La militarisation à hauts risques des civils contre les djihadistes

La mobilisation des populations civiles sous forme de milices pour défendre leurs pays aux côtés des forces de défense est de plus en plus répandue à travers le monde. Mais cette stratégie ne semble pas adaptée en Afrique pour lutter contre les groupes armés djihadistes

Une chronique de Moussa Mara, ancien Premier ministre malien et figure respectée de la classe politique malienne

Moussa Mara

Les brigades communistes ont existé en Asie ou en Europe au XXe siècle. Le service militaire obligatoire subsiste en Israël ou en Ethiopie. Il y a également le cas des volontaires pour la défense de la patrie au Burkina Faso, ou encore les réservistes aux Etats unis ou en Egypte, constitués de millions de civils mobilisables le cas échéant. Il y a encore les milices populaires sous différentes formes, le service national des jeunes ou dernièrement la formation militaire de toute recrue dans la fonction publique malienne.

Un modèle ukrainien?

Cette réalité repose sur l’idée que la défense nationale demande non seulement l’implication des citoyens mais aussi celle de l’armée. Il est vrai que quand le pays fait face à une grave menace, ou pire, quand il est engagé dans un conflit majeur, la seule armée peut ne pas suffire et des mesures sont engagées pour enrôler les forces vives comme en Ukraine, par exemple.

Certains pays vivent ainsi dans une situation où le danger est permanent et le risque de confrontation avec une puissance extérieure ou un voisin immédiat, est élevé. Dans cette hypothèse, ils doivent se préparer et se tenir prêts à faire face à un conflit à haute intensité, nécessitant une implication d’effectifs importants, comme en Corée par exemple. Le dénominateur commun de ces mobilisations civiles, à un niveau variable en fonction du pays, est qu’elles sont destinées à faire face à une menace et sont donc proportionnelles à l’estimation de celle ci par les autorités du pays concerné. C’est donc la menace qui induit le niveau de mobilisation des populations ainsi que sa profondeur.

Afrique, une menace à identifier

Dans le contexte africain, la menace est-elle de ce fait bien évaluée ? En quoi consiste-t-elle vraiment ? Et pour quel type de réponse en face ? Ces questions sont utiles pour ensuite induire quelques suggestions en termes de mobilisation des civils et/ou de préparation des armées conventionnelles.

Le paysage sécuritaire continental se caractérise par une réduction sensible des sources de conflits entre les Etats. Les questions territoriales et de frontières qui ont été à la base de nombreuses guerres (Burkina /Mali, Nigeria/Cameroun, Ethiopie/Erythrée, Libye/Tchad…)sont en grande partie réglées par des voies pacifiques. Il demeure toujours dans la zone des Grands Lacs ou encore au Maghreb, quelques conflits larvés, mais en grande partie les risques de confrontations armées, entre Etats, sont faibles et le seront probablement de moins en moins dans le futur.

En revanche, les tensions sur le continent sont en grande partie le fait de groupes armés, de rebellions, de terroristes, voire de bandits aux motivations variables qui déstabilisent quelques Etats, voire des régions du continent. Ces menaces sont d’ordre interne avec quelques fois des caractéristiques régionales comme la donne terroriste dans le Sahel. Elles sont toutefois bien différentes des menaces vécues dans la péninsule coréenne ou encore au Moyen Orient. Il n’est pas sûr que la formation d’une réserve militaire constituée d’agents publics ou de civils, soit nécessaire pour faire face à des groupes disparates, souvent imbriqués dans la population, qui engagent des attaques dérobées et recourent à des méthodes de harcèlement, plutôt que de faire face en grand nombre aux forces nationales. 

Nos Etats anticipent plutôt une intensification de cette guerre asymétrique qui nécessite d’autres moyens que la constitution de divisions blindées ou de milliers de réservistes prêts à s’engager. La réponse devrait être une plus grande professionnalisation des forces armées, un approfondissement de la formation des militaires de métier, l’adaptation de ceux-ci à une stratégie contre insurrectionnelle et la prise en compte des outils, armes, équipements et infrastructures appropriés pour les nouveaux défis. En somme, plutôt que la formation sommaire de 5 000 recrues annuelles de la fonction publique, nous devrions approfondir et renforcer celle des 1 000 recrues au sein des forces armées et de sécurité. Accorder plus de temps pour le conditionnement physique, plus de maniement des armes, plus d’exercices de simulations afin de s’adapter à des conditions extrêmes d’opération, etc.

Professionnalisation accrue de l’armée

Les ressources publiques, souvent insuffisantes, doivent être réaffectées à ce type de priorités. La professionnalisation accru de l’armée conventionnelle, l’amélioration des conditions de travail des soldats, la spécialisation de ces derniers pour des activités spécifiques au contexte (renseignement, immersion en milieux hostiles, collaboration avec les populations, sabotages…) sont ainsi à privilégier. Il faut éviter le saupoudrage, voire le gaspillage, induits par les formations sommaires et au rabais, données à des effectifs non motivés et encore moins convaincus de la nécessité de leur implication.

Le futur sécuritaire africain doit surtout être à la dimension des menaces tout en tenant compte des évolutions technologiques en cours dans d’autres environnements. Il doit certes intégrer la place à donner aux sociétés africaines en matière de collaboration et de partenariat avec les forces conventionnelles pour sécuriser et stabiliser nos espaces.

Cette stratégie ne signifie nullement de militariser les civils.

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