La reprise des relations diplomatiques entre la Chine et le Niger a été officialisée le 19 août 1996 par le Président Ibrahim Baré Mainassara, plusieurs années avant les initiatives de l’actuel Président Mamadou Tandja, comme nous l’avons relaté dans le cinquième volet de notre série Niger (voir ci dessous). Nous revenons sur ce rapprochement entre Pékin et Niamey après avoir reçu un courrier très instructif de Djirila Baré Mainassara, le frère du défunt président Baré parvenu au pouvoir par un coup d’Etat et assassiné par le chef de sa garde en 1999.
Série Niger (5/5) : la Chine, premier partenaire stratégique
Le rapprochement avec Pékin dès 1996 n’est pas anecdotique. Il éclaire des dynamiques internationales qui poussaient, déjà, le Niger dans les bras de la Chine. Officiellement rétablies le 19 août 1996, dix jours seulement après la prestation de serment du Président Baré en tant que Président élu, ces relations avaient fait l’objet de démarches discrètes dès le lendemain du coup d’Etat.
Taïwan ou le chaos !
Or Djibrilla Baré Mainassara, le frère du Président d’alors et à ce titre témoin de ce rapprochement privilégié, nous livre un certain nombre de détails. « Les négociations devaient être rapides et confidentielles, nous écrit-il, en raison des possibilités de contre-offensive diplomatique de Taiwan, disposant de ressources financières non négligeables et ralliée par une frange importante de la classe politique nigérienne ». Et de poursuivre: «Les députés issus des deux législatures de 1993 et 1994 étaient largement acquis à Taiwan, comme les syndicats des travailleurs soucieux d’assurer les salaires de leurs membres.»
Dans ces années-là, profitant du tarissement des ressources financières des démocraties ouest-africaines émergentes, sous l’effet des programmes d’ajustement structurel imposés par les institutions financières internationales, puis de la dévaluation qui s’ensuivit, Taïwan avait déroulé une diplomatie agressive dite « du carnet de chèque ». Cette période est restée célèbre au Niger à travers le slogan «Taïwan ou le chaos !», apparu en 1992.
Avec l’aide de la Chine, le Président pensait aussi pouvoir mettre en oeuvre «un programme de développement économique ambitieux et cohérent en faveur des populations qui l’avaient élu et bénéficier de la puissance de la diplomatie chinoise ».
Dans ses positions pro-chinoises, Ibrahim Baré Mainassara assumait un double héritage : celui de son père, militant indépendantiste du parti Sawaba (écrasé par son rival pro-occidental du Rassemblement Démocratique Africain qui dirigea le Niger à l’indépendance) et celui du lieutenant-colonel Seyni Kountché, chef de l’Etat dont il fut le premier aide de camp, qui renversa le régime précédent le 15 avril 1974.
Petite et grande histoire du Niger
Pour comprendre la valse diplomatique du Niger, il faut en effet revenir aux luttes politiques intérieures de la fin des années 1950.
Le régime RDA de Diori Hamani, premier Président du Niger, s’est affirmé pro-Taïwan dès l’indépendance, la République populaire de Chine ayant soutenu la lutte armée menée par son rival et cousin du Sawaba, Djibo Bakary.
Logiquement, le Conseil Militaire Suprême (CMS) tombeur de Diori, rompit avec Taïwan pour se tourner vers la Chine. «Seyni Kountché savait qu’il pouvait compter sur ce grand pays travailleur pour réaliser la politique d’autosuffisance alimentaire qui lui était chère, au sortir de la grande famine de 1974», estime Djibrilla Baré Mainassara.
Dans sa jeunesse, le jeune officier avait, dit son conseiller, «lu et relu le Livre rouge de Mao Tsé Toung». Jeune officier, aux côtés du Président Kountché, Ibrahim Baré Mainassara avait visité la Chine. En tant que ministre de la Santé à la fin des années 80, «il avait apprécié l’efficacité de la mission médicale chinoise au Niger.»
« Sans remettre en cause les efforts fournis dans les années 2000 par le gouvernement de Tandja Mamadou au nom de la continuité de l’Etat», l’ancien conseiller présidentiel affirme que les travaux pour l’approvisionnement en eau de la ville de Zinder ont commencé sous le régime du général Baré, «dès la reprise des relations diplomatiques en août 1996.» Les études en vue de régler le problème d’approvisionnement en eau de la ville de Zinder, débutées dès la reprise des relations diplomatiques, ont été menées à terme. En effet la recherche hydrogéologique avec la coopération chinoise a mis en évidence deux (2) champs de captage très productifs au nord de Zinder, Aroungouza et Ganaram, pouvant couvrir les besoins en eau de la ville jusqu’à l’horizon 2025, et les ouvrages ont été inaugurés en 1998.»
La reprise de la coopération avec la Chine offrait, à en croire le conseiller du Président défunt, beaucoup de promesses, facilitées par le faible coût et la qualité de la main d’oeuvre chinoise et les capacités financières et technologiques de ce pays : l’exploitation du pétrole brut, qui verrait le jour longtemps plus tard, la construction d’infrastructures de BTP et de transport, l’équipement militaire – qui a permis de renforcer les capacités offensives de l’armée nigérienne contre la rébellion touareg en 1996 et 1997 – le développement de la filière coton, le transfert de technologies…
Fête anniversaire à l’ambassade de Chine
Le rôle joué par le Président défunt dans le rapprochement avec Pékin a été évoqué à l’occasion du cinquantenaire de la coopération entre les deux pays, célébré le 18 mai dernier lors d’une cérémonie à l’ambassade de Chine à Niamey. Les familles de Seyni Kountché, Baré Maïnassara et Tandja Mamadou y étaient invitées.
L’ambassadeur de Chine à Niamey, Jiang Feng, a rendu successivement hommage aux trois Présidents, tous officiers de carrière. Après avoir salué la vision du général Seyni Kountché auquel on doit la naissance de la «légendaire amitié» entre les deux pays, l’ambassadeur s’est attardé sur Ibrahim Baré Maïnassara, pour avoir, en 1996, «restauré ses relations diplomatiques avec la République populaire de Chine après quatre ans de rupture déplorable». «Grâce à la décision sage et clairvoyante du Président Baré Maïnassara, une nouvelle page d’amitié a pu être écrite entre la Chine et le Niger jusqu’à nos jours. La vision partagée qui a recommencé en cette année, s’est élargie à de nombreux domaines, jetant les bases d’une coopération solide et durable», a dit le diplomate.
Jiang Feng a, enfin, salué la contribution de Mamadou Tandja, dont le mandat «a été marqué par une intensification de liens entre la Chine et le Niger, avec des investissements significatifs dans divers secteurs, d’où naquît le fleuron industriel du Niger, le champ pétrolier d’Agadem.»
Le coup d’Etat d’Ibrahim Baré Mainassara était intervenu suite à un blocage institutionnel au sommet de l’Etat. L’officier avait ensuite été élu Président de la République, dans le cadre d’un scrutin contesté, après six (6) mois de transition militaire. Son assassinat, sur le tarmac de l’aéroport de Niamey par le chef de sa garde, a bénéficié de complicités au sein de la classe politique.