Quatre journalistes sont actuellement détenus, victimes du tour de vis autoritaire du régime du président Kaïs Saïed caricaturé par le talentueux dessinateur « Z » dans le dessin ci dessus.
Une chronique de Selim Jaziri

Le 8 mars aura été naturellement la Journée internationale des droits des femmes, mais aussi le 300ème jour de détention des journalistes Mourad Zeghidi et Borhen Bsaies, arrêtés le 12 mai 2024. A cette occasion, le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a organisé un événement en soutien aux « femmes résilientes », journalistes et parentes de journalistes emprisonnés. C’était surtout l’occasion de rappeler le sort des journalistes victimes du tour de vis autoritaire du régime tunisien.
L’espace de la critique cadenassé
Les arrestations de Sonia Dahmani, Mourad Zeghidi et Borhen Bsaies avaient donné le signal d’une fermeture de l’espace médiatique de la critique politique à l’approche de l’élection présidentielle d’octobre. Le vague espoir d’un assouplissement une fois la réélection de Kaïs Saïed assurée ne s’est pas confirmé. Plus aucun média audiovisuel ne se risque aujourd’hui à diffuser une émission de débat politique dont la prolifération était l’un des signes de la vitalité de la liberté d’expression depuis la révolution. Vint-quatre journalistes sont actuellement poursuivis au titre du décret-loi 54.
Le SNJT a renouvelé son appel à la libération des journalistes. Une pétition demandant la libération de Mourad Zeghidi a été lancée.
Pour signer la pétition
https://www.change.org/p/libérez-le-journaliste-mourad-zeghidi-اطلقوا-سراح-الصحفي-مراد-الزغيدي
Chadha Hadj Mbarek, une victime collatérale
Le sort de Chadha Hadj Mbarek, évoqué par son frère lors de la soirée du SNJT, est particulièrement poignant. Détenue depuis octobre 2021, elle a été condamnée le 5 février dernier à 5 ans de prison ferme. Cette jeune journaliste est une victime collatérale de l’affaire dite « Instalingo », une société spécialisée dans la création de contenu numérique, accusée d’avoir contribué, notamment pour le compte du mouvement Ennahdha, à la campagne médiatique contre Kaïs Saïed, pénalement qualifiée « d’atteinte à la sûreté de l’État » et « d’offense sur les réseaux sociaux », auxquels s’ajoutent le « blanchiment d’argent ». Des charges disproportionnées pour celle qui n’était une simple correctrice à laquelle la Justice reproche de ne pas avoir signalé des contenus hostiles au régime. Une incrimination d’ailleurs créée à l’époque de Ben Ali en 2010 et abrogée en 2011 selon son frère. L’état de santé très fragile de Chadha s’est fortement dégradé durant sa détention et, en novembre dernier, elle avait même observé une grève pour obtenir un traitement médical.

Sonia Dahmani, harcèlement judiciaire
Sonia Dahmani, avocate et chroniqueuse, a été arrêtée le 11 mai 2024, à la Maison des avocats, après avoir ironisé sur le « pays merveilleux » (la Tunisie) censé attirer les migrants subsahariens lors de l’émission télévisée sur la chaîne Carthage +. Une ironie qui lui a valu d’être condamnée à un an de prison, réduit à 8 mois le 10 septembre 2024. Cible d’un harcèlement judiciaire, elle est poursuivie dans cinq autres affaires, toutes fondées sur le décret-loi n° 54 sur la criminalité en ligne, dont l’une lui a valu d’être condamnée à deux ans de prison, réduits à 18 mois en appel le 24 janvier, pour avoir dénoncé le racisme dont sont victimes les subsahariens sur les ondes de la radio IFM.
Mourad Zeghidi, Borhen Bsaies maintenus en détention
Deux de ses compagnons de plateau, Mourad Zeghidi et Borhen Bsaies, ont été arrêtés le lendemain (le 12 mai). Ils ont été condamnés tous deux à un an de prison au titre du décret-loi 54, (six mois pour diffusion de « fausses nouvelles » et six mois supplémentaires pour « de fausses déclarations dans le but de diffamer autrui »), réduit à huit mois en appel, sans même que le procès leur ait permis de comprendre en quoi les propos incriminés étaient problématiques. « Mon travail en tant qu’analyste politique m’impose de parler des affaires publiques. Je n’ai rien dit d’illégal et j’assume ce que j’ai dit », avait déclaré Mourad Zeghidi lors de son procès.
Leur peine purgée, ils restent en détention puisqu’un mois avant leur libération, une nouvelle instruction a été ouverte cette fois pour « blanchiment d’argent ». Peu après leur arrestation le Parquet avait émis de « forts soupçons » d’enrichissement illicite et de blanchiment avant même de disposer d’aucun élément matériel qui justifie une telle accusation. Mais ce n’est qu’en décembre que l’instruction a été ouverte, dans le but assez évident de prolonger leur détention.
« L’accusation de blanchiment d’argent a été une manière de salir la réputation de Mourad Zeghidi auprès de ses soutiens, a dénoncé sa sœur Meriem, lors de la soirée. En vain, ses soutiens sont toujours là » « Le juge d’instruction cherche cet argent qu’il aurait blanchi depuis trois mois et il n’a rien trouvé. Il n’y a même aucune preuve d’une activité illégale dont il faudrait blanchir les bénéfices », a-t-elle insisté. Les demandes de libération provisoire de Mourad Zeghidi et Borhen Bsaies ont été toutes été rejetées
Rejoignez la nouvelle chaine Whatsapp de Mondafrique