Le jeudi 16 octobre, une délégation de l’ambassade de la Fédération de Russie conduite par Andrey Andreev s’est entretenue avec le colonel et les membres du Conseil national de défense de la transition (CNDT), comme le montre la photo ci dessus. Autre signe de cette bonne entente manifeste entre les deux pays, la récente visite à Moscou du Président de l’Assemblée nationale malgache, Siteny Randrianasoloniaiko, dont on connait les liens avec la Russie, a suscité un grand questionnement dans certains milieux occidentaux, qui voient en cette démarche un début de repositionnement de Madagascar vers la Russie.
Daniel Sainte-Roche (correspondance)

Ce périple moscovite a été mis à profit par Siteny pour rencontrer de nombreuses personnalités : la vice-présidente de la chambre basse du Parlement russe, le vice-ministre de l’Énergie, des hommes d’affaires et des dirigeants de l’agence russe de diplomatie culturelle. Au menu de leurs discussions : le projet de renforcement de la coopération dans différents secteurs, tels l’électricité et les infrastructures énergétiques, l’extraction des ressources minérales et la pêche. Une mission économique russe se rendra à Madagascar au premier trimestre 2026 afin d’étudier les projets commerciaux éligibles. L’ouverture prochaine à Antananarivo d’une « Maison russe » a été par ailleurs décidée. Ce centre aura pour vocation de renforcer la coopération culturelle et éducative entre les deux pays. Il a été aussi envisagé la possibilité d’augmenter les quotas de bourses d’études destinées aux étudiants malgaches, ainsi que le développement de la coopération entre les médias russes et malgaches.

Le président de l’assemblée nationale malgache veut présenter ce voyage moscovite comme la simple continuation d’une coopération cinquantenaire entre les deux pays. Mais au regard du contexte géopolitique qui prévaut après la guerre en Ukraine, des suspicions ne manquent de s’insinuer. Si Madagascar ne semble pas être un partenaire prioritaire pour l’expansion de la Russie en Afrique, la Grande Ile n’a pas échappé en effet dans le récent passé aux manœuvres classiques que le Kremlin pratique dans sa politique africaine, à savoir la cooptation des élites, la désinformation, l’ingérence dans les élections, et les contrats d’échange de services contre des ressources minières
Gaelle Borgia, une journaliste remarquée
Madagascar est le premier pays d’Afrique pour lequel l’ingérence électorale russe a pu être documentée puis prouvée, grâce à une enquête de la journaliste franco-malgache Gaelle Borgia. Ainsi a-t-on appris que lors de l’élection présidentielle de 2018, entre six et neuf politiciens sur les trente-six candidats à la présidentielle ont bénéficié de l’aide de ressortissants russes qui se présentaient comme des stratèges électoraux. Des candidats ont avoué avoir reçu de la part de ces derniers des contributions financières, dont un ancien premier ministre qui a déclaré avoir bénéficié d’un budget électoral de « un peu moins de 2.000.000 de dollars ». Ces candidats ont aussi obtenu un gros budget pour imprimer un journal gratuit diffusé en dehors de la capitale. Une consigne avait été alors imposée : « Si un des candidats se retrouvait au second tour, les perdants soutenus par les Russes devraient soutenir ce candidat vainqueur ».
Les relations bilatérales officielles de la Russie avec Madagascar ont toujours été excellentes. Entre 2020 et 2025, des préparatifs pour la signature de quatre accords bilatéraux dans le domaine de la santé et de l’accès à l’eau potable ont été engagés, ainsi que la mise en place d’unecommission mixte. En 2025, un accord gouvernemental déjà signé prévoyait la fourniture de rails pour la réhabilitation des lignes ferroviaires malgaches, ainsi que la livraison de camions-bennes et d’autres équipements destinés à l’assainissement de la ville d’Antananarivo. Un second accord signé préconise la livraison de minibus, de camions pour les services d’incendie, ainsi que d’autres véhicules spécialisés. Par ailleurs, un accord commercial a été établi pour l’exportation vers la Russie de certains produits, notamment le cacao. Ces nouveaux accords viennent s’ajouter à des projets déjà concrétisés, comme l’arrivée de véhicules transformés en laboratoires mobiles.
La Russie investit peu en Afrique

Le projet concocté par Siteny Randrianasoloniaiko, le président de l’Assemblée Nationale réputé proche de Moscou, ne changera donc pas significativement l’envergure de la coopération russo-malgache. La Russie n’apparait d’ailleurs pas sur les données du commerce international de Madagascar qui énoncent qu’en 2023, les principaux clients de Madagascar sont la France (14,5 %), les États-Unis (12,6 %), le Japon (8,2 %), la Corée du Sud (8,2 %) et la Chine (8,1 %), tandis que les importations proviennent principalement de la Chine (17 %), d’Oman (13,5 %), de la France (11,2 %), de l’Inde (8,7 %), de l’Afrique du Sud (5,5 %) et des Émirats arabes unis (5 %).
Il faut ainsi se rendre à l’évidence : la Russie investit peu en Afrique, et ne contribue que pour moins de 1 % aux investissements directs étrangers destinés à la région. En 2023, le commerce du pays de Poutine avec le continent n’est que de 14 milliards de dollars, ce qui est insignifiant en comparaison avec la valeur du commerce africain avec l’UE, la Chine et les États-Unis (respectivement de 295 milliards, 254 milliards et 65 milliards de dollars). Madagascar ne se situe pas non plus dans la liste d’intervention prioritaire de la coopération russe dont plus de 70 % de l’ensemble du commerce se concentre dans quatre pays: l’Égypte, l’Algérie, le Maroc et l’Afrique du Sud.
De surcroit, les domaines proposés par la partie malgache (l’électricité et les infrastructures énergétiques, l’extraction des ressources minérales et la pêche) ne figurent pas parmi les négoces de prédilection de la Russie, qui exporte principalement des céréales, des armes, des matières extractives et de l’énergie nucléaire. Le régime de l’ancien Président Andry Rajoelina a été renversé suite aux manifestations contre la coupure d’eau et d’électricité. Pour autant, la coopération avec les russes dans ce domaine précis ne sera pas d’un grand secours dans la mesure. Le problème de l’énergie àMadagascar provient en grande partie de l’incapacité de la Société d’eau et d’électricité à payer les fournisseurs pétroliers.
Gazprom en embuscade

Plus qu’un transfert technologique, il s’agit donc d’un besoin en liquidités. Des rumeurs font prévaloir que l’entrée en lice de la Russie par le truchement du géant Gazprom dans le domaine de l’énergie à Madagascar solutionnerait à court terme le problème. Mais après la guerre en Ukraine, les sanctions américaines visant Gazprombank, le bras financier du groupe, et les sanctions à l’encontre de sa filiale pétrolière Gazprom Neft ont entraîné des pertes énormes, limitant considérablement ainsi sa capacite d’action.
Par ailleurs, la réussite de la pénétration de la Russie à Madagascar par le biais d’accords économiques n’est pas gagnée d’avance étant donnée la mauvaise image des entreprises russes dans le passé, empreintes de magouilles et de mauvaises pratiques. A cet égard, les péripéties malheureuses vécues par l’entreprise malgache d’exploitation de chrome (KRAOMA S.A.) marquent encore négativement les esprits.
Dans le cadre du plan de redressement de cette entreprise d’Etat, une société « conjointe » (Joint-venture) dénommée « Kraoma Mining » a été créée en 2018 avec Kraoma S.A. et une société russe Ferrum Mining SARL. Seulement 20% des actions sont détenues par l’Etat malgache, les 80% des actions ayant été conférées à la Kraoma Mining qui devaient en contrepartie investir 16 millions de dollars. Mais les Russes de Ferrum Mingsont n’ont officiellement remis que 198 000 dollars pour régler le salaire et des employés au mois d’août, septembre et octobre 2018 et ont pris la décision unilatérale d’arrêter complètement l’exploitation à partir de décembre 2019 en emportant avec eux toute leur production. En 2023, l’on apprend sur le marché international la vente de Ferrum Mining, qui détient un permis d’exploitation de chrome d’une valeur de plus de 120 millions de dollars. Les acquéreurs n’ont pas été identifiés.
Bien que le pouvoir de transition ait besoin de solutions urgentes pour mener à terme son projet de refondation, il ne peut se permettre de confier son sort a un partenaire qui est aujourd’hui de plus en plus déconnecté du système financier international. Et par expérience, les Malgaches se méfient des financements obtenus en dehors du circuit des bailleurs de fonds traditionnels, à la suite des magouilles occasionnées par le recours à des financements dits « parallèles » en 1994 (Affaire Flamco) et en 2010 (affaire WISCO).
La coopération militaire russe marginale
Un autre moyen utilisé par la Russie pour étendre son influence consiste en la fourniture d’armes. La réactivation de la coopération militaire, suspendue depuis la fin de la deuxième République malgache en 1991 a pu être engagée le 28 septembre 2018, avec la signature d’un protocole d’accord qui porte sur “le renforcement de capacité dans le domaine sécuritaire, de maintien de l’ordre et de la paix”, sur “la lutte contre le terrorisme et la piraterie maritime” et “l’approvisionnement en pièces de matériel militaire”. L’accord prévu pour une durée de cinq ans est renouvelable automatiquement.
Ce protocole a été agrée par un texte signé le 18 janvier 2022 portant sur la fourniture d’équipements militaires, la formation d’officiers malgaches, et le transfert d’expertise. Il faut rappeler que toutes les armes en possession de Madagascar ont été acquises dans les années 1980 sous l’ère soviétique ; l’artillerie, les armes légères, les blindés, nécessitent urgemment de pièces de rechange. A noter aussi que La Russie est le premier vendeur d’armes en Afrique ou il fournit 14 pays.
Mais a vue d’œil, cette coopération militaire avec la Grande ile est un commerce qui restemarginal. L’Algérie, l’Égypte et l’Angola représentent 94 % de la valeur des ventes d’armes russes en Afrique. L’action est donc destinée principalement à maintenir une présence symbolique dans le domaine militaire à Madagascar, en attendant des jours meilleurs.
La France, des beaux restes

On envisage mal la Russie supplanter la France qui est le principal partenaire de défense de Madagascar en Afrique australe et dans l’océan Indien. La France dispose d’une belle assise, avec une mission de coopération de Défense composée d’un Détachement d’appui à la coopération de sécurité et de défense (DACSD) positionné à l’Ambassade de France et d’officiers et sous-officiers des 3 Armées mis à disposition au sein de l’Armée malgache. La présence permanente d’assistants militaires techniques (AMT) français au sein de l’armée malgache constitue une des manifestations de la dépendance dont il serait malaisé pour Madagascar de se départir.
Par ailleurs, les accords de coopération avec la France sont renforcés par les manœuvres militaires menées conjointement entre les deux armées soit à Madagascar soit dans les espaces français de l’Océan Indien. Les exercices militaires dans ce cadre se font de manière constante : par exemple les opérations Saphir en 2003, Sakay en 2017 et Tampoketsa en 2019. Cette année, l’exercice militaire intitulé Tulipe 25 a mis en œuvre les forces armées des 5 pays de la Commission de l’Océan Indien, avec pas moins de 1500 militaires dont une majorité de Malgaches (700) et de Français (350).
Le terrain largement dominé par la France laisse une marge de manœuvre restreinte a tout outsider mais des récents signes montrent une menace d’effritement de cette position dominante. Le soutien apporté par Nicolas Sarkozy au coup d’Etat de 2009 et à Andry Rajoelina a suscité un sentiment anti-français au sein d’une fraction importante de la population malgache et parmi les hommes en treillis. Ce sentiment a été accentué lors de la récente crise avec l’opposition d‘une partie de l’armée a l’oppression meurtrière menée par la Gendarmerie nationale contre les manifestants de la Gen Z. Choyée par l’ancien régime, et bénéficiant largement de l’encadrement français, la Gendarmerie nationale est perçue comme un bras armé déguisé de la France au sein des forces de sécurité malgache. Ceci a occasionné quelques frictions que des esprits mal intentionnés pourraient instrumentaliser.
La Russie face à la Chine et l’Inde
L’intérêt géopolitique de la zone Océan indien pèse sur la scène internationale, avec ses 76,2 millions de kilomètres carré et une quarantaine d’États. De par sa position, Madagascar occupe une place centrale dans les stratégies énergétiques et sécuritaires au sein de ce vaste ensemble. Ce qui ne manquera pas d’aiguiser l’appétit d’une Russie nostalgique de la magnificence de l’ancien empire soviétique. Même si depuis l’invasion de l’Ukraine, la liberté de manœuvre de la marine russe n’a cessé de se dégrader, il n’est pas à exclure qu’elle pourrait élargir son partenariat par une coopération navale appuyée par l’implantation d’entreprises russes sur les côtes de Madagascar. Le projet de coopération en matière de développement de la pêche artisanale et hauturière préconisé lors du voyage de Siteny a Moscou pourrait servir de tête de pont à cette entreprise.
Pour l’heure, la Russie prend avantage de son appartenance à l’organisation BRICS (regroupant principalement le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud) pour essayer de jouer un rôle dans la région. Ainsi, les marines russes et chinoises ont entrepris des manœuvres navales conjointes dans le sud-ouest de l’Océan Indien avec l’Afrique du Sud. Mais il faut dire que la Russie est surpassée par ces partenaires du BRICS dans la coopération maritime avec Madagascar. Afin de raffermir ses liens de coopération avec la grande île, en 2017, la Chine a offert à Madagascar deux patrouilleurs neufs pour renforcer la flotte de la marine nationale et contribuer ainsi à la lutte contre les trafics et à la sécurité des navires commerciaux. De son côté, l’Inde continue de raffermir les liens diplomatiques et militaires avec la Grande ile, avec notamment l’envoi de quatre navires de guerre en octobre 2019 à la base navale de Diégo-Suarez, le don de 600 tonnes de riz en mars 2020 livré par un navire de guerre pour venir en aide aux victimes des inondations.
Considérée sous ces différents aspects, la percée de la Russie dans la région du Sud-ouest de l’océan indien restera tributaire de l’existence d’un régime politique qui lui est favorable àMadagascar. Et la Russie s’y emploie effectivement.
Un terreau pro russe
L’approche privilégiée par les Russes pour augmenter son influence en Afrique, y inclus Madagascar, repose généralement sur les partenariats établis avec des personnalités politiques, des dirigeants sportifs et autres activistes, ainsi que des opérateurs économiques en quête d’opportunités. Madagascar constitue aujourd’hui un terrain de prédilection pour les basses manœuvres, avec l’entrée en lice d’acteurs politiques vulnérables issus de la récente crise politique : un nouveau Président de l’Assemblée Nationale politiquement douteux quant à ses bailleurs de fonds et ses fréquentations internationales, des militaires novices ou pas trop expérimentés en termes de vision de développement et de relations internationales, donc très fragiles si les moyens en leur possession ne leur permettront pas d’avancer dans leurs objectifsde refondation de Madagascar. Tout ce beau monde sera tenté de chercher le plus court chemin qui les mènera vers ceux qui pourront offrir l’illusion d’un appui. Et en la matière, la Russie est prête atout pour supplanter l’influence occidentale.
En l’état actuel, le dispositif russe repose en grande partie sur Siteny Randrianasoloniaiko dont le background ne laisse subsister aucun doute. Ayant pu tirer profit de ses accointances dans le monde du Judo, Siteny a utilisé les réseaux Marius Vizer pour approcher Vladimir Poutine.Intime du maitre du kremlin, Marius Vizer est un ancien judoka roumain reconverti dans les affaires. En contrepartie de ses bons offices, Siteny a assisté le fils du roumain dans l’implantation à Madagascar de deux entreprises opérant dans le secteur minier.
Siteny Randrianasoloniaiko est très actif dans la défense des intérêts russes comme il l’a démontré au sein de la fédération internationale de Judo dont il est devenu l’un des vice-présidents. A la suite de l’invasion russe de l’Ukraine, il a en effet défendu la participation des athlètes russes aux compétitions internationales sous leur propre drapeau et non sous bannière neutre.
L’actuel président de l’assemblée nationale malgache espère récolter les dividendes de sa fidélitéa Poutine dans le soutien de la Russie aux prochaines élections présidentielles qui se tiendront à Madagascar en 2028. Mais il reste encore du chemin à faire car les dernières élections généralesont mis en évidence la déficience des candidats Pro-Siteny qui n’ont pu couvrir que 30% de districts lors des élections législatives et moins de 20% de Communes lors des élections municipales.
C’est dans l’espoir d’une conquête de l’électorat que Siteny a choisi des projets bien ciblés lors de son voyage à Moscou. Augmentation des bourses extérieures pour courtiser les jeunes largement majoritaires au sein de la population malgache, développement de la pèche artisanale et dessalage de l’eau de mer pour séduire les habitants des zones littorales, et la fourniture d’énergie qui a été le tendon d’Achille de l’ancien gouvernement.
Rien n’est pour l’heure gagné, mais il ne faut pas oublier qu’avec le régime révolutionnaire socialiste installé à Madagascar de 1975 à 1991, la Russie possède un acquis encore exploitable. Les modèles russe, nord-coréen, chinois qui étaient les modèles en vogue à l’époque ont contribué au maintien d’un terreau de sympathisants qui se retrouvent parmi les jeunes, lesofficiers et sous-officiers militaires, les professeurs d’Université de certains départements d’Histoire et de Sociologie, des politiciens légataires des anciens partis révolutionnaires, les élites formées dans les pays de l’ancien bloc de l’Est, les partisans du BRICS actuel … La présidence de l’Association des Amis de la Russie est ainsi un General de corps d’armée, ancien ministre de la défense malgache. L’existence de ces sympathisants résiduels explique en partie la position de Madagascar sur la guerre en Ukraine, où la Grande Île s’est abstenue par deux fois de soutenir la coalition occidentale aux Nations unies.
Le risque de basculement de quelques élites populaires n’est pas à écarter, et ce d’autant plus que le modèle AES se propage très vite dans l’imaginaire collectif comme étant le succédané a la descente en enfer actuel. La Russie reste à l’affut, pour exploiter toutes les failles. Il en est ainsi, par exemple, du soutien diplomatique de Moscou pour la restitution par la France des iles malgaches du Canal de Mozambique, désignées par le terme générique « les iles éparses ».





























