Initialement prévues le 19 décembre prochain, l’élection présidentielle algérienne aura lieu le 7 septembre 2024, a annoncé un communiqué de la Présidence le 21 Mars. Depuis, des spéculations les plus inventives sont diffusées sur les réseaux sociaux pour expliquer ce coup de tonnerre dans une vie politique algérienne atone.
Le président algérien a laissé planer un vague suspense dans une interview télévisée sur sa candidature à un deuxième mandat dont personne ne doute à Paris et à Alger. «Je ne vais pas répondre, car avant l’heure ce n’est pas l’heure», a dit M. Tebboune, dans un entretien diffusé sur la télévision nationale. D’une façon convenue, le président a en tout cas exclu «tout conflit au sommet de la hiérarchie sur son maintien ou son départ».
Face aux manoeuvres d’une partie de l’appareil sécuritaire pour l’empêcher de briguer un deuxième mandat et pour imposer son propre candidat, le président Tebboune passe à la vitesse supérieure pour imposer un deuxième mandat avec l’appui tacite du chef des armées. Le général Chengriha est lui aussi en butte à l’hostilité d’une partie des généraux, notamment au sein de l’armée de terre, qui cherche à l’affaiblir en organisant notamment des fuites ciblées sur les sinécures de ses enfants à l’étranger ou sur les délibérations des conclaves militaires.
Des arrestations se multiplient, ces derniers jours encore, pour tenter de sauvegarder la culture du secret au sein de l’institution militaire. Faute de réelle liberté de la presse dans unpays riche en journalistes talentueux, le débat politique se nourrit de fuites toujours calculées et souvent approximatives.
Le président Tebboune qu’il ne faudrait pas enterrer politiquement trop vite vient de prendre de court le clan des cadors de l’État profond sécuritaire, ces militaires proches du général Mohamed Mediene, alias « Toufik ». Le but de ces derniers est de bousculer le calendrier électoral pour avoir le temps d’imposer un candidat et de perturber ainsi le scénario d’une reconduction du président sortant adoubée par Paris et Washington et financée par une partie du patronat algérien (1).
Afin de mobiliser leurs réseaux, notamment les présidents des partis qui leur sont acquis ou leus obligés à Paris, les amis du général Toufik, évoquaient encore ces dernières semaines sur des sites amis un éventuel report de l’élection pour faire monter la mayonnaise.
Le très versatile Abdelkader Bengrina, le dissident du parti islamiste HAMS (Frères musulmans) devenu l’actuel président du mouvement pour la construction (MPC), a déclaré en février passé « que l’hypothèse d’un report des élections est sur la table ». Quant à la doyenne des candidats à l’élection présidentielle, la SG du parti des travailleurs d’obédience trotskiste, connue pou être très proche du général Toufik, Louisa Hannoun, elle est montée au créneau. Au vu de la situation régionale instable, estime cette grande gueule décomplexée, « les conditions ne semblent pas réunies pour organiser le scrutin ».
L’intrusion des Emirats arabes unis à coup de gâteries financières au Sahel, au Maroc, et en Libye inquiète à juste titre Alger. Ce qui est cocasse, c’est que le duo met également en avant ces menaces régionales pour justifier la date avancée des élections, comme l’ont révélé des fuites dans la presse algérienne de plus en plus nombreuses, y compris sur le contenu des discussions hautement sensibles des cénacles de gradés au ministère de la Défense.
Autant de tentatives pour brouiller les enjeux de la Présidentielle et mettre en cause le scénario d’une réélection acquise du président Tebboune.
Le renversement d’alliances
C’était sans compter le récent rapprochement entre le vieux et malade chef de l’état-major, Saïd Chengriha, et la Présidence de la république. Cette alliance de circonstance distribue de nouvelles cartes et marginalise le clan Toufikiste, dont Chengriha avait eu besoin ces derniers mois pour organiser des purges sévères contre les partisans du général Gaid Salah, son prédécesseur en 2019 à la tète de l’armée algérienne.
Selon la constitution, l’ élection présidentielle devrait avoir lieu le 19 décembre 2024, date de la fin du mandat du président Tebboune.La surprise, la voici: usant de ses prérogatives constitutionnelles, le président a convoqué le corps électoral, plus concerné par l’inflation galopante que par la Présidentielle, avant la fin de son mandat. Lors d’une réunion tenue à la Présidence le 21 mars et en l’absence très remarquée de tous les chefs des services de sécurité (contre espionnage, renseignement militaire), si prompts à marquer leur présence à chaque événement médiatisé, l’annonce de la date de l’élection anticipée est officialisée (voir l’image ci dessus).
Dès l’annonce de la nouvelle date des élections présidentielle pour le 7 septembre prochain, les relais médiatiques de l’ancien état profond au sein de la galaxie des réseaux sociaux bataillent en faveur de la non reconduction du président sortant et incitent à se présenter certains candidats qui leur sont proches comme le général Ali Ghediri qui avait déja fait une tentative à la fin du mandat de l’ex Président Bouteflika.
Le soutien de Paris
La contre offensive est battue en brèche à Paris qui invite le président algérien pour une visite officielle et à Washington qui joue en Algérie la carte de la pérennité des institutions dans le sillage d’Emmanuel Macron.
Un communiqué de l’Elysée diffusé le 11 mars 2024 confirme que « Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, effectuera une visite d’Etat en France « fin septembre, début octobre », à l’issue d’un entretien téléphonique entre MM. Tebboune et Macron. Une façon, alos que Paris est au courant du projet d’élection présidentielle anticipée, de considérer que le second mandat est acquis et que le président sortant effectuera bien sa visite à Paris initialement prévue au mois de mai 2023, mais libéré des pressions exercées par les militaires.
Le président français a affiché ouvertement son soutien au président algérien depuis le retour de ce dernier de son séjour pour covid dans un hôpital en Allemagne en février 2021. Depuis, il n’a cessé de maintenir un appui constant au président algérien au point de susciter l’hostilité des militaires qui ont capoté sa visite à Paris maintes fois reportées. On se souvient des déclarations du président Macron en 2021 sur le « pouvoir politico militaire » vivant sur « la rente mémorielle » qui visaient moins l’Algérie que son armée coupable aux yeux de la diplomatie française de faire alliance avec la Russie au Mali que les militaires français étaient en train de quitter .
Lors de sa visite à Alger en août 2022, le président français propose un partenariat approfondi entre les deux pays touchant divers secteurs, de l’économie à l’énergie, mais aussi de l’agriculture, l’éducation et la culture. Les maintes visites furtives du ministre de l’intérieur français, Gérald Darmanin, butent sur les modalités qui soient acceptables par la France dans une coopération sécuritaire pourtant souhaitée entre les deux pays.
Washington en phase avec Macron
Par ailleurs, les Etats Unis ont procédé au changement au sein de leur représentation diplomatique à Alger en nommant un polyvalent, à la fois diplomate chevronné et un spécialiste des questions sécuritaires. Joshua Harris était, jusqu’avant sa nomination à Alger, secrétaire adjoint pour l’Afrique du nord au sein de l’administration Biden. Ayant une expérience affichée, Harris connaît très bien le personnel politique et militaire algérien en travaillant avec Brett McGurk, conseiller à la sécurité auprès du président américain et coordinateur pour l’Afrique du nord et le moyen Orient au sein du conseil de sécurité nationale.
La nomination de l’ancien chargé d’affaire à l’ambassade des USA en Libye et en Tunisie est une réponse à la position d’Alger au Sahel, notamment au Niger après le coup d’Etat contre le président Mohammed Bazoum du 23 juillet 2023. Alger condamne le coup de force des militaires, mais s’oppose à toute intervention militaire de la CEDEAO au Niger. Les positions américaines se rapprochent à celles d’Alger à partir d’octobre 2023. Le département d’État, en contact avec la junte militaire, l’invitit à rétablir l’ordre constitutionnel et à ouvrir un dialogue avec les instances ouest africaines. Ces derniers jours pourtant, la bonne entente entre les Nigériens et les Américains était mise à mal.
La convergence des positions entre Alger et Washington obéit à une vision géo stratégique globale au Sahel. La base aérienne américaine qui existe pour l’instant à Agadez au Niger (voir l’image ci dessus) a besoin d’exploiter une partie de l’espace aérien algérien pour ses drones et ses aéronefs militaires de reconnaissance couvrant un large spectre d’interventions au Niger, mais aussi au Mali et en Libye dans le cadre de la lutte antiterroriste au Sahel. Le rapprochement sécuritaire au Sahel entre Alger et Washington suscite l’ire de Moscou.
La démocratie sans le peuple
Depuis, les relations entre Poutine et Tebboune sont au plus bas. Ce qui renforce la position de Poutine aux yeux des occidentaux? Sous réserve que le général Chengriha, allié constant des Russes, détourne le regard.
Les Algériens auront inventé une vie politique très sophistiquée où le seul maillon manquant est la volonté populaire.
(1) les plus riches patrons de l’organisation patronale le Conseil du Renouveau Économique Algérien (CREA), le partenaire choyé et attiré du pouvoir Tebboune, n’ont pas attendu cette annonce pour se préparer à soutenir ce 2e mandat qu’ils attendent avec beaucoup d’impatience. Ces hommes d’affaires ont d’ores et déjà lancé une opération de collecte des fonds afin de se tenir prêts à soutenir activement durant l’été la campagne de l’actuel président algérien avec lequel le CREA notamment son président, le milliardaire Kamel Moula, entretient des relations très cordiales.