L’Arabie saoudite mise sur l’art pour se réinventer

Sous une immense tente à Djeddah, la Biennale des arts islamiques ouverte jusu’au mois de mai, associe objets religieux et œuvres contemporaines pour refléter les transformations culturelles de l’Arabie saoudite. Un événement stratégique qui s’inscrit dans Vision 2030 pour redéfinir l’image du royaume.

Entre tradition et modernité

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Sous une immense canopée de tentes à Djeddah, la Biennale des arts islamiques propose un dialogue inédit entre tradition et modernité. En mêlant objets religieux et œuvres contemporaines, l’Arabie saoudite cherche à projeter une image plus ouverte et dynamique.

Intitulée And All That Is In Between (Et tout ce qui est entre les deux), la Biennale des arts islamiques de Djeddah met en scène les œuvres d’une trentaine d’artistes contemporains aux côtés d’artefacts religieux, illustrant les transformations profondes du royaume. Pièce maîtresse de l’exposition, des pans de la kiswa – l’étoffe noire brodée d’or et d’argent qui recouvre la Kaaba – côtoient des objets prêtés par des institutions prestigieuses comme le Victoria & Albert Museum, le Louvre et la Bibliothèque du Vatican. Parmi ces trésors, un Coran médiéval en caractères hébraïques témoigne des échanges culturels au sein du monde islamique.

Ce dialogue entre héritage et modernité est au cœur de la vision artistique défendue par Muhannad Shono, artiste saoudien et commissaire de l’exposition pour l’art contemporain. « Le dialogue entre passé et présent souligne les profondes transformations en cours en Arabie saoudite », explique-t-il.

Une stratégie culturelle ancrée dans la Vision 2030

Depuis le lancement du plan de réformes Vision 2030 par le prince héritier Mohammed ben Salmane, l’Arabie saoudite investit massivement dans le sport, le tourisme et la culture afin de diversifier une économie encore largement dépendante du pétrole. Cette stratégie vise aussi à redorer l’image du royaume, souvent associée à des restrictions sévères et à une répression politique.

L’exposition de Djeddah illustre ainsi cette volonté d’ouverture. Abdelelah Qutub, architecte de 31 ans venu de La Mecque pour visiter l’événement, y voit une opportunité de repenser certaines conceptions de l’islam : « Nous avons des conceptions traditionnelles de l’islam (…) qu’il est temps de réexaminer sous un nouvel angle. »

L’art contemporain face aux traditions

Longtemps dominé par le wahhabisme, qui interdit la représentation de figures humaines et animales, l’art en Arabie saoudite se caractérisait par une prédominance des motifs géométriques. Pourtant, la Biennale présente des enluminures persanes médiévales illustrant des portraits royaux ainsi qu’une œuvre de l’artiste yéméno-indonésienne Anhar Salem, qui interroge l’identité numérique en utilisant l’intelligence artificielle pour assembler des avatars en mosaïque.

Tamara Kalo, artiste franco-libanaise, revisite quant à elle la camera obscura, ancêtre de l’appareil photo inventé au XIe siècle par le philosophe Ibn al-Haïtham. Avec une installation en cuivre, elle questionne « ce que signifie voir et être témoin ».

D’autres œuvres frappent par leur audace, à l’image d’un disque massif enduit de pétrole, conçu par l’artiste italien Arcangelo Sassolino. Tournant sans relâche, ce disque est une métaphore du temps et de la dépendance du pays à l’or noir.

Une biennale au rayonnement international

Julian Raby, historien de l’art et directeur artistique de l’exposition

Située dans un terminal de l’aéroport international King Abdulaziz, la Biennale occupe une superficie de 100 000 mètres carrés. Ce choix stratégique lui permet d’attirer un public diversifié, mêlant amateurs d’art et fidèles musulmans en transit vers La Mecque.

Julian Raby, historien de l’art et directeur artistique de l’exposition, souligne l’impact de cet emplacement : « Lors de la dernière édition, des pèlerins passaient d’un terminal à l’autre pour découvrir les pavillons. » L’édition inaugurale de 2023 avait attiré 600 000 visiteurs, une affluence proche de celle de la Biennale de Venise (700 000 en 2024). Cette année, l’événement ambitionne de dépasser le million d’entrées.

Pour James Dorsey, de l’université nationale de Singapour, cette initiative s’inscrit dans une stratégie plus large visant à transformer l’image de l’Arabie saoudite : « Alors que le pays a longtemps été perçu comme secret et ultraconservateur, la Biennale participe à la projection d’une image d’ouverture, essentielle à la Vision 2030. »

Une affirmation sur la scène artistique mondiale

Avec son installation monumentale – un buisson de roses en acier noir flottant au-dessus d’une fontaine – l’artiste jordanienne Raya Kassisieh, dont on découvre ci dessus les oeuvres, exprime sa fierté d’exposer dans un tel cadre. « Nous sommes légitimes (…) pour partager un espace artistique avec l’Occident », affirme-t-elle.

À travers cette biennale, l’Arabie saoudite cherche à montrer que l’art islamique n’est pas figé, mais qu’il évolue au contact du monde contemporain. En intégrant des œuvres avant-gardistes et en explorant de nouveaux médiums, elle met en avant la richesse et la diversité du patrimoine artistique du monde musulman.

Ouverte jusqu’au 25 mai, cette deuxième édition de la Biennale des arts islamiques de Djeddah confirme ainsi l’ambition du royaume de se positionner comme un acteur incontournable du dialogue culturel international.