La politique de la terre brulée de Benjamin Netanyahou

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a atteint un objectif stratégique majeur en éliminant Yahya Sinouar, leader du Hamas et principal instigateur de l’attaque du 7 octobre. Cela fait suite aux frappes ayant visé l’ancien chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, ainsi que le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et vraisemblablement le président du Conseil exécutif du Hezbollah, Hachem Safieddine.

Philippe Abi-Akl

L’assassinat de Sinouar a profondément bouleversé le paysage politique de la région, ouvrant la voie à de nouvelles perspectives. Qui prendra sa succession? Quel avenir pour le Hamas et Gaza, déjà aux prises avec des crises humanitaires et politiques? Quelle sera la portée des négociations sur les otages et d’un éventuel cessez-le-feu après l’élimination de l’architecte du “Déluge d’Al-Aqsa” par Netanyahou? Le Hamas demeurera-t-il sous l’influence de l’Iran? Continuera-t-il d’exercer son contrôle sur Gaza ou cherchera-t-il à se rapprocher du monde arabe et à revenir sous la férule de l’Autorité palestinienne?

Selon un diplomate arabe, l’assassinat de Sinouar renforce l’arrogance militaire de Benjamin Netanyahou, le poussant probablement à intensifier ses actions contre les groupes armés iraniens dans la région. La situation au sud du Liban devient de plus en plus délicate, avec l’Iran orchestrant désormais les opérations à travers le Corps des gardiens de la révolution, laissant présager une escalade des tensions.

Bien que le Liban ait exprimé son soutien à Gaza, la question se pose: qui sera véritablement en mesure de soutenir Gaza après l’élimination de Sinouar?

L’Iran, qui gère les différents théâtres d’opérations de l’axe de la résistance, cherche à traduire sa puissance sur le terrain dans le cadre de ses négociations politiques. C’est ce qu’a souligné le président du Parlement iranien, Mohammad Bagher Ghalibaf, en déclarant que “l’Iran est prêt à négocier avec la France la mise en œuvre de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies”. En réponse, le Premier ministre sortant, Najib Mikati, a rapidement réagi en considérant que “la position de Ghalibaf constitue une ingérence dans les affaires libanaises et une tentative d’établir une tutelle iranienne inacceptable sur le Liban, car la question des négociations relève de l’État libanais qui doit être soutenu par tous”. Cela n’a pas empêché Ghalibaf de revenir à la charge en réaffirmant que le guide suprême iranien ainsi que les responsables et le peuple iraniens représentent un pilier fondamental pour les Libanais.

Dans ce contexte, les événements récents ont conduit à une nouvelle visite du secrétaire d’État américain, Antony Blinken, dans la région, avec plusieurs objectifs: négocier un cessez-le-feu à Gaza et au Liban, assurer l’aide humanitaire à Gaza et libérer les otages avant la date fatidique du 5 novembre. Cette démarche vise également à soutenir les ambitions électorales de Kamala Harris. Toutefois, il est probable que Netanyahou n’acceptera un cessez-le-feu que selon ses propres conditions, notamment: la libération des otages, le désarmement du Hezbollah au profit de l’armée libanaise et le placement de Gaza sous le contrôle de forces internationales arabes.

Les cercles proches du Hezbollah rapportent qu’Israël mène une politique de la terre brûlée dans le sud du Liban, sur une profondeur de quatre kilomètres. Cette stratégie, qui consiste à détruire maisons et infrastructures, ainsi qu’à incendier cultures et oliviers, vise à rendre impossible le retour des déplacés dans cette région dévastée. Cette situation incite également de nombreux chiites à émigrer vers d’autres pays, notamment l’Irak, l’Iran, la Syrie. Selon les statistiques, plus de 150.000 personnes ont quitté le Liban depuis l’intensification des combats.

Selon un responsable militaire occidental, les Israéliens n’ont aucune confiance dans les dirigeants libanais, affirmant que le pays est sous occupation iranienne, l’Iran exerçant son contrôle par l’intermédiaire du Hezbollah, alors que les autorités vivent dans le déni. De plus, il souligne que le Liban exige d’Israël l’application de la résolution 1701 sans s’engager d’abord à la respecter.

L’impossible banalisation du Hezbollah

Parallèlement, selon les milieux occidentaux, les responsables libanais semblent ignorer les changements en cours et certaines réalités, tout en continuant d’exiger un cessez-le-feu, l’élection d’un président consensuel et une mise en œuvre complète de la résolution 1701. Pour l’opposition, un président consensuel impliquerait de maintenir les armes du Hezbollah sous sa protection et d’élaborer une stratégie de défense qui tirerait parti des capacités et des ressources du parti pro-iranien. En conséquence, les forces d’opposition rejettent cette idée, la considérant comme une manœuvre excessive et un simple jeu de mots.

Dans ce contexte complexe, la France avance une proposition de cessez-le-feu pour faciliter l’élection d’un président de la République. Elle prévoit également le déploiement de l’armée dans le sud du Liban, en collaboration avec la Finul, afin de mettre en œuvre la résolution 1701. De son côté, Israël, qui estime que seule la situation sur le terrain déterminera les conditions de la solution, vise des victoires qui instaureront une nouvelle réalité. Cela contraindra la nouvelle administration américaine à prendre en compte cette dynamique avant de lancer son processus de réorganisation au Moyen-Orient, axé sur une solution à deux États et la création d’un État palestinien indépendant avec Jérusalem-Est comme capitale. C’est précisément vers cet objectif que tendent actuellement les efforts.

En ce qui concerne le Liban, des pressions internationales et régionales se font sentir afin de préserver l’accord de Taëf, jugé essentiel à la stabilité du Liban. Réunissant chrétiens et musulmans, le Liban incarne, selon le pape Jean-Paul II, “un message pour le monde; un message de paix, d’amour et un modèle de dialogue entre les religions et les civilisations. Telle est la vocation du Liban. C’est pourquoi, lors de son indépendance, les fondateurs ont veillé à le tenir à l’écart des guerres des axes, afin qu’il demeure un refuge, un havre de paix et un exemple à suivre.

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)