Le gouvernement israélien, réuni autour de son Premier ministre Benjamin Netanyahu, a approuvé ce mercredi 22 novembre dans la nuit de mardi à mercredi, l’accord prévoyant la libération d’une cinquantaine d’otages aux mains du Hamas en échange de la libération de cent cinquante prisonniers palestiniens et d’une trêve dans la bande de Gaza, selon un communiqué officiel.
« Le gouvernement a approuvé les grandes lignes de la première étape d’un accord selon lequel au moins 50 personnes enlevées – des femmes et des enfants – seront libérées pendant quatre jours au cours desquels il y aura une accalmie dans les combats », selon un communiqué officiel transmis à l’AFP.
Cet accord doit beaucoup au jeune et brillant Premier ministre qatari, Mohammed bin Abdulrahman bin Jassim al-Thani, qui en négociant avec les Israéliens et les Américains, a mis en évidence la diplomatie offensive menée ces dernières années par l’Émir du Qatar. Le petit Émirat, grand comme un département français, est devenu non seulement un médiateur incontournable au Proche-Orient, mais aussi un intercesseur efficace sur des dossiers sensibles, qu’il s’agisse de l’évacuation des Américains d’Afghanistan ou de la négociation entre la junte tchadienne et son opposition armée.
Nicolas Beau, envoyé spécial au Qatar
Lorsque Audrey Azoulay, l’ancienne ministre de la culture de François Hollande, avait été élue à la tète de l’Unesco le 13 octobre 2017, c’est en l’emportant sur un concurrent qatari, Hamad bin Abdoulaziz Al-Kawari. La surprise, c’est que cette victoire n’avait été obtenue que de justesse: trente voix pour la franco-marocaine, vingt huit pour son challenger malheureux au sixième tour de scrutin. D’un coté, nous avons une candidate soutenue par la diplomatie française et par des poids lourds comme l’Egypte et l’Arabie Séoudite, sans parler du coup de pouce que lui ont apporté les Américains et les Israéliens qui se retiraient alors de l’Unesco. En face, on trouve un candidat inconnu appuyé par le petit Qatar, 300000 habitants et à l’époque des ennemis en pagaille, dont notamment les frères ennemis séoudiens et émiratis qui lui reprochaient de ne pas mettre la min à la poche pour soutenir la guerre contre les milices chiites au Yémen.
Autant dire que la diplomatie qatarie que beaucoup à l’époque avaient enterré n’était pas si isolée sur l’échiquier mondial. « Le résultat de cette élection à l’Unesco, admet-on aujourd’hui à Doha, fut une divine surprise ». Le Qatar existait encore, malgré les mises en cause nombreuses liées à l’échec du printemps arabe, à l’affrontement avec les frères des Émirats et de l’Arabie Saoudite et aux campagnes des ONG contre les conditions de travail dans la construction des stades. Ce temps là est révolu.
Échappées belles à Doha
Pourquoi les rencontres au Qatar, des plus secrètes aux plus convenues, ont-elles eu un tel succès ? Cet attrait s’explique d’abord par le formidable sens de l’hospitalité des Qataris. Ces hommes du désert sont généreux et savent recevoir. L’auteur de cet article peut témoigner de l’ouverture d’esprit des équipes gouvernementales qui ont accédé au pouvoir ces dernière années.
Après avoir co signé avec Jacques Marie Bourget un livre fort critique sur « le vilain petit Qatar » à qui les auteurs reprochaient de ne pas appliquer toujours à eux mêmes le logiciel démocratique qu’ils voulaient voir adopter par leurs « frères » arabes, le journaliste a pu passer une semaine à Doha cet automne dans des conditions de liberté indéniables.
L’occasion de rencontrer des ministres, des hauts fonctionnaires ou des humanitaires, de prendre librement des photos ou encore et simplement, de se promener, sans escorte, dans cette incroyable ville futuriste saisie par la démesure. Les magnifiques piscines d’hôtels somptueux y ont la taille de lacs et les lacs, de mers intérieures. Le tout dans un ordonnancement futuriste et parfaitement maitrisé par les plus grands architectes du monde, dans une frénésie et un bouillonnement qui rappellent les villes mythologiques que sont New York ou Hong Kong. Une noria !
L’émirat est devenu une véritable tour de Babel, un ONU bis, où se côtoient les plus brillants intellectuels arabes, les représentants des Occidentaux, voire des Israéliens, ainsi que les opposants les plus radicaux, comme Abassi Madani, ex dirigeant algérien du défunt Front islamique du salut (FIS), la direction politique du Hamas ou des Tchétchènes venus du froid. Pour donner une épaisseur à cette vaste agora, les Qataris ont créé de grandes institutions intellectuelles et universitaires.
La mère de toutes les victoires contre l’ignorance aura été la Fondation de la cheikha Moza : huit ou dix milliards de dollars de dépenses annuelles, une « Cité de l’éducation » où sont conviées les plus grandes universités américaines.
Un acteur incontournable
Si le Qatar s’est imposé, c’est d’abord en raison du rôle que ce pays a joué dans les pourparlers entre les Taliban et l’administration Trump, avant de faciliter à la fois l’arrivée à Kaboul des journalistes occidentaux et le départ des réfugiés afghans. Deuxième levier de ce parcours sans faute, la réussite de la coupe mondiale de football, décriée au départ, a restauré -et combien!- l’image d’un Qatar qui avait su se mettre à niveau, ou presque, des standards internationaux en matière de droit du travail, d’après les rapports du Bureau international du travail(BIT) qui notent des avancées indéniables.
Le conflit israélo-palestinien aura toujours été l’objet de toutes les attentions de Doha. Le Qatar joue en effet le rôle d’intermédiaire entre le gouvernement israélien et le Hamas, le mouvement islamiste palestinien qui gère la bande de Gaza. Un financement qatari assure, avec l’accord ces dernières années des Israéliens, les fins de mois de l’administration palestinienne. Fin janvier 2023, Doha a aussi tenté aussi de relancer les négociations, bloquées depuis plusieurs mois, sur le nucléaire iranien.
Autre signe de cette reconnaissance internationale, l’Émirat participait cet hiver, à des réunions à Paris et à Beyrouth sur l’avenir du Liban aux cotés notamment des Égyptiens et des Émiratis avec qui les Qataris ont renoué après une brouille sévère.
Mais c’est certainement en Afrique, que le Qatar déploie actuellement la plus grande activité diplomatique, avec pas moins de trois ministres chargés de ce continent.. Doha est devenu la capitale où tout le monde africain se rend. À l’instar du dialogue qui s’est tenu à Doha entre le pouvoir tchadien et les différents groupes rebelles de Ndjamena.. Mohammed ben Abderrahmane Al-Thani s’est montré également très actif en Afrique de l’Est, Ethiopie, Mozambique, Somalie. C’est en Afrique Centrale qu’il a essayé de jouer les bons offices, pour réconcilier la République Démocratique du Congo et le Rwanda. Mais la mission s’avérait ardue, voire impossible. De plus, les anciennes et étroites relations entre le président Kagamé et l’émir Al-Thani ont attisé la méfiance de Félix Tshisekedi, le président congolais qui a fini par bouder l’offre de paix proposé par Doha en refusant de se rendre à Doha le 23 janvier 2023
Du Sahel à la Libye, il n’y a qu’un pas. Dans ce pays livré au chaos, le Qatar est très actif depuis le départ du dictateur libyen, Mouammar Kadhafi, au coeur de ce printemps arabe que Doha avait favorisé. Désormais et après avoir aidé le camp de Tripoli menacé par les visées du maréchal Haftar, soutenu par les Émirats arabes unis, le Qatar joue désormais les médiateurs pragmatiques en tentant un rapprochement avec son adversaire d’hier, l’Égypte du maréchal Sissi, pour trouver une porte de sortie au chaos qui dure depuis 2011.
Le saut de génération
Jusqu’à l’accession au pouvoir en 1995 de « Hamad bin Khalifa Al-Thani », le père de l’actuel Émir, le Qatar n’était qu’un pays nain et délaissé. Or le petit Émirat, grand comme une fois et demie le département du Maine et Loire, carbure désormais grâce à l’or noir dont la capacité d’exportation a explosé avec la guerre en Ukraine: 77 millions de tonnes exportées aujourd’hui, 126 millions de tonnes très prochainement dont 74% vers l’Asie. C’est ainsi un ministre de l’énergie apparemment optimiste, Saad Sherida al-Kaabi, qui reçoit notre petit groupe de journalistes.
L’allure du ministre est jeune, sportive, son anglais parfait et ses éléments de langage précis, carrés. L’approche se veut consensuelle quand il affirme que la Russie reviendra dans le jeu un jour ou l’autre. « Les guerres prennent fin, les trèves sont signées et les choses finissent par évoluer ». Le propos, pimenté par quelques traits d’humour, est pragmatique: « C’est très sexy lors des élections d’annoncer que l’ère du gaz est terminée, mais ce n’est pas réaliste ».
Un véritable saut de génération s’est produit au Qatar avec l’accession au pouvoir parfaitement maitrisée de l’Émir actuel, Tamim ben Hamad Al Thani, et la nomination, dans la foulée, de Mohammed ben Abderrahmane Al-Thani comme vice Premier ministre puis Premier ministre. « Le pire est à venir pour les pays occidentaux », prévient le ministre de l’énergie qui vient de signer avec le groupe Total, cet automne, deux accords gaziers sur vingt sept ans. Et de regretter, sans précaution excessive, que les pressions des écologistes ailleurs puissent dans certains pays ralentir les investissements. On a compris que, sur ce terrain, le Qatar ne nourrit aucun complexe.
La ville de Doha brille toute la nuit de mille feux, tout en abritant de grandes expositions sur la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique. Tout comme ses dirigeants parviennent à parler à la fois à la direction du Hamas, aux diplomates américains et aux émissaires israéliens. Il y faut beaucoup de sang froid, un gout incontesté du secret, une capacité relationnelle remarquable et un certain sens du billard à six bandes.
L’art de l’équilibre est devenu la marque de fabrique du Qatar, le seul pays sans doute sur la planète à avoir réussi dans la terrible crise que connait le Moyen Orient à parler à tout le monde.