Le pouvoir sénégalais se venge des magistrats qui avaient emprisonné Sonko

Le vendredi 11 août 2024, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a profité des vastes changements dans les différentes juridictions du pays pour se débarrasser des magistrats qui avaient emprisonné l’opposant Ousmane Sonko, devenu depuis Premier ministre.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

Les magistrats impliqués dans le dossier du viol supposé sur une masseuse, imputé autrefois à Ousmane Sonko, alors opposant à Macky Sall, ont été mutés, vendredi 12 août 2024, loin de Dakar, à l’occasion des changements survenus dans les différentes juridictions du pays et qui ont donné lieu à de vastes mouvements d’affectation.

Ainsi, le doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance hors classe de Dakar, Oumar Maham Diallo qui avait poursuivi Ousmane Sonko pour divers délits dont ceux de « association de malfaiteurs » et « vol » de portable a été muté à Tambacounda comme président de chambre. Tandis que le procureur de la république, Abdou Karim Diop, qui avait poursuivi l’opposant dans le cadre de la même affaire a été nommé avocat général à la cour d’appel de la même ville. Il y sera d’ailleurs aux côtés de Mamadou Seck, jusqu’alors juge au tribunal de grande instance de Dakar.

 

Vengeance froide

Ils ont tous en commun d’avoir joué un rôle dans le dossier dit « Sweet Beauty » du nom de cette affaire de viol présumé par Ousmane Sonko sur une masseuse de Dakar en 2021. A l’époque, les partisans de l’opposant avaient manifesté leur colère et provoqué des émeutes meurtrières dans tout le pays. Ousmane Sonko avait toujours clamé son innocence mais il avait été rattrapé par une autre affaire de « corruption de la jeunesse » tout aussi problématique.

En tant que président du conseil supérieur de la magistrature, Bassirou Diomaye Faye, a ainsi formellement participé à la prise de cette décision de mutation desdits juges envoyés à près de 500 km de la capitale, particulièrement dans une région connue pour ses piques de chaleur pouvant aller jusqu’à 43 °C en été.

En revanche, plusieurs magistrats ont été promus. Dont Sabassy Faye, qui avait demandé la réintégration d’Ousmane Sonko dans les listes électorales. Lui, quitte Ziguinchor, dans le sud, pour Fatick, au centre du Sénégal, où il sera désormais le président du tribunal de grande instance.

 

Création d’un pool judiciaire financier

Le gouvernement s’est également montré inflexible sur la question de la mauvaise gouvernance. Un pool judiciaire financier a été créé et il va désormais remplacer la cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). 27 juges y ont d’ailleurs été affectés lors de ce vaste mouvement. Ils seront chargés de traquer les délinquants financiers et ils sont répartis en 5 groupes sous la houlette du procureur de la république financier El Hadji Alioune Abdoulaye Sylla, ancien avocat général près de la Cour suprême.

L’ancien parti au pouvoir, l’Alliance pour la République (APR) a salué cette mesure même si par-delà elle, elle s’inquiète de la stratégie du pouvoir d’instrumentaliser cette juridiction pour organiser une prochaine chasse aux sorcières. D’autant plus que, à ses yeux, le président de la République dit avoir diligenté des enquêtes sur les 27 magistrats avant de les nommer.

C’est donc une manière de se choisir ses propres magistrats, accuse-t-elle le pouvoir, ce qui est un pied de nez à l’indépendance de la justice, en ont d’ailleurs pesté plus d’un. Mais pour Ibrahima Hamidou Deme, ancien magistrat et candidat recalé de la dernière présidentielle, la reddition des comptes est une procédure normale. Ce qui l’est moins, c’est que l’exécutif décide toujours de la carrière des magistrats, dit-il.

En réponse à ces critiques, le porte-parole de la présidence Ousseynou Ly, a, pour sa part, ironisé dans un tweet en écrivant que si dans cet exercice tout aussi normal, on y voit une prétendue « chasse aux sorcières » c’est parce qu’on se considère « sorcière ».