Au cœur de la nouvelle séquence de violences qui a vu un convoi logistique de la MINUSCA tomber dans une embuscade, la milice Azandé Ani Kpi Gbé (AAKG), instrumentalisée par le pouvoir centrafricain et ses alliés russes, s’emploie à repousser les rebelles peuls de l’UPC dans le sud‑est du pays. Dans cette région du Haut-Mbonou où les mercenaires de l’AAKG sèment la terreur, le ressentiment de la population abandonnée par l’État est profond. L’élection présidentielle risque d’être le détonateur d’un embrasement populaire que le régime s’acharne à minimiser.
La rédaction de Mondafrique
En l’espace de quarante‑huit heures, six Casques bleus ont été tués et onze autres blessés au Soudan et en République centrafricaine, rappelant la précarité dans laquelle opèrent les soldats de la paix dans les zones les plus inflammables du continent. Le samedi 13 décembre, des frappes de drones ont ciblé la base logistique des forces onusiennes à Kadougli, au Kordofan du Sud, fauchant six militaires bangladais et en blessant neuf autres alors qu’ils servaient au sein de la Force intérimaire de sécurité des Nations unies pour Abyei, région pétrolifère disputée par le Soudan et le Soudan du Sud depuis 2011.
Le lundi suivant, une cérémonie d’hommage s’est tenue à Abyei avant le rapatriement de leurs corps vers le Bangladesh, pendant qu’en Centrafrique un convoi logistique de la MINUSCA tombait dans une embuscade à une vingtaine de kilomètres de Zémio, dans le Haut‑Mbomou, attribuée à des combattants du groupe armé zande Azandé Ani Kpi Gbé.
Très vite, Bangui et ses alliés russes du groupe Wagner voient dans la milice Azandé Ani Kpi Gbé (AAKG) un instrument commode : en mai 2024, environ deux cents de ses hommes sont intégrés dans l’armée nationale et placés sous commandement russe, officiellement pour renforcer la lutte contre l’UPC. Ce qui devait être un atout sécuritaire s’est transformé en engrenage incontrôlable : indiscipline, refus d’obéissance, exactions contre des civils peuls et affrontements ouverts avec les forces régulières comme avec les paramilitaires russes, laissant derrière eux près de deux cents morts et des milliers de déplacés en deux ans.
L’épisode Azandé Ani Kpi Gbé met crûment en lumière les failles du partenariat sécuritaire scellé depuis 2018 entre le président Faustin‑Archange Touadéra et Moscou. Loin de pacifier le sud‑est, les unités liées à Wagner ont nourri les tensions par des exécutions sommaires, des bombardements indiscriminés et des campagnes de représailles contre des communautés entières accusées de complicité avec les groupes armés. Déjà fragilisée par le manque de moyens et les clivages identitaires, l’armée centrafricaine se retrouve prise dans une spirale où ses alliés supposés – miliciens zandé comme mercenaires russes – deviennent tout à tour partenaires, rivaux ou adversaires, brouillant la frontière entre force publique, supplétifs et bandes armées.
Douze ans après le coup d’État de 2013, la composition des forces armées reste profondément traversée par les lignes de fracture communautaires. L’intégration de milices d’autodéfense telles que l’AAKG n’a en rien consolidé la cohésion nationale ; elle a au contraire fragmenté davantage la chaîne de commandement et vidé de sa substance la politique nationale de défense adoptée fin 2024, censée jeter les bases d’une armée neutre, professionnelle et représentative de la diversité centrafricaine. Plutôt que d’édifier une institution républicaine, le pouvoir a assumé une militarisation identitaire à géométrie variable, enrôlant des groupes armés selon les besoins du moment avant de les marginaliser ou de les combattre dès qu’ils ne répondent plus à l’agenda du régime.
Le Haut‑Mbomou, l’angle mort
Dans ce contexte, le Haut‑Mbomou apparaît, à l’approche des élections de décembre 2025, comme l’angle mort qui fait vaciller le récit triomphal d’un pays apaisé que répètent à l’envi les hérauts du pouvoir. Certes, certaines régions ont bénéficié d’un regain de sécurité grâce au redéploiement de l’État et à l’affaiblissement de plusieurs rébellions, mais le sud‑est demeure traversé par les retombées des crises régionales, notamment au Soudan du Sud, et par la circulation continue d’armes et de combattants.
Au final, cette configuration explosive engage directement la responsabilité des autorités de Bangui dans l’escalade des violences. Au lieu de bâtir patiemment une armée nationale, le pouvoir a exploité les fractures ethniques comme instruments de contrôle, manipulant les ressentiments locaux et intégrant des milices selon des calculs de court terme. En s’adossant tour à tour à des combattants zandé, à des paramilitaires russes ou à certains groupes armés, le régime cautionne de fait les exactions, les massacres et les violations massives des droits humains commis contre les civils, détournant la fonction première de l’armée, qui cesse d’être une force protectrice pour devenir l’un des vecteurs d’une domination identitaire. À la veille du scrutin, cette poudrière du Haut‑Mbomou menace de faire voler en éclats l’illusion de stabilité que le pouvoir tente d’imposer dans son narratif électoral au reste du pays.

























