Le nouveau président libanais, Joseph Aoun, bouleverse l’échiquier libanais

L’élection de Joseph Aoun à la présidence du Liban marque un tournant dans l’histoire du pays. Son ascension fait suite à d’intenses querelles politiques entre le cartel politique libanais et ce que l’on appelle le « duo chiite », qui a d’abord fait pression sur des candidats alternatifs tels qu’Elias Baissari et Jihad Azour. L’échec de ces efforts reflète l’immense pression exercée, tant au niveau international que national, pour sortir de l’impasse politique.

Une chronique de Magali Rawan

Montagne du Mont Liban au-dessus de la Vallée de la Qadisha, Hadshit, Liban-Nord, Liban

Une question cruciale pour l’avenir du Liban est de savoir si ce résultat est le signe d’un affaiblissement des pouvoirs en place, d’une diminution de leur influence ou simplement d’une capitulation stratégique face à la « carotte et au bâton » de l’extérieur. La présidence de M. Aoun pourrait également indiquer l’étendue de l’influence régionale déclinante de l’Iran, qui est, pour l’instant, le plus grand perdant après le 7 octobre. Si tel est le cas, le Liban pourrait enfin avoir l’occasion de tracer une voie indépendante. Toutefois, les défis à relever sont considérables et le moindre faux pas pourrait avoir des conséquences catastrophiques.

Pour réussir, le président Aoun doit se concentrer sur des impératifs fondamentaux tels que le respect de l’accord de Taëf, le lancement d’une réforme, la prévention des troubles civils et le maintien de l’intégrité territoriale du Liban dans un contexte d’instabilité régionale. À ces défis intérieurs s’ajoute un développement important dans le paysage régional plus large : les deux principaux camps – Turquie/Qatar et EAU/KSA – semblent avoir accepté, aux dépens de l’Iran et du Hezbollah, d’épargner le Liban des différends qu’ils traversent en Syrie. Cette rare entente pour maintenir le Liban en tant que zone neutre souligne l’importance fragile mais vitale de protéger le pays des effets déstabilisants des rivalités régionales. L’ASK a démontré que, lorsqu’elle le veut, elle exerce encore une grande influence au Liban après plus d’une décennie d’interruption. Un tel accord offre au Liban une occasion unique de se reconstruire et de se réformer sans devenir un champ de bataille pour des conflits extérieurs. Toutefois, il confère également une plus grande responsabilité au président Aoun, qui doit veiller à ce que cette neutralité soit préservée et mise au service de la stabilité et du progrès de la nation.

Le poids du leadership

Le président Aoun doit se concentrer sur des impératifs fondamentaux tels que le respect de l’accord de Taëf

Dans son discours d’investiture, le président Aoun a fait preuve d’une compréhension aiguë des défis auxquels le Liban est confronté. Il s’est engagé à mettre pleinement en œuvre l’accord de Taëf et ses principes, notamment l’indépendance judiciaire, l’intégrité institutionnelle et une loi électorale reflétant l’essence de l’accord. En reconnaissant que la crise de la gouvernance au Liban est enracinée dans une mauvaise gestion systémique, la corruption politique et la mauvaise application des lois, M. Aoun a donné un ton clair et courageux à sa présidence.

Sa promesse d’agir en tant qu’arbitre équitable au sein des institutions libanaises et sa déclaration selon laquelle « la justice est la seule garantie pour chaque citoyen » soulignent sa détermination à démanteler la culture de l’impunité qui gangrène le pays depuis des décennies. Toutefois, la bonne gouvernance ne sera pas atteinte si Aoun n’insiste pas d’abord sur l’introduction d’un règlement intérieur des institutions de l’État, en commençant par la présidence, la primature et l’armée, à l’instar des institutions qui fonctionnent dans les pays démocratiques.

Ces règlements constitueraient une base structurelle pour garantir la responsabilité et réduire l’ingérence politique dans les opérations institutionnelles. Cependant, ces ambitions doivent être accompagnées d’actions immédiates et concrètes afin d’éviter qu’elles ne deviennent des discours creux ou des promesses non tenues.

La nécessité de lois d’application

Le nouveau président devrait s’attacher en priorité à combler les lacunes critiques du cadre constitutionnel libanais de l’après-Taif en mettant en œuvre les lois d’application attendues depuis longtemps et essentielles à une gouvernance efficace et à la responsabilisation des institutions. Il s’agit notamment de promulguer des lois pour réglementer les fonctions présidentielles et ministérielles, réformer le système électoral, garantir l’indépendance de la justice, mettre en œuvre la décentralisation administrative, organiser l’armée, réglementer les agences de sécurité et restructurer les médias. En se concentrant sur ces réformes, le président peut favoriser l’unité nationale, le développement durable et restaurer la confiance dans les institutions de l’État. Des décennies après l’accord de Taëf, ces lois fondamentales n’ont toujours pas été promulguées, laissant la gouvernance du Liban incomplète et inefficace. Le nouveau président doit prendre des mesures audacieuses pour rompre ce cycle de stagnation, rendre ces réformes opérationnelles et tenir la promesse d’un État fonctionnel et équitable.

Réforme judiciaire et loi électorale

La réforme judiciaire sera la pierre angulaire de la présidence d’Aoun. Sa promesse, la première de tous les présidents précédents depuis René Moawad, de garantir l’indépendance du système judiciaire – dans ses aspects administratifs, pénaux et financiers – est révolutionnaire dans un système où la justice sélective a été la norme. Rétablir la confiance dans le système judiciaire nécessitera une feuille de route claire avec des étapes et des échéances tangibles, ainsi qu’une transparence dans l’exécution. La réforme de la loi électorale est tout aussi cruciale, car elle est essentielle au démantèlement de l’emprise du système féodal et de la mafia politique libanais. Comme M. Aoun doit s’en rendre compte, tout compromis ou écart par rapport aux principes de l’accord de Taëf sur ce front compromettrait la crédibilité de sa présidence et les perspectives de réformes significatives au Liban.

Relever les défis économiques 

L’effondrement économique du Liban exige une action immédiate et audacieuse. L’accent mis par le président Aoun sur les réformes économiques et la préservation des principes de l’économie de marché est essentiel, mais il doit être étayé par un plan global de restructuration de la dette, de contrôle de l’inflation et de réforme du secteur bancaire. L’un des dividendes de ce plan devrait être le remboursement des épargnes des déposants dans les banques en faillite. Des partenariats internationaux, notamment avec le FMI et la Banque mondiale, pourraient apporter un soutien indispensable, mais ils nécessiteront un consensus politique et un alignement institutionnel, autant de défis que M. Aoun doit s’efforcer de relever sans relâche. L’argent de l’aide à la reconstruction ne devrait pas, contrairement aux années de Fouad Siniora et de son ministre des finances Jihad Azour, être distribué au duo chiite pour qu’il le disperse et récupère ses pertes politiques au sein de sa base. Au contraire, cette aide devrait être assortie de conditions. Parallèlement, il est essentiel de s’attaquer au système sectaire enraciné du Liban. Bien que le discours inaugural de M. Aoun ait évoqué l’unité, il doit s’attaquer à ces réalités sans s’aliéner les principales parties prenantes ni exacerber les tensions existantes. Cet équilibre délicat sera crucial pour préserver le pacte national et éviter de sombrer dans la partition, la violence sectaire ou un conflit civil pur et simple.

La position de M. Aoun sur la souveraineté du Liban et le droit exclusif de l’État à porter des armes représente une rupture audacieuse avec des paradigmes dépassés tels que « l’armée, le peuple, la résistance ». Toutefois, il faudra faire preuve de perspicacité stratégique et d’une diplomatie calculée pour naviguer dans la relation complexe avec le Hezbollah, répondre aux préoccupations régionales en matière de sécurité et maintenir la fragile stabilité du Liban. Le président devrait s’armer de la légitimité de la mise en œuvre de l’accord d’armistice de 1949 avec Israël après la libération de tous les territoires libanais occupés, comme le stipule le document du pacte national. Les retombées actuelles de la guerre civile en Syrie et le risque d’une recrudescence de la violence sectaire doivent rester au premier plan de son programme de politique étrangère.

Les saboteurs prêts à agir

La présidence du président Aoun comporte des enjeux existentiels. S’il ne tient pas ses promesses, il risque d’être considéré comme le dernier président du Liban tel que nous le connaissons. Les défenseurs du système féodal, saboteurs de la réforme, sont nombreux, profondément enracinés et acharnés à maintenir le statu quo. M. Aoun doit se protéger avec toutes les garanties prévues par l’accord de Taëf, en veillant à ce que son administration reste concentrée sur les réformes et la stabilité, tout en évitant les mesures qui pourraient involontairement provoquer le chaos ou la division.

La présidence de Joseph Aoun représente une occasion unique pour le Liban de sortir des cycles de stagnation et de crise qui ont marqué son histoire récente. Sa vision audacieuse et ses engagements, s’ils se concrétisent, pourraient marquer le début d’un nouveau chapitre pour la nation. Toutefois, le chemin à parcourir est semé d’embûches et la marge d’erreur est très mince. Pour réussir, le président Aoun doit combiner une détermination inébranlable avec un pragmatisme stratégique, en veillant à ce que sa présidence soit un tournant pour le Liban plutôt qu’une note de bas de page dans son déclin.

La compétition régionale plombe la Présidentielle libanaise