La veillée d’armes avant la Présidentielle en Côte d’Ivoire

La liste définitive des électeurs appelés à choisir le prochain président de la République en Côte d’Ivoire a été publiée le mercredi dernier. Et l’on constate, sans surprise, que les noms de Laurent Gbagbo, Blé Goudé, Guillaume Soro et Tidiane Thiam n’y figurent pas.

Venance Konan

Les deux premiers, Laurent Gbagbo et Blé Goudé, ne figuraient déjà pas sur la liste provisoire, du fait de leurs condamnations à la privation de leurs droits civiques pour des faits liés à la crise post-électorale de 2010-2011. Guillaume Soro, l’ancien Premier ministre et ancien président de l’Assemblée nationale avait été condamné à la prison à vie pour atteinte à la sûreté de l’Etat et vit en exil. Tidjane Thiam, qui lui, figurait sur la liste électorale provisoire, en a été finalement radié à la suite d’une décision de justice.

Monsieur Thiam, qui s’était exilé en Europe après le coup d’Etat de 1999 contre Henri Konan Bédié dont il était un des ministres, n’était plus revenu en Côte d’Ivoire depuis vingt-trois ans. Après avoir dirigé des grandes institutions financières d’envergure internationale, dont la dernière fut le Crédit Suisse, il est revenu dans son pays natal en 2023 dans l’intention d’en devenir le président lors des élections d’octobre 2025. A cette fin, il s’était fait élire président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), le parti historique fondé en 1946 par Félix Houphouët-Boigny dont il est le petit-neveu. Et ce parti l’avait désigné comme son candidat à la prochaine élection présidentielle. Mais la constitution ivoirienne stipule que pour être candidat au poste de président de la République ivoirienne il faut être de nationalité ivoirienne à titre exclusif. Or Monsieur Thiam avait été naturalisé français en 1987. Et l’article 47 d’une loi votée en 1961 stipule pour sa part que l’Ivoirien majeur qui prend volontairement la nationalité d’un autre pays perd celle de la Côte d’Ivoire.

La requète de madame Yapo

En mars 2025, après qu’un journaliste a révélé publiquement lors d’un débat télévisé que M. Thiam n’était pas éligible au poste de président de la république compte tenu de sa nationalité française, ce dernier a renoncé à cette dernière. En se fondant sur ces textes, madame Valérie Yapo, une militante du PDCI, le parti dont M. Thiam a été élu président, a intenté une action contre M. Thiam afin de réclamer sa radiation de la liste électorale. Au motif qu’au moment où il s’inscrivait sur la liste électorale en 2023, il était toujours Français, alors qu’un étranger ne peut être électeur en Côte d’Ivoire. La justice a donné droit à la requête de madame Yapo et ordonné la radiation de M. Thiam de la liste électorale, ce qui a été fait par la Commission électorale indépendante (CEI).

Madame Yapo a dans la foulée, demandé au tribunal l’invalidation de l’élection de M. Thiam au poste de président du PDCI, au motif que pour diriger un parti en Côte d’Ivoire il faut être Ivoirien, ce qu’il n’était pas au moment du congrès qui l’avait élu. Mais avant que la justice ne se soit prononcée, M. Thiam a démissionné de son poste de président de son parti, puis a organisé dans la foulée un nouveau congrès extraordinaire qui l’a à nouveau consacré président. C’est qu’entre temps, dès lors qu’il avait renoncé à la nationalité française, il était redevenu Ivoirien de plein droit, d’après les explications du ministre de la justice. Vous suivez toujours ? Mais il était toujours radié de la liste électorale, et pour qu’il y figure, il faudrait une nouvelle révision de la liste électorale. Et depuis quelques semaines, la campagne menée par son parti est d’obtenir une nouvelle révision de la liste électorale, ce à quoi s’oppose la CEI, au motif que les délais pour que l’élection présidentielle se tienne à la date prévue par la constitution ne le permettent pas.

La neutralité française

Avant la publication de la liste définitive, M. Thiam s’était installé en Europe d’où il tentait de mener un lobbying pour contraindre les autorités ivoiriennes à l’inscrire sur la liste électorale. Mais le chef de la diplomatie française a déclaré que son pays n’avait pas à s’immiscer dans l’établissement de la liste électorale d’un Etat souverain. Une autre tentative de sensibiliser le parlement européen à sa cause n’eut pas plus de succès, puisqu’il dut se contenter de manifester dans la rue, devant le parlement. L’homme d’affaires Jean Louis Billon, membre du PDCI qui brigue lui aussi la présidence de la république s’est proposé pour être le plan B de son parti si Tidjane Thiam est définitivement écarté de la course mais les radicaux du vieux parti ne veulent pas entendre parler d’un autre candidat que leur président.

A la suite de la publication de la liste électorale définitive, et compte tenu du fait que le droit ivoirien ne lui offre plus de recours, M. Thiam a saisi le Comité des droits de l’homme des Nations Unies.

Avant la publication de cette liste définitive, Laurent Gbagbo et ses militants avaient organisé des meetings dans quelques localités, mais qui n’avaient pas drainé de grandes foules. Les partisans de Laurent Gbagbo et de Tidjane Thiam promettent de mobiliser dans les prochains jours tous les Ivoiriens sur leur sort qu’ils estiment être de la pure injustice. Madame Simone Gbagbo, l’ancienne épouse et compagne de combat de Laurent Gbagbo qui, elle, peut compétir à l’élection présidentielle, et Affi N’guessan, lui aussi ancien compagnon de lutte de Laurent Gbagbo, appellent à l’instauration d’un dialogue politique qui aboutirait selon leurs vœux à une solution politique de cette question d’éligibilité, c’est-à-dire en dehors des textes juridiques. Le pouvoir ivoirien fait pour le moment la sourde oreille.

Un bras de fer?

Allons-nous vers un bras de fer qui pourrait déboucher sur des troubles graves comme lors des élections de 2020 qui avaient provoqué la mort de plusieurs personnes ? On pourrait le craindre si les principaux concernés, à savoir Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam avaient la capacité de mobiliser de grandes foules. Ce qui ne semble pas être le cas pour le moment. Le dernier meeting organisé par le PDCI avait rassemblé à peine quelques milliers de personnes. Mais la radicalisation des positions est une possibilité, et il n’est pas nécessairement besoin de grandes foules pour enrayer le processus électoral ivoirien.