Au moment où Donald Trump accorde un permis de corrompre aux entreprises américaines à l’étranger, une affaire rattrape des sociétés espagnoles. Elles auraient payé des fonctionnaires algériens pour obtenir les marchés d’une usine de dessalement à Souk Tleta et d’une ligne de tramway à Ouargla.
Par Ian Hamel
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Pendant très longtemps, l’achat de “conscience“ d’intermédiaires étrangers était non seulement tolérée mais autorisée. Les entreprises pouvaient même déduire de leurs impôts les commissions versées à l’étranger. Les commissions permettaient de grappiller des rétrocommissions. Il suffisait de prétendre que le ministre africain ou asiatique avait réclamé dix millions, alors qu’il se contentait de la moitié, pour se mettre le reste dans la poche. La situation a (un peu) changé en 1977 avec le Foreign Corrupt Pratices Act (FCPA) qui interdit aux États-Unis de corrompre les responsables étrangers. Le 2 janvier 2025, El Confidential, journal numérique espagnol, a révélé que trois sociétés espagnoles et deux anciens députés du Parti populaire ne devraient plus échapper à un procès concernant deux dossiers de corruption en Algérie (1).
Les deux affaires sont anciennes, mais les protagonistes n’ont jamais cessé d’engager des recours pour bloquer la justice. La première : en 2009, l’entreprise espagnole Elecnor enlève le marché de la construction d’une usine de dessalement à Souk Tleta, dans la wilaya de Tlemcen, pour 250 millions d’euros. Cette usine, inaugurée en 2011, profiterait à 300 000 habitants. L’Algérie a fait de dessalement d’eau de mer l’une de ses priorités, avec l’ambition que ses usines fournissent à l’avenir 60 % de l’eau consommée dans le pays. Dès 2015, « Le Courrier de l’Atlas », se référant au quotidien espagnol « El Mundo », écrit qu’une entreprise espagnole a « versé des pots de vin à des cadres de la société algérienne ADE (l’Algérienne des Eaux).
Sociétés en Irlande et en Suisse
La publication cite les noms de Gustavo de Aristegui, ancien ambassadeur d’Espagne en Algérie, et de Pedro Gomez de la Serna, député du Parti populaire espagnol. Les deux hommes ont été inculpés en 2020. Ils sont soupçonnés « d’avoir facilité l’obtention des contrats et leurs versements via leur société de conseil Voltar Larssen, qui était mandaté par Elecnor ». Le montant des pots-de-vin ? 3,2 millions d’euros, dont 2 millions pour des fonctionnaires algériens. Le montage est, comme à son habitude, fort compliqué afin de rendre la vie impossible aux enquêteurs. L’Espagnol Elector a d’abord versé les 3,2 millions d’euros à Emerald Business Consulting, une société irlandaise. Puis, comme de coutume, des fonds s’égaillent vers les bords du lac Léman.
La justice espagnole peut alors s’appuyer sur les investigations du Ministère public de Genève, comme le révèle le site Gotham City. Trois sociétés sont impliquées, Vistra Geneva SA, « qui gérait les comptes d’Emerald à l’Allied Irish Bank », Beaulac SA (radiée en 2020 du Registre du commerce) et Confinor SA (liquidée en 2021) (2). Scénario apparemment assez semblable en ce qui concerne la construction de la première ligne de tramway d’Ouargla (9,7 kilomètres), marché obtenu en 2013 pour 230 millions d’euros par le consortium espagnol Elecnor, Assignia et Rover Alcisa. En juillet 2016, reprenant les informations du journal numérique El Confidential, la presse algérienne titre : « Corruption : pots-de-vin espagnols dans les projets de Tlemcen et Ouargla ». Elle évoque des dessous de table versés à des « responsables algériens et leurs familles à hauteur de deux millions d’euros ».
Y-aura-t-il finalement des coupables ?
Après des années d’investigations, ces deux affaires vont enfin être jugées. Mais les coupables – s’il y en a – pourront encore fait appel, et même aller jusqu’à la cour européenne des droits de l’homme. Seront-ils finalement sanctionnés ? Lundi dernier, le président américain a ordonné par décret la suspension des poursuites dans le cadre de la loi « anticorruption ». Donald Trump considère que le Foreign Corrupt Practices ACT (FPCA) « nuit activement à la compétitivité économique américaine et, par conséquent, à la sécurité nationale ». D’autres pays risquent-ils suivre l’exemple américain ?
- José Maria Olmo, « La Audiencia deja al borde del banquillo a Elector, Aristegui y Del la Serna por amanos en Argelia ».
- « Trois sociétés genevoises au cœur d’une affaire de corruption en Algérie », 12 février 2025.