Le Parti de la justice et du développement d’orientation islamiste a annoncé l’élection d’Abdelilah Benkirane le 27 avril 2025 pour un nouveau mandat à la tête du Parti de la justice et du développement (PJD) jusqu’en 2028.
Premier ministre islamiste entre 2011 et 2016 sous la férule de Mohammed VI, Abdelillah Benkirane avait été marginalisé au sein de son mouvement après les élections législatives qui avaient marqué la fin de son mandat.
Abdelilah Benkirane, qui avait été écarté de ses fonctions de secrétaire général du PJD sur pression, a été réélu neuf ans aprèslors du neuvième congrès national près de Casablanca. L’ancien Premier ministre marocain semble décidé à marquer son retour sur la scène politique par des déclarations fracassantes et un passage en force qui ne plaisent guère en haut lieu, comme le raconte la chronique Mohammed El Abbouch
La rédaction de Mondafrique
Les récentes sorties d’Abdelillah Benkirane, qui empiètent sur les domaines réservés par la tradition et par la constitution au Roi Mohamed VI, et aussi sensibles que l’armée, la religion et les affaires étrangères, soulèvent une question brûlante : Benkirane va-t-il trop loin, au risque de déstabiliser l’équilibre politique de la monarchie marocaine où un parlement doté de véritables fonctions dont celle de désigner le parti majoritaire dont sera issu le Premier ministre cohabite avec le Palais royal dont les prérogatives sont déterminantes et inaliénables au coeur du pouvoir ? Ni tout à fait une monarchie parlementaire, ni vraiment un pouvoir royal absolu, le Maroc invente un modèle démocratique original.
Des lignes jaunes franchies

Lors d’une réunion du secrétariat général du PJD le 31 mai 2025, Benkirane a franchi une nouvelle ligne rouge en critiquant ouvertement la participation de l’armée israélienne à l’exercice militaire multinational African Lion 2025 Co-organisé par les Forces Armées Royales et les forces américainesl. « L’entrée du corps israélien dans notre pays en ce moment et sa participation à quelque activité que ce soit n’est admissible ni légalement ni démocratiquement », a-t-il déclaré. Une prise de position audacieuse, voire inédite, étant donné le statut quasi-sacré de l’armée marocaine, traditionnellement intouchable par les partis politiques.
Cette attaque s’inscrit dans ce qui apparait comme une série de provocations dans le système marocain borduré par un strict partage des pouvoirs. À peine réélu, Benkirane s’en est pris au président français Emmanuel Macron, qu’il a qualifié de « personne sans valeur aucune » pour son inaction présumée sur la question palestinienne.
Le leader islamiste n’a pas épargné non plus Donald Trump, président des États-Unis, ni le ministre marocain des affaires islamiques, critiqué pour ses propositions de réforme du Code de la Famille. Benkirane a même menacé d’organiser une « marche du million » pour s’opposer à toute modification législative qu’il juge contraire à la charia, en accusant les réformateurs de vouloir « altérer la parole divine ».
Un positionnement stratégique pour 2026
Que cherche Benkirane avec cette offensive tous azimuts ? Pour certains observateurs, il s’agit d’une stratégie bien rodée pour mobiliser l’électorat islamiste en vue des élections de 2026. Le PJD, affaibli depuis sa cuisante défaite électorale de 2021, cherche à se redynamiser. En se posant comme le fer de lance de la cause palestinienne et le défenseur des valeurs islamiques, Benkirane tente de rallier les sympathisants conservateurs et de redonner un souffle à son parti. Sa rhétorique, centrée sur un « référentiel islamique » et une critique virulente des puissances étrangères, pourrait séduire une base électorale sensible à ces thématiques.
Mais cette stratégie n’est pas sans risques. En s’attaquant à des institutions aussi fondamentales que l’armée ou en défiant des alliés stratégiques du Maroc, comme la France et les États-Unis, Benkirane s’aventure sur un terrain glissant. Dans le contexte de la tradition chérifienne, où le Roi détient l’autorité suprême sur les questions religieuses, militaires et diplomatiques, ces déclarations pourraient être perçues comme une atteinte à l’ordre établi. Certains murmurent déjà qu’un « appel téléphonique » pourrait bientôt inviter Benkirane à se consacrer à ses petits-enfants et à son jardin, une manière polie de lui demander de se retirer de la scène publique.
Un scénario à la syrienne ?
D’autres analystes vont plus loin et se demandent si Benkirane ne joue pas un jeu plus ambitieux, voire dangereux. En attisant les tensions et en adoptant un discours populiste, cherche-t-il à reproduire un scénario à la syrienne, inspiré par son « confrère » Acharaa qui appartient comme lui à la mouvance des Frères Musulmans? Une telle hypothèse, bien que spéculative, alimente les débats dans les cercles politiques marocains. Benkirane, conscient de l’influence de son verbe, pourrait vouloir tester les limites du système, quitte à provoquer une crise politique majeure.
Le Maroc, connu pour sa stabilité dans une région tumultueuse, repose sur un équilibre délicat entre les institutions monarchiques et les forces politiques. En s’attaquant à des domaines réservés au Roi, Benkirane met à rude épreuve cet équilibre. Ses prises de position, bien qu’elles puissent galvaniser une partie de la population notamment sur une solidarité sans concessions avec les Palestiniens, risquent de lui aliéner les élites et les institutions. La question est désormais de savoir jusqu’où il ira avant qu’une réaction ne vienne freiner ses ardeurs.
Benkirane, la reconquète…jusqu’où?
Dans un pays où l’unité nationale incarnée par la monarchie est un pilier du régime, Benkirane joue un jeu à haut risque. S’il parvient à mobiliser les foules, il pourrait redonner au PJD une place centrale sur l’échiquier politique. Mais s’il va trop loin, il pourrait se retrouver marginalisé, voire contraint au silence.
Une nouvelle mise à l’écart est-elle à craindre pour le leader islamiste? Il en avait connu une en 2016, et des plus sévères, quand il a voulu, après des législatives remportées largement par son mouvement, imposer au souverain marocain qu’l le reconduise dans ses fonctions de Premier ministre? Ce que ce dernier n’avait pas souhaiter faire. L’Histoire marocaine nous renseigne que conformément aux usages de la tradition chérifienne, il se pourrait que Benkirane reçoive une communication téléphonique lui conseillant de se retirer dans ses pénates pour se vouer entièrement à l’art d’être grand père.
Quand le leader islamiste marocain Benkirane rencontrait Mondafrique