Best Of Cameroun (4/5), la guerre de succession  

À la tête du Cameroun depuis 1982, le président Paul Biya, âgé de 90 ans depuis février dernier, souffre d’atroces douleurs au genou qui l’obligent à se déplacer désormais en fauteuil roulant. Pour autant, le chef de l’Etat refuse de se faire opérer pour ne pas rajouter à la guerre de succession entre les différents prétendants au fauteuil présidentiel. 

Alors qu’il souffre, selon plusieurs sources, d’atroces douleurs au genou qui l’oblige désormais à se déplacer en fauteuil roulant, le président camerounais n’envisage pas pour l’instant de se faire opérer. Et ce n’est pas tant les incertitudes de l’acte chirurgical dans un hôpital helvétique où il a ses habitudes qu’il redoute que les ravages de la guerre de sa succession.  

Pour Biya, le choix est cornélien : soit il s’accommode des souffrances imposées par son mal de genou et continue de diriger son pays sur un fauteuil roulant, soit il franchit le pas de se rendre en Suisse pour se faire opérer avec les risques de raviver « la guerre civile » des prétendants à sa succession

La mise en scène permanente

Derrière chaque apparition publique du président camerounais Paul Biya,  se cache un gigantesque effort de mise en scène de son entourage emmené par Chantal Biya, la première dame du pays. Tout l’enjeu de cette mobilisation dans l’ombre est de faire croire à l’opinion que ni l’âge (90 ans) ni l’usure du pouvoir (41 ans) n’ont diminué leur champion qui tient fermement le bâton de commandement. A ceux qui auraient pu en douter, l’entourage de Biya a profité de l’affaire Martinez Zogo, du nom de ce journaliste camerounais enlevé et assassiné en janvier dernier, pour montrer que le chef de l’Etat est bel et bien aux commandes. Selon le récit officiel, non seulement Biya suit heure par heure « cette affaire d’Etat », mais c’est surtout lui qui a donné son feu vert à l’arrestation du tout-puissant Maxime Eko Eko, directeur général de la recherche extérieure (DGRE, les renseignements extérieurs du Cameroun), de son adjoint le lieutenant-colonel Justin Danwe ainsi que du très influent homme d’affaires Jean-Pierre Amogou Belinga. 

Pilotage automatique 

Mais comme toutes les légendes, celle d’un Paul Biya omnipotent, omniscient à 90 ans, tenant d’une main de maître le Cameroun présente, à l’examiner de près, de nombreuses lacunes. La preuve la plus évidente de la difficulté de Biya à continuer à exercer son magistère a été apportée par la scène filmée en décembre 2022 à Washington, lors du dernier sommet Etats-Unis/Afrique. On voit alors sur des images le président camerounais traversé par de longs moments de vide, comme si la mémoire lui faisait défaut, demandant même là où il se trouve ? Qui sont dans la salle ? Que doit-il faire ?  

Malgré l’évidence, l’entourage de Biya a ensuite organisé de nombreuses mises en scènes publiques pour minimiser l’épisode de Washington et jurer la main sur le coeur que tout va bien comme dans les meilleurs de monde. Dans la pratique, Biya est plus dans son village natal qu’à Yaoundé ; il ne tient plus de conseils des ministres et ne reçoit ni ministres ni collaborateurs directs. Encore moins des officiels étrangers de passage dans la capitale camerounaise. 

 Le chef de l’Etat camerounais ne se rend presque jamais aux Sommets de l’Union africaine, encore moins aux conférences régionales des chefs d’Etats de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) ou de la Communauté économique d’Afrique centrale (CEAC). Fait remarquable, Paul Biya, dont le pays est membre du Commonwealth, n’était pas venu le 6 mai à Londres pour le couronnement du Roi Charles III. 

 Au quotidien, le pays est dirigé « par procuration » par le Secrétaire général de la présidence de la République (SGPR) Ferdinand Ngoh Ngoh à coups de courriers et circulaires « sur hautes instructions du chef de l’Etat » adressés directement aux ministres, en court-circuitant le Premier ministre Joseph Dione Ngute. Sachant que les destinataires de ses correspondances n’ont aucun moyen de vérifier que « ces hautes instructions » viennent effectivement de Biya, Ngoh Ngoh en profite imposer ses desideratas et avancer ses pions dans la guerre de succession.  

Le SGPR dispose de deux atouts face à ses rivaux dans la bataille « des héritiers » : il jouit de la confiance totale de la première dame Chantal Biya et a bâti des liens étroits avec les Israéliens qui ont la haute main sur la Garde présidentielle et le Bataillon d’intervention (BIR), les deux unités d’élite de l’armée camerounaise. 

Clan familial en embuscade 

Pour autant, rien ne garantit que Ngoh Ngoh a pris une avance définitive sur les autres prétendants au fauteuil d’Etoudi, sur les hauteurs de Yaoundé. Le clan familial n’a pas, de toute évidence, dit son dernier mot. Louis-Paul Motaze, argentier du Cameroun, mais surtout neveu du président Biya, nourrit lui aussi l’ambition de s’asseoir sur le trône que laissera son oncle :  ce qui permettra de préserver les intérêts du clan familial. Dans cette longue marche vers le pouvoir suprême,  Motaze, originaire du Sud comme son oncle, pourra compter sur le renfort de ses beaux-parents du Nord, qui se sentent éloignés du premier cercle du pouvoir depuis la démission, en 1982, d’Amadou Ahidjo, un des leurs. Au Cameroun, sans doute plus qu’ailleurs en Afrique, le poste de ministre des Finances est stratégique en ce qu’il permet disposer d’une clientèle politique à coups d’attribution de marchés publics. Il dispose donc du nerf de la guerre. Motaze a ainsi su tisser de bons relais dans les milieux économiques et financiers camerounais.  

Autre signe de sa volonté de jouer un rôle de premier plan dans la succession de son oncle, le ministre camerounais des Finances a bâti de solides réseaux qu’ils soignent bien dans les rangs du Rassemblement du peuple camerounais (RDPC, parti au pouvoir). 

Franck Biya, l’outsider  

Alors qu’il a longtemps vécu à l’étranger, notamment en Europe et aux Etats-Unis, Franck Biya, fils aîné du président, Biya, 51 ans, vit désormais au Cameroun. Les apparitions publiques fortement médiatisées de Franck Biya, qui fuyait jadis la lumière, atteste d’une volonté d’être présent dans ce contexte de fin de règne et de bataille de succession. 

 Après avoir conclu « la paix des braves » avec Chantal Biya, sa belle-mère avec laquelle il a été longtemps à couteaux tirés, Franck Biya, né du premier mariage de son père, continue de tisser patiemment sa toile, s’appuyant sur des relais dans la haute administration, notamment à travers le directeur du cabinet civil du président Samuel Mvondo et le ministre de l’Economie Ousmane Mey, son fidèle ami.  

Outre de nombreux barons du RDPC qui voient en lui le meilleur garant de la continuité de l’héritage de son père, Franck a su se ménager la proximité des personnalités people dont l’icône du football camerounais Samuel Eto’o fils. Dans un pays où le football est une religion, le soutien d’Eto’o, propulsé depuis lors à la tête de la fédération camerounaise de football (FECAFOOT), n’est pas négligeable.  

Pour ne rien arranger à la « guerre civile » entre clans rivaux candidats à sa succession, Biya entretient le mystère sur sa préférence, espérant ainsi que les prétendants se neutralisent.  

Francis Sahel