L’État libanais, poussé par les pressions américaines et les promesses d’aide, engage un bras de fer feutré avec le Hezbollah sur la question de son désarmement. Autant des avancées notables de l’armée libanaise en faveur du désarmement du Hezbollah, le mouvement chiite pro iranien, danns le sud du pays, comme le note le Wall Street Journel, auant la partie n’est pas gagnée dans le reste du pays. Entre compromis fragile entre les partis libanais, menaces de mobilisation des milices et jeux régionaux, le Liban marche sur un fil.
Le Premier ministre libanais Nawaf Salam, juriste chevronné et ancien représentant du Liban à l’ONU, a adopté depuis sa nomination une posture de fermeté républicaine. Son message est constant : « Il ne peut y avoir d’autorité parallèle à l’État. Sur tout le territoire libanais, l’État doit détenir le monopole des armes. » (Wall Street Journal, mai 2025) — une déclaration qui a d’ailleurs servi d’ouverture à cet article, tant elle incarne la ligne directrice du gouvernement dans ce bras de fer silencieux avec le Hezbollah.
En coulisses, le Hezbollah ne nie pas les discussions autour de son désarmement progressif – ou, pour employer un euphémisme, « la réorganisation des priorités de défense ». Il a envoyé des signaux en ce sens à Baabda, mais aussi à Paris et à Doha, qui jouent un rôle de médiation discret. Le mot « désarmement » banni du vocabulaire officiel du Hezbollah, mais il se décline dans des formules moins explosives : « transfert de compétences », « mutualisation des responsabilités », ou « fusion des réseaux de défense ».
En permettant à l’armée libanaise d’intervenir au Sud sans confrontation directe, le Hezbollah achète du temps, se repositionne, et tente de préserver son cœur stratégique plus au nord : la Bekaa, les banlieues sud de Beyrouth et la zone frontalière du Hermel. Pour lui, le Sud est aujourd’hui une zone tampon, moins vitale qu’avant, surtout dans un contexte d’érosion de ses capacités logistiques.
Le tout ou rien du Premier ministre libanais

Mais derrière cette posture républicaine sur le désarmement du Hezbollah, l’affaire est autrement plus complexe. Depuis la fin de la guerre avec Israël en novembre 2024, un nouveau chapitre semble s’ouvrir, marqué par des avancées inédites dans le Sud libanais… et des interrogations abyssales sur ce que cela signifie réellement pour la souveraineté de l’État libanais, l’équilibre communautaire, et la place de la Résistance chiite dans la structure politique nationale.
La dernière confrontation militaire entre Israël et le Hezbollah a été d’une intensité rarement atteinte depuis 2006. Le déclenchement des hostilités, la riposte massive du Hezbollah, puis l’escalade régionale ont placé le Liban au bord du gouffre. En novembre 2024, sous la pression internationale et grâce à une médiation américaine, un cessez-le-feu est obtenu. Ce cessez-le-feu, resté en grande partie confidentiel dans ses termes exacts, incluait, selon des fuites dans la presse, un engagement du gouvernement libanais à restaurer l’autorité de l’État au sud du fleuve Litani – une exigence déjà formulée par la résolution 1701 adoptée après la guerre de 2006, mais jamais réellement mise en œuvre.
Pour la première fois, l’armée libanaise s’est engagée activement dans le démantèlement des infrastructures militaires du Hezbollah au sud du Litani, une zone historiquement considérée comme chasse gardée de la milice chiite. Selon le Wall Street Journal, l’opération a été rendue possible grâce à une coopération logistique indirecte entre Israël, les États-Unis et Beyrouth. Des services de renseignement israéliens, relayés par des officiers américains, ont permis à l’armée libanaise d’identifier plusieurs dépôts d’armes et tunnels stratégiques, rapidement neutralisés.
Une avancée « surprise » saluée par Tel-Aviv

Un haut gradé israélien cité par le WSJ s’étonne :« Nous observons que, dans beaucoup d’endroits, l’armée libanaise est bien plus efficace que prévu. » C’est dire si les attentes étaient faibles. Mais de manière inattendue, les unités régulières libanaises ont su déployer une stratégie de terrain qui a surpris même les analystes militaires israéliens. À tel point que l’armée israélienne, selon le même article, se dit « satisfaite » du processus. Des progrès que le Premier ministre Nawaf Salam a quantifié ainsi :
« Le Liban a rempli 80 % des objectifs de désarmement des milices dans le Sud. »
Nawaf Salam
Là encore, cette communication du Premier ministre libanais est doublement stratégique : elle vise à rassurer les partenaires internationaux, tout en envoyant un signal au Hezbollah que les lignes rouges ne sont plus intangibles.
Ce qui, hier encore, paraissait impensable – à savoir une coopération sécuritaire, même indirecte, entre Israël et l’armée libanaise – semble avoir été enclenché de facto. Le Wall Street Journal évoque des sources arabes haut placées pour confirmer que des données précieuses sur les caches d’armes du Hezbollah ont été « livrées par l’entremise des Américains ».
Ce passage à l’acte, même limité géographiquement au sud du Litani, constitue un précédent historique. Il interroge le statut du Hezbollah dans l’architecture sécuritaire nationale, ainsi que le rôle qu’il prétend encore incarner en tant que « bouclier de la Résistance ».
Pour la première fois depuis deux décennies, une ouverture se dessine. Le Hezbollah, affaibli sur plusieurs fronts, pourrait être contraint de réévaluer sa trajectoire. L’organisation fait face à une accumulation de pressions : isolement régional croissant, usure de son ancrage populaire — notamment auprès d’une jeunesse chiite de plus en plus désillusionnée —, essoufflement de son soutien iranien fragilisé par les crises internes à Téhéran, et pressions économiques et diplomatiques sans précédent.
Le « containment » de l’Iran
Dans un Liban économiquement exsangue, les promesses américaines prennent des allures de levier décisif. Un plan non officiel, présenté à Baabda en mars 2025, prévoit que les États-Unis – avec le soutien de la France, du Qatar et de la Banque mondiale – pourraient débloquer jusqu’à 6 milliards de dollars en aides et investissements pour les infrastructures.
Mais cette manne est conditionnée à plusieurs exigences : la reprise en main sécuritaire des zones frontalières, le démantèlement des groupes armés non étatiques, et l’ouverture d’un dialogue formel sur la neutralité du Liban face aux conflits régionaux. Le volet militaire du package prévoit l’envoi d’équipements non létaux – drones, radars, systèmes de surveillance – pour renforcer les capacités de l’armée libanaise. Un geste salué mais jugé insuffisant par certains responsables locaux, qui espéraient des garanties plus robustes pour affirmer l’autorité de l’État face au Hezbollah.
Derrière cette offre structurée se profile en réalité une stratégie américaine plus large : celle du « containment » ciblé de l’Iran. Car pour Washington, désarmer le Hezbollah revient à sectionner un maillon clé de l’arc d’influence qui relie Téhéran à Beyrouth, en passant par Bagdad et Damas. Un document confidentiel du Département d’État, cité par Foreign Policy, le formule sans détour : « Le désarmement du Hezbollah constitue la clef de voûte d’une politique de démilitarisation des proxys iraniens au Levant. »
Cette « stratégie de containment actif » vise à affaiblir l’appareil militaire iranien déployé par procuration, tout en maintenant des ouvertures diplomatiques ailleurs – notamment sur le dossier nucléaire. Dans cette perspective, le Hezbollah n’est plus seulement un acteur libanais, mais un pion d’une partie géopolitique qui le dépasse. Sa neutralisation progressive serait, pour Washington, une étape vers la redéfinition des équilibres régionaux.
La crainte de la guerre civile
Un autre volet du dispositif américain touche à la réforme de l’armée libanaise. Washington continue d’être son principal bailleur, avec un financement annuel qui dépasse les 160 millions de dollars. Toutefois, les États-Unis maintiennent une ligne rouge claire : aucune assistance ne doit servir à provoquer un affrontement direct avec le Hezbollah. Ce paradoxe est assumé. Un haut fonctionnaire du Pentagone, interrogé par Al-Monitor, résume la ligne : « Nous voulons que l’armée libanaise soit forte… sauf contre le Hezbollah. »
Pourquoi ? Parce que le risque d’une guerre civile reste trop élevé. Le désarmement doit donc se faire par l’usure politique et la dissuasion économique, non par la force. Un équilibre délicat que Washington tente de maintenir en armant discrètement l’État… tout en évitant un clash frontal avec la milice chiite.
Les États-Unis ne sont pas seuls à bord. Depuis le début de l’année 2025, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite sont revenus en force sur la scène libanaise, via des fonds de reconstruction et des canaux diplomatiques. Leur stratégie rejoint celle de Washington, avec une différence : le désarmement du Hezbollah est pour eux un objectif existentiel, non seulement stratégique.

Le Qatar tente de jouer les médiateurs. Il offre des garanties financières conditionnées à des concessions mutuelles : retrait progressif du Hezbollah de certaines zones, désarmement des factions palestiniennes, et engagements politiques de neutralité.
Cette diplomatie financière tisse un réseau d’incitations. L’idée sous-jacente : changer la structure incitative du Hezbollah lui-même, en le rendant dépendant – ou au moins perméable – à une dynamique de normalisation politique.
Jusqu’où ira Washington ?
Une question demeure en suspens : jusqu’où les États-Unis sont-ils prêts à pousser leur stratégie ? Si le Hezbollah se montre disposé à engager une forme de repli contrôlé – qu’il s’agisse d’une intégration partielle à l’appareil d’État, d’un transfert progressif de ses armes ou d’une redéfinition de son rôle – un compromis pourrait s’esquisser. Mais en cas de refus catégorique, le Liban risque de retomber dans une impasse faite de pressions extérieures et de blocages internes.
Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump a misé sur une approche de « longue haleine », qui combine érosion lente, reconfiguration institutionnelle et mobilisation des forces internes favorables à un État fort. Washington cherche moins le choc frontal que l’affaiblissement progressif, misant sur les failles structurelles du Hezbollah et la lassitude croissante d’une partie de la population.
Le Liban, lui, se tient à un carrefour critique. Pour la première fois depuis 2006, un désarmement partiel du Hezbollah est envisageable. Ce léger frémissement, observable surtout dans le Sud, ne doit pas masquer la fracture profonde entre deux discours : celui de l’État, qui évoque l’unité et la souveraineté, et celui du Hezbollah, qui continue à se présenter comme l’unique garant de la Résistance contre Israel, une posture qui lui a réussi face à la très longue occupation israélienne.
Deux visions irréconciliables, deux récits concurrents sur la légitimité du pouvoir. Et une question centrale, toujours irrésolue : qui détient – et veut réellement assumer – le monopole de la force sur le territoire libanais ?
L’exemple palestinien : un précédent à relativiser
Un développement récent met en lumière une autre voie possible : en avril, selon le Wall Street Journal, l’armée libanaise a démantelé une cellule palestinienne ayant tiré des roquettes depuis un camp. Ce coup de force, bien que limité, prouve que l’État peut désarmer un groupe armé sans affrontement généralisé – à condition que le contexte soit favorable.
Mais ce précédent a ses limites. Les groupes palestiniens n’ont ni l’ancrage communautaire, ni le réseau politique, ni la puissance de feu du Hezbollah. Leur désarmement n’engendre pas les mêmes risques ni les mêmes répercussions internes. Ce cas illustre surtout une constante : l’État libanais agit lorsque le prix politique est acceptable.
La vérité est difficile à admettre, mais largement partagée en coulisses : le Liban n’exerce pas une pleine souveraineté sur son territoire. Cette souveraineté est fragmentée, négociée, et soumise à des rapports de force internes. Le Hezbollah en a parfaitement conscience, tout comme l’armée, les chancelleries étrangères, et les acteurs régionaux.
Le désarmement du Hezbollah ne peut donc être imposé par décret ou par la force. Il ne peut résulter que d’un processus lent, encadré, basé sur des contreparties claires et des garanties solides. Le terme exact n’est sans doute pas « désarmement », mais « dissolution progressive » – une érosion planifiée de la puissance militaire du parti, rendue possible par la pression internationale, l’évolution des équilibres internes, et un deal politique qui sauve la face à toutes les parties.
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