Les Camerounais face au rendez vous historique de la Présidentielle

 
À plus de 90 ans, le président camerounais Paul Biya, n’assume plus la gestion quotidienne du pays. Il a accordé une délégation permanente de signature au Secrétaire général de la présidence Ferdinand Ngoh Ngoh qui dirige, en réalité le Cameroun, en tandem avec la première dame Chantal Biya.
 
Alors que la prochaine présidentielle est prévue cet automne, la guerre de succession fait rage entre les clans rivaux, dont celui de Franck Biya, fils aîné du président Biya. Un contexte d’incertitudes qui rappelle celui de la Guinée en 2008 où l’armée s’était emparé du pouvoir au lendemain du décès du président Lansana Conté.

Comme dans toute tyrannie, note Timba Rema dans l’analyse qu’il nous livre ci dessous pour Mondafrique et que nous remercions, « le Cameroun est devenu dès la fin des années 80 un pays où triomphe en toute majesté le faux, avec cette perversion singulière qui consiste à transformer par une opération de prestidigitation matinée de termes juridiques pompeux le faux en vrai et le vrai en faux ».

Timba Bema, écrivain.

La loi, nous le savons bien, est conçue et interprétée par les puissants pour maintenir leur position de force. L’empire du faux est rendu possible par la paupérisation des Camerounais qui a connu sa première vague dans les années 90 avec la mise à mort progressive de l’étatisme économique, et dans les années 2000 avec la reprise de l’endettement pour financer de grands projets énergétiques, infrastructurels et sportifs qui se sont soldés par une gabegie hors du commun, accroissant le poids de la dette dans les dépenses publiques et surtout réduisant le PIB par habitant de 11 %. Sur 43 années d’un règne sans concession, Paul Biya a appauvri les Camerounais désormais à la merci de leurs gouvernants qui, à travers l’administration, contrôlent tous les aspects de leurs vies et peuvent les briser pour un oui ou pour un non, grâce au pouvoir quasi divin de la signature.

C’est que l’administration est l’émanation de l’état colonial qui ne tenait ensemble les Camerounais que par la violence et par la ruse, l’autre nom de la manigance. N’ayant pas été refondée après le 1er janvier 1960, elle a conservé les habitus coloniaux tels que le mépris, l’arrogance, des attitudes qui n’ont pas produit l’unité nationale tant exaltée, mais le repli tribal, et un désir de plus en plus affirmé de fédéralisme sinon de restauration comme en Ambazonie. C’est ce pays mis en lambeaux par Paul Biya, ce sont ces Camerounais rendus misérables par le même homme qui vont aborder l’élection présidentielle du 12 octobre 2025.

Les oppposants en prison

Le Cameroun est en crise successorale depuis le 24 décembre 1997, date où le journal Le messager du regretté Pius Njawé titra sur le malaise cardiaque de Paul Biya en pleine finale de la coupe du Cameroun. Il venait alors d’être fraichement reconduit avec le score soviétique de 92,57 % des voix. Dans une tyrannie, la santé du tyran est le seul gage de son aptitude à régner. Cette faiblesse physique est un signal pour différents acteurs, y compris dans son propre camp. On peut citer Victor Ayissi Mvondo, son éternel rival, Titus Edzoa, son médecin personnel, Marafa Hamidou Yaya, Jean-Marie Atangana Mebara et d’autres figures du groupe dénommé G11.

En jetant tous ses prétendants en prison ou en les faisant disparaître, Paul Biya a démontré la fébrilité de son régime. Il a surtout mis en exergue une gouvernance fondée sur la guerre des clans qui se neutralisent entre eux. Mais, le point culminant de la crise successorale est atteint en 2016 quand les Camerounais le voient marcher d’un pas lent, hésitant, preuves de sa certaine déchéance physique. Tous ont compris de façon subliminale que Paul Biya était fini. Les signes aussi évidents de la décrépitude du tyran expliquent le déclenchement de la guerre d’indépendance d’Ambazonie et même le courant de sympathie suscité par Maurice Kamto lors de la présidentielle de 2017 et par la suite. L’élection du 12 octobre se produit donc au stade terminal de cette crise successorale, ce qui en fait un évènement important dans la vie de la nation. En raison de la guerre des clans interne au gouvernement, le secrétaire général de la présidence Ferdinand Ngoh Ngoh qui exerce désormais une parcelle du pouvoir présidentiel ne peut pas directement orchestrer un coup d’État au risque d’être immédiatement stoppé par les autres camps. Alors, par ruse, il suscite la nouvelle candidature de Paul Biya comme une solution intermédiaire assurant à tous et à chacun de maintenir ses positions acquises. 

Aucun consensus en vue

L’enjeu de l’élection est de savoir s’il va résoudre la crise successorale. La reconduction de Paul Biya apparait comme une manœuvre de ses héritiers afin de repousser l’échéance décisive. Ce qui est le signe de son impréparation et surtout de son incapacité à dégager une figure de consensus.

D’autre part, la possibilité d’une prise de pouvoir par l’opposition est fortement incertaine pour plusieurs raisons, y compris dans l’hypothèse d’une participation de Maurice Kamto au scrutin. D’abord, l’administration territoriale, un acteur majeur du processus électoral ne fait pas montre de neutralité comme en témoignent les interventions de Paul Atanga Nji qui s’est très aisément glissé dans les habits et les mœurs de l’administrateur colonial.

Ensuite, Elecam, l’organe chargé d’organiser et de superviser l’élection n’est pas réellement indépendant. Sa crédibilité est entachée par plusieurs obstacles à l’enrôlement dans le fichier électoral, son toilettage n’est pas optimal et pourtant les informations sont disponibles dans les administrations concernées. Elle a également fait preuve de laxisme en acceptant des candidatures qui étaient incomplètes au moment où elles étaient déposées.

Mais, le plus grave est que la liste des candidats retenus circulait déjà la veille de la proclamation officiellement. Normalement, Elecam aurait dû intervenir pour dénoncer cette liste et annoncer une enquête interne. Cette omission décrédibilise cet organisme qui fait semblant de se plier au jeu de la transparence. Plus grave, dans sa liste des candidats retenus figurent des personnes comme Hilaire Nzipang n’a jamais été investi par le Mouvement Progressiste qui l’avait pourtant signifié à Elecam dès le 22 juillet, sans compter que le motif invoqué pour éliminer Maurice Kamto à savoir « pluralité de candidatures » de son nouveau parti, le MANIDEM est tout aussi applicable à Paul Biya et à bien d’autres candidats, puisque sa décision n’est en rien justifiée. Enfin, au terme du processus électoral se trouve le Conseil constitutionnel qui a la caractéristique de refuser de dire le droit en dernier ressort, ce qui signale encore plus ouvertement que le Cameroun est un état de non-droit. Le processus électoral étant contrôlé de bout en bout par le RDPC, le résultat de l’élection du 12 octobre est connu d’avance, à moins que le peuple camerounais fasse entendre sa voix, non seulement dans les urnes, mais surtout dans la rue. La raison en est que l’administration territoriale à travers ses diverses manigances, ainsi que Elecam ont propulsé le pays dans une crise préélectorale. En ce sens que plusieurs candidatures, dont celles du principal challenger de Paul Biya, ont été rejetées à la suite de manœuvres déloyales et non conformes au droit.

Ferdinand Ngoh Ngih, le successeur? 

Ferdinand Ngoh Ngoh, le régent du Cameroun

Le peuple camerounais a ici la preuve que Ferdinand Ngoh Ngoh n’est pas prêt à renoncer à sa parcelle de pouvoir acquise ainsi que les autres acteurs majeurs du régime Biya qui se reproduit non plus seulement en cooptant de nouvelles personnalités, mais en plaçant ses propres enfants à des postes stratégiques, réveillant l’hypothèse d’une résolution de la crise successorale par une transmission dynastique de Paul à Franck Biya.

La crise préélectorale ne connaîtra pas son dénouement dans les prochains jours au niveau du Conseil constitutionnel, ni dans les mois qui suivront. La crédibilité du processus électoral est entachée de façon définitive, ce qui n’offre aucune assurance sur la sincérité des résultats qui seront communiqués en début novembre. À moins que les Camerounais rappellent à leurs gouvernants qu’ils sont le peuple, que le peuple est souverain et donc maître de son destin. Le pays est engagé dans une descente aux enfers, qui peut encore être stoppée par un peuple courageux et conscient de son devoir de résoudre dès à présent la crise successorale, sinon celle-ci sera prise en charge par d’autres acteurs sans garantie aucune que la paix sera préservée. Par peuple, il faut entendre la jeunesse, qui a toujours été majoritaire dans la démographie contemporaine du pays. Plus spécifiquement, l’avant-garde de cette jeunesse est constituée par les étudiants qui, depuis 1954, sont en première ligne des batailles pour le changement. Leur implication dans la présente crise préélectorale ouvrira des perspectives nouvelles pour l’espérance.

Le Cameroun est un peuple d’élites, et ces élites, à travers les étudiants doivent donner l’impulsion du changement en disséminant dans l’espace public les idéaux de liberté et de justice, qui sont ceux pour lesquels le peuple dans son écrasante majorité peut se mobiliser. En aucun cas il ne s’agit de monter au créneau pour un homme, pour un parti politique, mais pour un idéal de société dont les phares sont la liberté et la justice.

La conquête de la liberté est inscrite dans la logique historique camerounaise depuis 1884, année de l’asservissement des Camerounais. Quant à la justice, elle exprime ce besoin de dépasser l’arbitraire et la violence comme moyens de gouverner en détruisant la part de lumière que les individus portent en eux.