En février 2025, après un premier gel des programmes de ll’Agence des États-Unis pour le développement international, appelée (USAID en anglais), 40 % de l’aide humanitaire mondiale, l’administration Trump a décidé de réduire de 60 milliards le budget de son aide publique au développement (APD).
Olivier Vallée
Cette contraction drastique de l’APD va au-delà de la seule USAID, mais l’ampute de 90% de ses ressources. Au-delà de la catastrophe humanitaire, il s’agit pour l’Afrique d’un phénomène politique total avec trois dimensions majeures qui seront traitées par Mondafrique successivement.
– L’aide publique au développement américaine était avant tout géopolitique et massive par rapport aux autres partenaires internationaux du développement.
– Cette aide s’adressait à des secteurs particulièrement sensibles comme la santé, les migrations et la paix.
– La Chine, la puissance rivale des Etats-Unis en Afrique, est plus déstabilisée que renforcée par le changement de braquet de Washington
Une aide géopolitique et massive
Il s’agit d’une agence indépendante fondée en 1961 sous John Fitzgerald Kennedy, dans la lignée du Plan Marshall. Ses objectifs : réduire la pauvreté, promouvoir la démocratie et favoriser la croissance économique, soulager les victimes des catastrophes naturelles et prévenir les conflits. L’USAID agit comme une vitrine de la puissance de l’Amérique contre sa rivale d’alors, l’Union Soviétique.
Son budget dépasse les 40 milliards de dollars en 2024, suite à une rapide augmentation depuis les années 90, période à partir de laquelle les États-Unis se veulent seul gendarme du monde, dans un contexte de fin de la Guerre Froide et de l’effondrement de l’URSS. L’USAID représente un panel de programmes présents dans 150 pays différents, majoritairement en Afrique, Asie du Sud-Est et Amérique du Sud. L’USAID compte pour plus de 40 % de l’aide humanitaire mondiale.
Nul ne pourra ignorer, des grandes cités africaines aux camps de réfugiés, que l’ancien monde de l’aide US a disparu. Dans mon enfance, à Djibouti, je voyais le Chemin de Fer franco-éthiopien acheminer vers Dire Dawa. À l’est de la capitale Addis-Abeba, la ville est la seconde agglomération d’Éthiopie par le nombre d’habitants et recevait les sacs de jute sur lesquels une main blanche serrait la main noire qui recevait le don de l’USAID.
L’Éthiopie qui n’avait jamais été colonisée était déjà en première ligne de la stratégie du jeune président John Kennedy. La véritable aide au développement du Tiers-Monde commence sous son mandat avec pour but de contrer la progression du communisme. Le Peace Corps est conçu comme une manière d’éviter des soldats. Il s’agit d’une conception hautement transactionnelle de l’aide publique pour les Etats-Unis dès l’origine. Le caritatif étant plutôt du ressort des fondations et organisations religieuses et non lucratives.
L’USAID sera consacrée comme une agence indépendante par le Congrès en 1998. Elle était établie comme une entité indépendante qui ne peut être dissoute que par le Congrès. Mais les nouveaux pouvoirs établis à Washington détournent cette clause en intégrant l’USAID au département d’État sous la houlette de Peter W. Marocco, le directeur du département “Foreign Assistance” qui se montre plus radical que son patron Rubio dans la suppression de tous les appuis aux pays jugés peu fiables.
Un désengagement programmé
Le paysage de l’aide américain semble ainsi complètement bouleversé mais il ne faudrait pas sous-estimer les signes annonciateurs de ce point de non-retour. Les protestations des membres démocrates du congrès américain ne furent pas nombreuses et peu écoutées. Dans l’ensemble les deux grands partis américains ne sont plus hostiles à l’absorption de l’USAID par de le département d’État. Et tous ceux qui ont lu le programme de l’administration Trumpnintitulé « the Project 2025 » savaient que l’APD devait être subordonnée désormais aux priorités de l’intérêt national et de la bonne gouvernance opposées à l’idéologie radicale et à la mauvaise gestion de l’administration Biden.
Celle-ci avait déjà engagé une diminution del ’aide publique américaine. La pandémie du Corona virus a entrainé la réaffectation des fonds de l’aide publique à d’autres priorités et Biden a été aussi un acteur du réalignement de l’USAID sous l’angle « America First Policy ».
Dès les années 1960, l’APD est une composante de la diplomatie US. Les plus de 60 milliards d’ US $ annuels des années 2020 se ventilaient pour ⅓ géré par le département d’État et ⅔ par l’USAID. Cela permettait d’isoler l’USAID de la conjoncture internationale comme on l’a vu ces dernières années au Mali qui n’est pas un allié de Washington et reçoit de plus un appui militaire des Russes. Avec les fonds du département d’État, la politique de Washington et les ambassadeurs américains disposaient d’une considérable cagnotte pour peser sur des situations locales et pas toujours avec des conséquences positives pour les peuples.
C’est ce que décrit pour Haïti l’ouvrage de Jake Johnston, Aid State: Ethnic Panique, Disaster Capitalism and the Battle to Control Haïti. Le terrible échec d’avoir exigé que Martelly dirige l’île martyr des Caraïbes s’est payé de l’afflux de migrants à la frontière mexicaine des États-Unis. Une personnalité extraordinaire, Nicole Phillips, de l’association Haitian Bridge Alliance, s’est efforcée par ses plaidoyers de faire comprendre que son pays devait avoir une autre approche en Haïti. Ce type d’exemple illustre la force et la complémentarité de l’écosystème de l’aide américaine d’avant le traitement de choc appliqué par Peter Marocco.
Avant que le règne de Peter Marocco n’arrive, Zainab Usman (Carnegie Endowment for International Peace), dans une communication récente, détaillait les six priorités de l’administration Trump pour l’Afrique. Elle remarquait dans ce cadre que la rupture de l’administration Trump s’ancrait dans la « fatigue » antérieure des donateurs américains, britanniques et canadiens vis-à-vis de leurs partenaires africains. Il ne faut pas ignorer non plus que Washington, avant même l’élection de Trump, désapprouvait les choix de Pretoria de ne pas voter contre la Russie et de poursuivre les dirigeants israéliens devant la Cour Pénale Internationale.
Cela laisse supposer que l’on ne reviendra pas au statu quo ante après le moratoire de l’APD et l’éviction des personnes de l’USAID qui connaissaient les dossiers. Romilly Greenhill qui préside Bond, un réseau britannique d’ONGI, pense qu’il faut élaborer des modèles alternatifs de l’aide à l’Afrique.
La décision d’interrompre par un moratoire les décaissements des fonds de l’USAID est certes un cataclysme mais aussi l’épisode culminant d’une remise en cause latente du schéma actuel de l’APD. A présent que les fonds de l’APD sont annulés en 2025, au-delà des pays récipiendaires et des ONG internationales les plus actives, les malades, les affamés, les victimes de catastrophes et de guerres, les simples citoyens sont en première ligne.
1 Sources: Office of Inspector General, USAID Oversight of USAID-Funded Humanitarian Assistance Programming Impacted by Staffing Reductions and Pause on Foreign Assistance; The Guardian, ‘The impact has been devastating’: how USAID freeze sent shockwaves through Ethiopia, The Guardian, First Thing: Trump administration to cut more than 90% of USAid foreign aid contracts
Un appui au cœur des crises africaines
L’APD américaine pèse peu dans le PIB du plus grand pays capitaliste de la planète, soit à peine 0.15% de sa richesse nationale annuelle. Mais l’interruption de ses appuis au monde dévoile l’aspect déterminant de l’aide américaine dans sa globalité. L’État américain a contribué en 2024 pour 68 milliards d’US $ en faveur de 204 pays et territoires. L’Union européenne affiche 34,7 milliards de financement pour l’aide et le développement, suivie par l’Allemagne avec 32,2 milliards US $. L’aide américaine pour un quart va au continent africain et la situationhumanitaire de la RCA comme la Somalie dépend de ses transferts gratuits. Ainsi l’organisation norvégienne du conseil pour les réfugiés qui accomplissait un travail continu et bénéfique dans ces deux pays fragiles ne peut plus le faire car sa plus grosse subvention venait de Washington.
Quatre grands secteurs sont concernés par l’APD des Etats-Unis : le développement économique, la santé, l’humanitaire et la paix. Le volet Paix et Sécurité dispose d’un montant annuel de contribution de 10 milliards US $. Tout est urgent et prioritaire en matière d’aide pour les millions de personnes dont c’est le seul espoir. Cependant les menaces contre la Sécurité humaine ont des effets externes en chaîne comme on le voit avec les flux migratoires à l’est de l’Europe ou au sud des États-Unis.
Il en est de même pour l’Organisation Mondiale de l’Immigration qui intervient au Maroc avec de larges financements de l’USAID. Or le Maroc, carrefour entre l’Afrique et l’Europe, est au cœur des flux migratoires mondiaux. Sa situation géographique stratégique en fait à la fois un pays d’émigration, de transit et d’immigration. D’après l’OIM, en 2020, le Maroc était classé 18ème parmi les 20 pays les plus émetteurs de migrants au monde, avec officiellement 3,25 millions d’émigrés. Cela représentait 8,1 % de sa population totale. Malgré les efforts des autorités marocaines pour réguler ces flux migratoires, la migration irrégulière reste une réalité préoccupante. Jusqu’à présent les contributions versées par les États-Unis d’Amérique, principal donateur de l’OIM, étaient une pièce maîtresse du soutien reçu par l’Organisation au Maroc. Les fonds généreusement octroyés provenaient principalement du Bureau de la population, des réfugiés et des migrations du Département d’État et de l’Agence pour le développement international (USAID).
Parmi les interventions de stabilisation communautaire soutenues par les États-Unis figurent aussi l’aide aux moyens de subsistance et à la protection des réfugiés maliens, des communautés d’accueil et des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays au nord du Burkina Faso. Les États-Unis soutenaient également les activités menées par l’OIM en tant que chef de file de la lutte contre la traite des personnes. À titre d’exemple, au Niger, les contributions des États-Unis ont permis de doter les autorités chargées des frontières de capacités améliorées en matière de prévention de la traite des personnes, ainsi que d’améliorer la compréhension de ce fléau par les communautés frontalières.
Les États-Unis à travers les ONGI ont participé à la coalition globale pour aider à résoudre les problèmes les plus douloureux de la guerre et de la pauvreté en Afrique. En volume les appuis américains sont allés à des pays à revenu intermédiaire avec dans l’ordre Tanzanie, Nigéria, Afrique du Sud, Ouganda, Mozambique. Mais les États les plus affectés par la coupe des budgets de l’aide en février 2025 sont deux pays africains avec une très forte population et des guerres à répétition : Éthiopie et République Démocratique du Congo (RDC).
La compétition directe avec la Chine
Tous les pays africains auraient encore besoin d’aide américaine en matière de santé et d’humanitaire. Face aux milliards US annuels d’aide dans le compartiment humanitaire, l’Union européenne ne fait pas le poids avec son demi-milliard pour l’Afrique. En attendant une éventuelle reprise de l’aide des États-Unis dans les années à venir, il ne faut pas se cacher que sa contraction et son questionnement ne datent pas de Trump. En effet, les versements d’APD américaine à l’Afrique étaient loin derrière ceux destinés à l’Ukraine, la Jordanie, Israël, l’Égypte, etc.
Le tableau ci-dessous retrace les dons chinois en Afrique sur la décennie 2013-2023. On constate que les bénéficiaires de l’APD chinoise recoupent parfois les pays récipiendaires de l’aide américaine mais celle-ci s’est avérée nettement plus importante en montants annuels.
Hannah Ryder, CEO de Development Reimagined, une association pour le développement, constate que l’aide chinoise ne se calque pas sur celle de l’USAID. La Chine a été innovante certes dans le domaine de la santé en Afrique. Ses hôpitaux avec la médecine chinoise traditionnelle sont appréciés à Niamey et à Addis. De même les distribution de vaccins chinois intervenues au début de la pandémie de COVID-19. Mais la Chine ne distribue que 3 milliards USD de dons par an en direction de l’Afrique. L’USAID gérait elle au total 50 milliards USD par an dont un tiers pour l’Afrique et y mobilisait un personnel direct de 3000 personnes. Même en essayant de prendre position dans des organisations internationales comme l’OMS ou les Africa Centers for Disease Control désertées par les Etats-Unis, la Chine reste modeste. Les Etats-Unis y avaient consacré un demi-milliard USD contre 4 millions USD récemment apportés par Beijing.
En Afrique, les Etats-Unis, avec Biden, se sont positionnés directement sur le terrain chinoisdes infrastructures. Il s’agit par exemple du corridor de Lobito qui donne aux entreprises américaines un accès aux terres rares. Cela rejoint, avec le retour de Donald Trump à laprésidence, la primauté des approches pragmatiques et transactionnelles face au continent africain.T
Ibor Nagy, secrétaire adjoint pour les affaires africaines au secrétariat d’État du premiermandat de Trump, et auparavant ambassadeur en Guinée et en Éthiopie, déclarait clairement que la nouvelle stratégie africaine de son pays est de contrer la Chine.
C’est donc le seul enjeu de la compétition qu’affiche Washington. La Chine, à supposer qu’elleveuille sortir de sa propension au rapport gagnant-gagnant, ne décidera pas la nouvelle Amérique à revenir à l’aide antérieure. Le match aura lieu sur le terrain des infrastructures etdes ressources du continent africain.