Le strategic hedging – ou équilibre stratégique – permet de comprendre les changements diplomatiques rapides et parfois surprenants des Etats du Golfe
Comment concevoir que l’Arabie Saoudite prenne ses distances avec les Etats Unis, se rapproche de la Chine puis réclame aux Etats Unis la mise en place d’un parapluie sécuritaire en échange d’une reconnaissance d’Israël ? Comment comprendre que les Etats du Golfe renouent avec l’Iran tout en cherchant à se rapprocher d’Israël ? Comment interpréter la réception à Ryadh des dirigeants Houthis que la monarchie saoudienne combattait férocement depuis plusieurs années ?
Le concept de « strategic hedging » que l’on peut traduire par « couverture stratégique » ou « équilibre stratégique » est au cœur de la diplomatie des Etats du Golfe. Le strategic hedging se caractérise par une position d’équilibre entre puissances concurrentes ou entre menaces potentielles.
Cet « équilibre » est atteint par la diversification des partenariats et des alliances diplomatiques, économiques et sécuritaires. L’Iran peut bien ouvrir une ambassade à Ryadh, cela ne signifie pas que la rivalité entre les deux puissances du Golfe a disparu, ou que l’Arabie plie le genou devant la suprématie militaire iranienne. Il s’agit seulement d’organiser une pause et de donner du temps au temps pour que la rivalité évolue sans effusion de sang, tout en évitant de devenir trop dépendant d’un seul allié ou partenaire.
À l’écart de la rivalité Pékin/Washington
Se rapprocher de la Chine tout en réclamant la protection des Etats Unis signifie que les pays du Golfe entendent rester à l’écart de la rivalité entre les États-Unis et la Chine. Et laisser la Chine négocier le rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran est un message envoyé à l’administration américaine : l’Arabie Saoudite n’est pas un vassal de l’Amérique qui ouvre les robinets du pétrole et baisse les prix quand cela convient à Washington.
Cette notion de « strategic hedging » ne vise pas seulement les Etats Unis ou la Chine. Les États du Golfe se sont beaucoup rapprochés de l’Inde ces dernières années et les échanges économiques et technologiques entre l’Inde et les Etats du Golfe (154 milliards de dollars au cours de l’exercice 2021-2022) se sont multipliés. Mais simultanément, l’Arabie saoudite a resserré ses relations avec le Pakistan, rival régional de l’Inde.
Les Émiratis au coeur
Ce concept d’ « équilibre stratégique » vaut aussi pour les Etats du Golfe entre eux. L’initiative de coopération trilatérale lancée par la France, l’Inde et les Émirats arabes unis indique l’importance du rôle international d’Abou Dhabi. Ce micro-Etat n’est pas un vassal de l’Arabie Saoudite et il est aussi en position de jouer un rôle dans la région Indo-Pacifique. Les liens croissants entre les Émirats arabes unis et la Corée du Sud sur les fronts sécuritaire et économique sont autant une marque du pivotement des États du Golfe en direction des puissances asiatiques que d’une nouvelle prise de distance entre eux et avec les Etats Unis.
De même, le Qatar a accentué ses efforts pour forger des liens étroits avec les puissances asiatiques, notamment l’Inde, le Japon et la Corée du Sud.
Au fur et à mesure que l’Asie émerge comme la principale puissance économique (50 % du PIB mondial d’ici 2040), les États du Golfe se singularisent comme partenaires autonomes dans la région Indo-Pacifique, mais aussi zone pivot entre l’Asie et l’Occident.
Un monde multipolaire, c’est un monde ou les blocs se multiplient, ou les rivaux d’hier et de demain s’observent et se surveillent sans s’empêcher de nouer des relations économiques profitables à chacun.
Ce n’est pas parce que c’est nouveau, que ça fonctionnera. Au lieu de quelques relations fortes, ils préfèrent multiplier des relations, fragilisées par des suspicions de trahisons. Surtout que les saoudiens et les émiratis s’y connaissent en coups de couteaux dans le dos. À voir !