Le colonel Michael Randrianirina au pied du mur à Madagascar

Le colonel Michael Randrianirina, à la tête du contingent militaire qui a renversé le président malgache Andry Rajoelina mardi 14 octobre, a été investi « président de la refondation » de Madagascar. Cette homme de 51 ans avait été condamné pour « atteinte à la sûreté de l’État » l’an dernier.

La prochaine désignation par les militaires audes membres du gouvernement après celle d’un Premier ministre, Herintsalama Rajaonarivelo, lié au régime précédent et contesté par une partie du peuple malgache, et les premières mesures prises dans la foulée permettront d’apprécier dans quelle mesure le nouveau patron de Madagascar, le Colonel Mickael Randrianirina, est décidé à se conformer à l’aspiration populaire.

Daniel Sainte-Roche

Le régime de Andry Rajoelina a été balayé par les manifestations qui ont débuté le 25 septembre 2025 à Madagascar. Initiés par trois conseillers municipaux d’Antananarivo en signe de protestation contre les coupures fréquentes d’eau et d’électricité, les mouvements sociaux ont été relayés par une nébuleuse regroupée sous l’étiquette « Génération Z ».

Devenues nationales, et se muant en une contestation plus large fustigeant la corruption et la mauvaise gouvernance, les manifestations pacifiques ont été sévèrement réprimées par Rajoelina et sa clique militarisée, faisant une trentaine de morts et des centaines de blessés. Sous la pression de la rue, le gouvernement de Christian Ntsay est dissous.

L’écroulement du régime

Le 11 octobre, les militaires du Capsat refuse l’ordre de tirer sur la population et rejoint les manifestants. La mythique place du 13 mai- là où toutes les révolutions malgaches depuis 1972 ont démarré- est investie. L’ensemble des forces de l’ordre (armée, gendarmerie et police nationale) finit par suivre le CAPSAT, et le président est alors exfiltré le 12 octobre par un avion-cargo de l’armée française pour le permettre de fuir à La Réunion puis à Dubaï. 

A une vitesse Tgv, en deux semaines, le régime Rajoelina s’est ainsi écroulé. Devant la vacance du pouvoir, La Haute Cour Constitutionnelle transfère le pouvoir au Colonel Mickael Randrianirina, qui désigne un nouveau Premier ministre proposé par l’Assemblée nationale, en la personne de Herintsalama Rajaonarivelo.  Mais cette nomination est loin d’apaiser la tension, car des voix s’élèvent d’ores déjà pour réclamer son limogeage. 

Ainsi, le K.F.I.M (Comité central de réforme de Madagascar) affirme que le profil du nouveau premier ministre ne répond pas aux exigences d’une réforme complète, notamment en raison de son implication alléguée avec Mamy Ravatomanga dans de nombreuses affaires controversées, dont des cas d’enrichissement illicite et de grande corruption révélés dans « l’affaire CNAPS » (Caisse nationale de prévoyance sociale). « La nomination du Premier ministre Herintsalama Rajaonarivelo et le gouvernement qu’il formera est inacceptable, car il ne répond pas aux exigences d’une réforme complète », affirme ce comité qui exige le démantèlement de toutes les institutions étatiques de la IVe République et l’instauration d’un système de transition doté d’une charte acceptée par tous.

Rejetant la culture de l’impunité, ce comité encore inconnu du grand public projette de descendre sur la place du 13 mai le vendredi 31 octobre 2025 prochain, espérant avoir la sympathie de ceux qui, nombreux, ont été sceptiques devant la nomination du nouveau premier ministre.

Le poids des pays voisins !   

De leur côté, les partisans du président déchu comptent organiser quotidiennement des meetings sur cette fameuse place du 13 mai. Il est vrai cependant que le parti TGV a été largement affaibli, notamment avec la défection des 80% de ses parlementaires élus, lesquels ont récemment  déclaré se soumettre désormais au nouveau pouvoir. Envisagées sous cet aspect, les gesticulations des caciques rescapés du parti de l’ex-président paraissent motivées par l’espoir de ne pas être écartés du jeu quand viendra l’heure de la médiation que semble concocter la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe).

En effet, l’organisation régionale- dont la présidence pour un mandat de deux ans a été confiée à Andry Rajoelina en aout 2025- se trouve dans une situation délicate.  A priori hostile à toute manœuvre pouvant constituer une menace pour la paix, la stabilité et l’ordre démocratique d’un pays membre, la SADC n’est cependant pas sans savoir que le maintien d’Andry Rajoelina au pouvoir s’est fait par des holdup électoraux répétés.

Pour la petite histoire, l’on se souvient qu’aux lendemains des élections présidentielles de 2018, la SADC a exigé une   réforme des lois électorales, y inclus la réforme totale de la composition des membres de la HCC et de la CENI. Devant la réticence du régime de l’époque, une mission lourde du SADC a été programmée pour « forcer la main » au gouvernement. Mais le régime Rajoelina fut sauvé par le gong :  tous les déplacements ont été suspendus avec l’épidémie du Covid.

Les dangers de la surenchère

Aujourd’hui, l’on s’attend à ce que la SADC s’en tienne à l’obligation pour les nouvelles autorités malgaches d’instaurer un dialogue politique inclusif.  Et c’est ici qu’on prendra la mesure de la clairvoyance de la présidence de la Refondation de la république de Madagascar dans le choix du premier ministre. Un pan de l’opinion publique considère comme un signe d’inclusivité la désignation de Herintsalama Rajaonarivelo, une figure-clé du secteur privé malgache. L’on a conscience que tout marchandage et surenchère de la part des groupuscules et partis divers qui se réclament de la « lutte populaire » ne peuvent qu’influer négativement sur la stabilité dont ont grandement besoin les nouvelles autorités. Cultiver en permanence l ’esprit de révolte sera contre-productif car l’issue d’une épreuve de force reste incertaine.

L’Art de la guerre, disait déjà Sun Tzu, c’est de soumettre l’ennemi sans combat. Quoiqu’il en soit, on n’apprendra pas aux militaires l’art de la guerre. En entérinant la nomination du premier ministre proposé par l’Assemblée nationale, ils se sont tablés plutôt sur la stratégie que sur la force brute. 

ENCADRÉ: Une enquête sur un trafic de bois de rose rouverte contre Mamy Ravatomanga

 
Cette affaire avait fait grand bruit en juin 2011. Cinq conteneurs de bois de rose partis de Madagascar ont été transbordés à Maurice et devaient être embarqués vers la Chine via Hong-Kong. Un ancien ministre du gouvernement mauricien d’alors avait été cité comme faisant partie de ce réseau.
 
La Financial Crimes Commission (FCC), la Commission des crimes financiers, compte déterrer le dossier lié à un trafic de bois de rose entre Madagascar et Maurice. Cette démarche fait suite à l’enquête d’envergure sur le blanchiment de plusieurs centaines de milliards de roupies, contre le milliardaire malgache Mamy Ravatomanga.
Le PDG du groupe malgache SODIAT, proche du président déchu Andry Rajoelina, est arrivé à Maurice dans des circonstances rocambolesques à bord de son jet privé dans la nuit du samedi au dimanche 12 octobre dernier. Dans un communiqué annonçant l’arrestation de Mamy Ravatomanga vendredi soir, la FCC explique qu’elle ne se contente pas de s’attarder sur les délits de blanchiment.
Elle rappelle avoir initié une enquête en 2011, laquelle a été bouclée deux ans plus tard en raison d’un manque de preuves, faute de collaboration des autorités malgaches. Le nom de Mamy Ravatomanga est mentionné dans cette affaire qui semble avoir été étouffée au vu de sa proximité avec Andry Rajoelina.
A l’époque, cette affaire avait fait grand bruit, car elle impliquerait un ancien ministre du clan Jugnauth qui avait fait partie du gouvernement de Navin Ramgoolam. Cinq conteneurs de bois de rose à destination de Hong-Kong avaient été interceptés en juin 2011 par les services de douane à Port-Louis à la demande du Premier ministre malgache Albert-Camille Vital, lequel est aujourd’hui l’ambassadeur de la Grande île à Maurice.
Le chef de l’opposition d’alors, Paul Bérenger – aujourd’hui Premier ministre adjoint -, avait exigé des réponses du Premier ministre Navin Ramgoolam à l’Assemblée nationale. Navin Ramgoolam avait confirmé que le nom de Mamy Ravatomanga avait été mentionné dans cette affaire. Une enquête multi-agences avait été ouverte et l’assistance de la Banque Mondiale requise pour identifier les bénéficiaires de ce trafic.
Réunissant la presse le samedi 26 mai 2012, Paul Bérenger s’était interrogé sur les raisons pourquoi Albert-Camille Vital a préféré contacter Xavier-Luc Duval, alors Premier ministre adjoint au lieu de discuter avec le ministre des Finances, Pravind Jugnauth, responsable des services douaniers. Il critiquait aussi Navin Ramgoolam pour avoir dénoncé le manque de collaboration des autorités malgaches.
Le Mouvement socialiste militant (MSM), passé dans l’opposition, avait abordé cette affaire à l’issue de son Comité central le même jour. Pravind Jugnauth a qualifié Navin Ramgoolam de « menteur » quant à ses propos voulant que l’agence anticorruption malgache, le Bianco, détiendrait un enregistrement audio d’une conversation impliquant un de ses membres.
Le membre en question, Nando Bodha, qui a quitté le MSM, accueille favorablement la réouverture de l’enquête, expliquant qu’il a été victime d’une « cabale politique ». « La vérité triomphera », explique l’ancien ministre des Affaires étrangères de l’ex-gouvernement de Pravin Jugnauth qui a perdu les élections générales de novembre 2024.
A l’époque du scandale, l’ong internationale Global Witness et l’Environmental Investigation Agency (EIA) américain faisaient ressortir que Maurice était un port de transit pour le bois de rose. Dans un rapport, elles expliquaient que faute de port en eau profonde à Madagascar, le bois de rose est embarqué pour Maurice avant d’être acheminé vers la Chine et l’Europe.
Vel MOONIEN

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