu’il n’y avait même pas de diplomates dans l’entourage de Donald Trump. La diplomatie, pour quoi faire ? Dorénavant, tout se passe dans les rapports de force. Quant au politologue Daniel Warner, il se demandait si la mort du multilatéralisme prônée par Trump n’allait pas finalement contraindre l’ONU « à mettre la clé sous le paillasson ». Michael Shumway Lee, dit Mike Lee, sénateur républicain de l’Utah, a franchi le pas, demandant le retrait complet des États-Unis des Nations Unies…
La contribution des pays africains
Pour le moment, l’Afrique n’a pas tiré la sonnette d’alarme malgré le désastre annoncé. Il est vrai que la plupart des pays du Continent ne se font pas remarquer par l’importance de leurs contributions à la cagnotte de l’ONU. Toutefois, une question mérite d’être posée : quels sont les États qui auraient les moyens d’ouvrir davantage leurs portefeuilles ? Ensuite, face aux pénuries annoncée, quelle va être la stratégie des ONG, très dépendantes de l’aide internationale et des dons ? Autant de questions encore en suspens.
La socialiste Micheline Calmy-Rey, ancienne présidente de la Confédération, reconnaît que la vie en Suisse est particulièrement chère, ce qui « complique l’installation des missions diplomatiques, en particulier pour les pays les plus pauvres ». Pour réaliser des économies, peut-être faudrait-il réduire les effectifs dans les sièges à Genève, et les augmenter dans les bureaux en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie. Par ailleurs, Calmy-Rey déplore que non seulement la Suisse ne maintenait pas son soutien à la Genève internationale (et donc à l’ONU), mais qu’elle le réduisait… « La contribution suisse à l’UNRWA [dont le patron, Philippe Lazzarini, est suisse] a été suspendue, et des coupes budgétaires touchent des institutions comme le Musé de la Croix-Rouge », déclare-t-elle dans la presse genevoise. Décidément, il y a bien le feu au lac.