Après plus de trois mois d’interruptions et de reprises marquées par des batailles procédurales et des manœuvres dilatoires notamment de la défense, le procès de l’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz a repris ce lundi devant la Cour chargée des crimes économiques.
Moussa Ould Samba Sy
Après lecture de l’acte d’accusation, le président du tribunal donna la parole à Ould Abdel Aziz qui a nié en bloc les accusations en affirmant qu’il avait laissé le pays dans une situation financière enviable. Puis ce fut le tour des témoins qui se sont succédé à la barre pour apporter des éclairages sur leurs relations avec l’accusé, qui fait face à plusieurs chefs d’accusation, dont l’enrichissement illicite, le détournement de fonds publics, l’abus de pouvoir, et la dilapidation des biens fonciers de l’Etat.
Main basse sur les écoles
Premier témoin clé, Ba Ousmane, ancien ministre de l’éducation nationale sous le mandat d’Aziz, qui a notamment détaillé comment il avait reçu des instructions pour soustraire sept écoles de la carte scolaire et de les mettre à la disposition du ministère des Finances pour procéder à leur vente. L’ancien ministre a notamment affirmé que ces écoles accueillaient encore des élèves et qu’aucune étude du ministère n’avait été faite avant cette action et que le ministère manquait cruellement de salles de classe.
Deuxième témoin, Selmane Ould Brahim, un homme d’affaires proche de l’ancien pouvoir, celui-ci a expliqué qu’il avait des relations avec l’ancien président depuis très longtemps et que ce dernier lui confiait des fonds qu’il lui gardait et qu’il mettait à sa disposition dès qu’il en faisait la demande. Au moment de son interpellation il détenait sur lui un milliards cent millions d’ouguiya (environ trois millions d’euros).
Poursuivant sa déposition, Selmane Ould Brahim affirma que les fonds lui étaient toujours remis en personne par l’ancien président à la présidence et les derniers en date s’élève à un million de dollars qu’il lui avait remis en cash. Selmane avait aussi affirmé que l’ancien président lui avait demandé de lui acheter dix camions de transport de poisson ce qu’il fit et il remit le reliquat des fonds soit un peu plus de deux millions d’euros aux enquêteurs. Moment clé de son témoignage Selmane affirma qu’il avait bénéficié de trois marchés sans appels d’offres que lui avait accordés l’ancien président et pour adoucir la pilule il souligna que ses prix étaient très concurrentiels
L’École de la police squattée
Troisième témoin, le général Ahmed Becrine ancien directeur général de la Sureté nationale a affirmé notamment que c’est l’ancien président lui-même qui l’avait appelé au téléphone pour lui demander de mettre à la disposition du ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme une portion de l’Ecole Nationale de Police. C’est sur cette portion qu’a été érigée une vingtaine de locaux commerciaux et d’appartements qui appartiennent à l’ancien président et qui sont aujourd’hui retenus par la Justice.
Le Président du tribunal, le juge Ammar Ould Mohamed El-Amin, a appelé à la barre un quatrième témoin, l’homme d’affaire Bahay Ould Ghadda. Après lui avoir rappelé qu’il était désormais sous serment, lui a expliqué qu’il avait été convoqué pour éclairer la cour sur le financement d’une clinique appartenant à l’un des accusés (Ould Abdel Aziz) dont il a personnellement supervisé le financement, et qui est érigée sur un terrain découpé du Stade Olympique et sur les fonds qu’il lui avait confiés.
Bahay Ould Ghadda a confirmé que l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz lui confiait fréquemment des fonds en liquide. Parfois il retirait une partie de ce argent. Un jur, l’ex chef d’état l’a sommé de donner 1,2 milliards d’ouguiya (plus de trois millions d’euros) à un entrepreneur pour financer cette clinique. Bahay a notamment affirmé que l’ancien président lui remettait l’argent toujours en liquide, dollars ou euro, et parfois en monnaie locale. La totalité des fonds dépassait les 5 milliards d’ouguiya (13 millions d’euros).
L’ex président Aziz tente de justifier sa fortune par l’argent de l’étranger
Les avocats de la défense ont tenté de discréditer les témoignages en mettant en avant le manque de preuves matérielles et en soulignant que certaines accusations reposaient sur des déclarations de personnes ayant subi des pressions. Ils ont également argué que la longue durée des procédures judiciaires et les multiples reports du procès étaient autant de preuves de l’acharnement du pouvoir actuel contre leur client. Les avocats d’Aziz ont également réitéré leur position selon laquelle les témoignages et les preuves présentées sont motivés par des considérations politiques et personnelles et ne constituent pas une preuve irréfutable de la culpabilité de leur client.
Des zones d’ombre
Le procès se poursuivra avec d’autres témoins à charge et à décharge, ainsi qu’avec l’examen des preuves présentées par l’accusation. Les observateurs s’attendent à ce que cette affaire révèle encore de nombreuses zones d’ombre et soulève des questions essentielles les pratiques affairistes qui avaient cours sous la présidence de Ould Abdel Aziz.
Alors que le procès se poursuit, l’opinion publique mauritanienne découvre avec sidération les pratiques peu orthodoxes de ce pouvoir qui se posait en champion de la lutte contre la gabegie.
Le procès de l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz est loin d’être terminé, et les prochains jours promettent de révéler davantage de détails sur les accusations portées contre lui. Les Mauritaniens et la communauté internationale attendent avec impatience les développements de cette affaire, qui pourrait avoir des répercussions majeures sur l’avenir politique et économique de la Mauritanie et un impact considérable sur la culture de l’impunité dans ce pays.
L’ex Président Mohamed Ould Abdel Aziz jugé à partir du 25 janvier