Dans la longue série de coups d’État qu’a connus l’Afrique de l’Ouest depuis les indépendances, celui survenu en Guinée-Bissau le 26 novembre est sans doute le plus cocasse. Dans la même journée, le président Embaló a affirmé être détenu pendant que le chef de l’opposition était, lui aussi, était arrêté et pour finir un proche du chef de l’État s’est propulsé à la tête d’une transition d’un an.
Au total, des militaires ont pris le «contrôle total» de la Guinée-Bissau mercredi et suspendu les élections. Le président Umaro Sissoco Embalo, destitué, est arrivé «sain et sauf» au Sénégal jeudi. Le général Horta N’Tam a été investi président d’une transition censée durer un an
Récit d’une journée où le réel l’a disputé à l’absurde.
Leslie Varenne
Il est environ 12 heures ce jeudi lorsque les premiers coups de feu sont signalés autour du palais présidentiel. Comme lors de chaque coup d’Etat, très vite, la rumeur enfle, les messageries privées s’emballent et les supputations vont bon train. Dans la foulée, Jeune Afrique annonce avoir eu le président Umaro Sissoco Embaló au téléphone : « Je suis détenu à l’Etat-major », assure-t-il. Premier élément intriguant : comment un chef d’État prisonnier peut-il garder son portable et accorder des interviews internationales ? Sur le terrain, d’autres éléments ne collent pas. Le palais est réputé imprenable. Il est protégé non seulement par la garde présidentielle, mais aussi, selon un diplomate d’Afrique de l’Ouest par la Sadat, une société militaire privée turque. De plus, le chef d’état-major général, le général Tchamy Canha, est l’un des plus sûrs soutiens d’Embaló.
Comment imaginer un commando renversant cette forteresse ? Les doutes s’accumulent sur la réalité de ce coup d’Etat, d’autant que ce n’est pas la première fois que le président bissau-guinéen utilise ce stratagème pour sortir d’une impasse politique. Pendant son mandat, il y en a eu cinq, une par an, et chaque fois, ses tentatives avortées l’ont sorti d’un mauvais pas. Les réseaux sociaux commencent à ironiser lorsque surgit une nouvelle information du quotidien le Monde, qui a eu le président « je suis bien prisonnier mais je ne peux pas vous parler longtemps », puis à France 24 « J’ai été renversé ». Des déclarations maladroites qui renchérissent les suspicions et les moqueries.
L’opposition rit jaune
Pendant ce temps, Domingos Simões Pereira, figure majeure de l’opposition et ancien Premier ministre, dirigeant du parti historique PAIGC a été arrêté. Le Frente Popular, plateforme citoyenne devenue la principale force de contestation, dénonce un « coup d’État simulé » orchestré par le président lui-même pour empêcher la proclamation des résultats des élections présidentielle et législatives qui se sont tenues le 23 et dont les résultats étaient attendus le 27, soit le lendemain du putsch. Selon le Frente Popular : Embaló, donné perdant face au candidat Fernando Dias da Costa, aurait voulu créer une situation d’exception, écarter la Commission électorale et installer provisoirement un proche à la tête du pays. Des résultats non-officiels, qui circulent, donnent 43,65% des voix au président sortant, largement derrière son challenger Fernando Dias Da Costa.
Le coup d’Etat consommé
En fin d’après-midi, se déroule une scène désormais banale en Afrique de l’Ouest. Des officiers de l’armée, se regroupant sous le Haut commandement militaire pour la restauration de la sécurité nationale et de l’ordre public, lisent maladroitement un communiqué, ils « annoncent le contrôle total du pays » « la fermeture des frontières » et bien entendu la « suspension du processus électoral ». Ils justifient leur intervention pour préserver la stabilité et la sécurité postélectorale (sic). Ils ont également justifié le putsch par la nécessité de lutter contre la corruption et le trafic de drogue, affirmant que certains acteurs du processus électoral étaient impliqués. En bref, ils sont venus nettoyer la maison, un air bien connu en Afrique de l’Ouest…
Le lendemain, le théâtre politique se poursuit. Un proche du président, le général Horta N’Tam, jusqu’ici chef d’état-major de l’armée de terre, est investi « président de la transition » pour un an. Un homme du sérail, propulsé par les mêmes militaires qui affirmaient la veille avoir neutralisé le chef de l’État. L’histoire tourne à la caricature et semble donner raison à l’opposition.
Chapeau l’artiste
Pendant 24 heures, la CEDEAO est restée silencieuse, puis elle a fini par publier un communiqué condamnant le putsch et demandant la libération immédiate et inconditionnelle du président Embaló. Sitôt dit, sitôt fait : jamais dans son histoire l’organisation sous-régionale n’avait obtenu un succès aussi rapide. Dans la foulée, le désormais ex-président guinéen était libéré et prenait place dans un avion affrété par la CEDEAO : direction Dakar. Les dés sont jetés : ses amis militaires restent au pouvoir. Le très probable gagnant des élections, Fernando Dias da Costa, devra attendre que la junte organise une élection « crédible, sincère et transparente », selon l’expression consacrée — dans un an ou dans deux pour pouvoir se représenter.
« Ne rien cacher aux masses de notre peuple… » disait Amílcar Cabral, le héros de l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert. Soixante ans plus tard, que reste-t-il ? Un coup d’État téléphoné, une transition arrangée… Après la présidentielle d’octobre en Côte d’Ivoire, celle de novembre à Bissau montre que toutes les règles ont sauté, toutes les lignes rouges ont été franchies, il n’existe plus aucun garde-fou. Et que dire de celle à venir en décembre en Guinée Conakry ? Les Africains de l’Ouest assistent médusés et impuissants au spectacle tragique de l’effondrement de leur démocratie.

























