Alors que la loi sur l’immigration en France doit être réécrite, à parité, par la classe politique française, les Ivoiriens, eux, scrutent déjà l’horizon d’un nouveau dispositif légal et ses contraintes.
Z. Bati Abouè
Quand on est un pays qui a le plus grand cortège d’immigrés clandestins vers l’Europe, on est forcément plus sensible que d’autres à la loi sur l’immigration en France et à la polémique qu’elle déclenche. Selon l’agence européenne Frontex, 14 000 Ivoiriens – 12 500 selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) – figurent en effet parmi les exilés ayant débarqué en septembre 2022 en Europe. Le volet emblématique de la loi propose la suppression de l’aide médicale d’état aux immigrés mais elle régularise les sans papier ayant un travail. Grâce à cette loi, le gouvernement espérait collecter plus d’impôts, vu que le plus grand nombre de travailleurs immigrés sont dans des métiers en tension.
Or, au lieu d’envoyer le projet de loi en examen à l’Assemblée nationale, le ministre de l’intérieur l’a proposé au Sénat qui en a détricoté et durci le dispositif emblématique. Cette situation a provoqué l’ire des députés qui l’ont rejeté à 275 voix contre 265 voix. Depuis, une polémique franco-française a éclaté, mettant tour à tour sur le grill Gérard Darmanin, Emmanuel Macron ou encore Elisabeth Borne. Mais même si l’observateur lointain s’y perd un peu, pour les ivoiriens qui ont au moins un immigré français dans une famille, seul importe le contenu du prochain dispositif qui doit être écrit, à parité, par pouvoir et opposition français.
C’est, à tout le moins, la parade trouvée par le président français pour mettre fin à la crise politique créée par cette affaire qui risquait surtout de virer à une crise institutionnelle. Mais à l’instar de la plupart des gouvernements africains, le gouvernement ivoirien n’a fait aucun commentaire sur les vifs débats déclenchés au sein de la classe politique. Néanmoins, la plupart des Ivoiriens scrutent l’horizon français et attendent de quoi il sera fait pour l’immigré.
La Côte d’Ivoire déverse en effet chaque année le plus nombre d’immigrés clandestins sur les côtes de Lampedusa. Au grand dam d’Abidjan qui a décidé de réformer son passeport ivoirien pour le rendre plus sûr et sa loi sur la naturalisation par le mariage.
Le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Diomandé Vagondo, évoquait même à ce sujet une responsabilité collective devant l’utilisation frauduleuse de la carte nationale d’identité et du passeport ivoirien. « Nous sommes tous fautifs. Chaque fois que nous constatons une tentative de fraude sur l’identité, il s’avère que la personne étrangère possède une carte d’identité ivoirienne au nom de quelqu’un d’autre qui s’est fait passer pour son parent, ou bien la personne détient un acte de naissance authentique délivré par les services ».
Pour résorber cette situation qui nuit à la belle image qu’Abidjan s’est créée, le ministre a détaillé devant la Commission des Affaires Économiques et Financières (CAEF) de l’Assemblée nationale « un mécanisme très efficace qui fonctionne », a-t-il dit, ajoutant qu’« il appartient à chacun de lutter à avoir un nouveau type de passeport encore plus sécurisé ». Mais le gouvernement ivoirien s’est aussi ligué contre la loi sur la naturalisation du fait du mariage. Jusque-là, celle-ci était immédiate pour le conjoint étranger. La nouvelle loi fait désormais obstacle à celle-ci et conditionne l’acquisition de la nationalité à une déclaration du conjoint étranger devant le Ministre de la Justice, à l’issue d’une période probatoire de cinq ans, à compter de la célébration du mariage. Le gouvernement estime que ce délai est nécessaire pour éprouver la stabilité de l’union, ainsi que l’intérêt que porte le requérant à la nationalité ivoirienne. Mais à Abidjan, personne n’est dupe des intentions de l’administration d’Alassane Ouattara.