Le crime de penser dans la Tunisie de Kaïs Saïed

22 ans de prison pour un Président. 66 ans pour des opposants. 48 ans pour un penseur. 15 ans pour une dénonciation imaginaire. Des condamnations à la chaîne. Des verdicts dictés. Des juges transformés en bourreaux

Bienvenue en Tunisie, version Kaïs Saïed.

Cherbib Mouhieddine du CRLDHT

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Condamné à 22 ans de prison, Moncef Marzouki — premier président élu après la révolution — est sanctionné pour avoir tenu tête à l’effondrement démocratique, pour avoir élevé la voix quand d’autres se taisaient, et défendu, jusqu’au bout, ce qu’il restait d’un idéal en train de mourir.

UNE PURGE DE GRANDE AMPLEUR

C’est cela, le nouveau code pénal tunisien : toute critique devient complot, toute voix dissidente, une menace d’État.

Avec le président Marzouki, d’autres personnalités engagées et respectées sont également prises pour cible : Imed Daimi, candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2024 ; Abderrazak Kilani, ancien bâtonnier ; Abdel Nasser Naît-Liman, président de l’Association des victimes de la torture à Genève ; et Adel Mejri, son secrétaire général.

Il ne s’agit pas d’une erreur judiciaire. Il s’agit d’un plan. D’une purge.

Mehdi Ben Gharbia, homme d’affaires et ancien ministre, aujourd’hui condamné à 8 ans de prison pour des infractions fiscales, en toute illégalité, au mépris de l’article 55 du Code pénal. Un cas d’école d’acharnement judiciaire, d’instrumentalisation politique et de vengeance d’État. Il sera jugé en juillet pour « complot contre la sûreté de l’État ». La mécanique est bien huilée : quand l’un tombe, on prépare le suivant.

Sahbi Atig, ancien député, accusé dans une affaire délirante de blanchiment d’argent, construite sur les déclarations contradictoires d’un voleur condamné qui, sept ans plus tard, dit s’être trompé de maison. Aucun élément matériel, aucun témoin crédible, aucune logique juridique. Et pourtant, 15 ans de prison. Pourquoi ? Parce qu’il appartient à l’opposition.

Walid Jalled, poursuivi sous couvert de corruption et de blanchiment, alors que les juges ferment les yeux sur les vrais corrupteurs, les proches du régime. Leurs procès sont une mascarade : témoins incohérents, preuves absentes, demandes de la défense ignorées. On juge non pas des actes, mais des trajectoires. On punit ceux qui osent exister en dehors de la ligne imposée par le palais de Carthage.

Et pour ceux qu’on n’arrive pas à faire taire, on invente des crimes : Elyes Chaouachi, accusé de terrorisme pour avoir nommé les juges responsables de la détention de son père, Ghazi Chaouachi. Une accusation aussi absurde que sinistre. Une vengeance froide d’un régime à bout de souffle.

DANS LES GEOLES, L’HUMANITE S’EFFACE

Sonia Dahmani, avocate, chroniqueuse, réduite au silence par la vengeance d’État. Cinq poursuites, des conditions carcérales dignes d’un régime totalitaire : interdiction de nourriture chaude, harcèlement, humiliations, pressions sur les codétenues. Une femme libre qui paie le prix fort pour avoir dit « non ».

Khayem Turki, enfermé dans une cellule où la lumière ne s’éteint jamais. « J’aimerais voir la nuit », dit-il. Il n’est pas seul.

Moncef Amdouni, en grève de la faim, harcelé, humilié, privé de sommeil, menacé de mort par un codétenu « envoyé spécialement pour lui ».

Hattab Ben Othman, syndicaliste, victime d’un procès bancal et reporté, car même la justice ne sait plus comment cacher ses contradictions.

SOLIDARITE AVEC LES RESISTANTS

Nous saluons ici le combat inébranlable de Moncef Marzouki. Qu’on l’aime ou pas, qu’on ait soutenu ou critiquer ses choix, une vérité demeure : sous sa présidence, aucun opposant n’a été emprisonné pour ses idées. Aucun journaliste n’a été traîné en justice pour ses mots. Aucun juge n’a été limogé pour avoir osé l’indépendance.

Ce n’est pas un homme que l’on juge. C’est l’héritage d’une révolution que l’on enterre.

Nous disons ici notre solidarité sans faille avec toutes les prisonnières et tous les prisonniers politiques : Sonia, Sahbi, Mehdi, Khayem, Elyes, Hattab, Moncef, Walid… Avec tous ceux que ce régime tente d’écraser pour continuer à régner par la peur. Vous n’êtes pas seuls. Nous refusons l’oubli. Nous refusons l’inversion des rôles où les bourreaux se déguisent en juges et les résistants deviennent des criminels.

À tous les magistrats qui se taisent, qui exécutent, qui condamnent sans conscience : vos robes sont tachées.

À ce régime sans légitimité : nous vous le disons. Vous perdrez. Car aucune dictature n’a jamais résisté à l’élan d’un peuple libre.