Malgré la formation d’une large coalition des partis politiques et des moyens colossaux, la campagne électorale de Mahamat Idriss Deby pour la présidentielle du 6 mai prochain peine à décoller véritablement. Des sondages donnent le président de la transition perdant dès le premier tour face à son Premier ministre Succès Masra.
Si l’union fait la force, elle ne garantit pas la victoire. Soutenu par une coalition de 200 partis politiques et 1000 ONG (Coalition pour un Tchad uni), le président de la transition tchadienne Mahamat Idriss Deby n’a pas pu se détacher de ses adversaires près de deux semaines après l’ouverture de la campagne électorale pour la présidentielle du 6 mai prochain. A N’Djamena, Mahamat Idriss Deby a lancé le 14 avril sa campagne en présence de toutes les têtes couronnées du Tchad : ministres, officiers généraux, présidents d’institutions de la république, etc… L’exercice était plus facile dans la capitale. En revanche, sur le terrain, où il s’agit de prendre de la poussière, de haranguer les foules, le fils du président Idriss Deby Itno est apparu beaucoup moins à l’aise. Ses meetings sont souvent écourtés et les thématiques qu’il aborde ne sont pas forcément celles qui vont lui permettre de faire la différence dans les urnes. Mahamat joue surtout la carte de la stabilité et vante les résultats de son pouvoir dans la lutte contre le terrorisme. C’est sans doute parlant pour les partenaires extérieurs, mais pas si sûr que cela suffise à convaincre le Tchadien du village qui se soucie surtout de sa nourriture quotidienne et de son accès aux soins médicaux.
Masra, le danger imminent
Alors que Mahamat, qui n’est pas « une bête des foules », lisait ses discours et son programme de campagne, son PM et son adversaire le plus sérieux Succès Masra « chauffait » des milliers de partisans dans ses différents meetings. Signe qui devrait inquiéter le camp présidentielle, Masra, originaire du Sud, a enregistré un succès formidable lors de son meeting à Abeché, la grande ville du nord, et fief du Parti pour les libertés et le développement (PLD) dont le leader Mahamat Alhabo a renoncé à se présenter à la présidentielle pour soutenir Mahamat qui a fait de lui Secrétaire général à la présidence de la république. Ancien opposant devenu PM, Masra a su parler aux jeunes tchadiens qui n’ont connu que les Deby père et fils et qui rêvent de changement et qui aspirent au changement. De nombreux sondages donnent le président du parti des Transformateurs gagnant dès le premier tour. A plusieurs reprises Succès Masra a fait part ces derniers temps de ses inquiétudes sur la préservation de l’intégrité du vote des électeurs, affirmant redouter une coupure d’internet et des réseaux sociaux le jour du scrutin ou au moment de la proclamation des résultats.
Quitte ou double
La difficulté de l’exercice, c’est que Mahamat Idriss Deby n’a pas prévu autre chose que sa victoire au scrutin présidentiel. En amont des opérations de vote, il déroule progressivement l’agenda qui devrait le conduire à cette victoire. Il a ainsi choisi de porter à tête de l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE), Ahmat Batchiret un cacique du régime de son père. Le choix de porter cet homme réputé pour sa loyauté envers le clan Deby procède d’un calcul méticuleux qui pourrait se révéler très utile. Afin de sécuriser sa victoire et de lui conférer le vernis juridique qui lui donnera le moment venu une légitimité, Mahamat a porté à la tête de la Cour constitutionnelle, juridiction en charge du contentieux électoral, Jean-Bernard Padaré, un ancien ministre de la Justice de son père. Signe de sa forte proximité avec Mahamat, Padaré, qui était il y a encore peu un des porte-parole du Mouvement patriotique du salut (MPS), était assis le 4 avril 2024 au premier rang du public présent à N’Djamena à la cérémonie de dédicace du livre autobiographique de Mahamat Idriss Deby « De Bédouin à président ».
L’agenda de la victoire programmée de Mahamat repose en outre sur la compromission de toutes les principales forces politiques du Tchad. En échange de la nomination de Saleh Kebzabo au poste de Médiateur de la république, après il a été PM de Transition, son parti Union nationale pour la démocratie et le renouveau (UNDR) a choisi de rallier la candidature du Mahamat Idriss Deby et donc de ne pas avoir son propre candidat.
Pour compléter sa stratégie de victoire, Mahamat s’est assuré de l’élimination par la Cour constitutionnelle de plusieurs candidats nordistes qui auraient pu disputer le même électorat que lui lors du scrutin présidentiel. Seuls deux sur les dix sont originaires du Nord. Dans un pays où on vote d’abord pour l’ethnie ou la région avant le programme, l’enjeu est donc d’éparpiller les votes entre les candidats du Sud et affaiblir ainsi Succès Masra principalement et l’ancien Premier ministre Albert Pahimi Padacké, accessoirement.
La France dans l’embarras
La France, qui a été à la manœuvre dans la formation du tandem Deby/Masra à la tête du Tchad, ne vote pas unanimement pour un seul candidat. Elle se divise entre partisans de Mahamat Idriss Deby et supporters de Succès Masra. Ainsi, au nom de la stabilité et de la continuité, les « sécurocrates » des armées françaises et la direction de la sécurité extérieure (DGSE, renseignements extérieurs) votent pour Mahamat Idriss Deby. Celui-ci vient d’ailleurs de confirmer qu’il reste au Sahel un allié sûr du lobby militaire et des services en offrant aux soldats français chassés du Niger une porte de sortie. Un choix dans la pure tradition héritée de son père Idriss Deby Itno, fidèle parmi les fidèles des armées et des services français.
En revanche, pour les diplomates du Quai d’Orsay, le Premier ministre Succès Masra apparait le choix le plus judicieux. Il incarne mieux le discours d’alternance que la France soutient, après plus de 34 années de pouvoir Deby fils et père à la tête du Tchad. Les diplomates sont également plus à l’aise avec Masra parce qu’il leur évite le reproche du double standard régulièrement fait à la France qui peut soutenir Mahamat Deby et même accepté qu’il soit candidat alors qu’elle ferraille au quotidien contre Assimi Goïta au Mali, Ibrahim Traoré au Burkina Faso et Abdourahamane Tiani au Niger.
Bien au-delà de la difficulté à trancher entre les deux principaux candidats, pour la France la situation pourrait devenir très vite intenable avec la gestion des résultats sortis des urnes. En effet, que ferait Paris si Mahamat Idriss Deby était battu et qu’il refusait de concéder sa défaite ?
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