La grave crise diplomatique entre Paris et Alger

Le documentaire de deux chaînes publiques algériennes  qui accuse directement les services extérieurs français de graves ingérences en Algérie surviennent dans un contexte de relations tendues entre l’Algérie et la France. Les dernières années ont été marquées par des différends sur des questions historiques (notamment la colonisation), migratoires, et géopolitiques. L’Algérie, cherchant à affirmer son indépendance politique, a dénoncé à plusieurs reprises ce qu’elle perçoit comme une ingérence française dans ses affaires internes.

Les premiers signes (2013-2021)

La crise trouve ses origines dans la restructuration des services de renseignement algériens en 2013. Cette réforme entraîne le départ de figures historiques, notamment en 2015 celui le chef emblématique des services, le général Toufik, en poste depuis 25 ans et toujours présent dans les coulisses du pouvoir algérien après une sévère peine de prison qu’il n’a exécuté que très partielleemnt. Ce bouleversement affaiblit la centralité et la coordination au sein des services algériens, affectant leur capacité à gérer des dossiers complexes, notamment dans le Sahel.

La période entre 2019 et 2021 est marquée par un turn-over accéléré parmi les responsables des trois principaux services de renseignement (renseignement militaire, services extérieurs, contre espionnage). Ces changements nuisent à la stabilité des institutions sécuritaires et à leur capacité d’anticipation dans un contexte de bouleversements géostratégiques liés à la montée du terrorisme, à l’alliance du Maroc avec les Émiratis et les Israéliens ainsi que des rivalités étrangères au Sahel qui voient la Turquie et la Russie sortir du bois.


La dégradation des relations bilatérales (2013-2022)

La dissolution du CEMOG, un comité d’état-major opérationnel conjoint établi en 2010 à Tamanrasset, marque une rupture majeure souvent sous estimée. Cette dissolution résulte de l’intervention française au Mali en 2013 (opération Serval), perçue par les services comme une manœuvre unilatérale orchestrée par la DGSE même si le président français d’alors, François Hollande, avait obtenu un feu orange du Président Bouteflika en faveur de cette intervention. Depuis, les services français et algériens se livrent une guerre feutrée, multipliant les opérations de représailles. 

Bien que les deux pays aient maintenu des coopérations sécuritaires historiques et qu’Emmanuel Macron, parvenu au pouvoir en 2017, ait tenté une alliance privilégiée avec le Président tebboune, élu à la fin de 2019, les tensions n’ont jmaias cessé. La méfiance des services français à l’égard de leurs homologues algériens est renforcée par l’absence de centralisation dans la prise de décisions en Algérie. De leur côté, les services algériens facilitent l’accès des mercenaires russes de Wagner au nord du Mali, une réponse implicite aux opérations françaises dans la région.


La montée des tensions (2022-2023)

Le 23 janvier 2023, le chef d’état-major algérien effectue une visite à Paris, la première en 17 ans. Ce déplacement, présenté comme une tentative de rapprochement, est la première en 17 ans d’un patron de l’armée algérienne. L’Algérie est sur le point d’augmenter son budget militaire de 130%, d’après l’avant-projet de loi de finances dont Mondafrique a une copie. Une façon de financer son ambition de rester un acteur de premier plan au Sahel, qui devrait être au coeur des discussions entre le général Chengriha et les Français Le budget du département de la Défense passera d’environ dix milliards de dollars, un niveau qu’il n’a pas dépassé depuis au moins huit ans, à 22,6 milliards de dollars, un montant jamais égalé depuis l’indépendance du pays et équivalent au budget de l’Etat tunisien, tout en étant le plus élevé d’Afrique.

Cette visite qui ne fera pas date malgré une rencontre entre le patron de l’armée algérienne et Emmanuel Macron ne provoquera aucun réchauffement de la relation bilatérlae, bien au contraire.

Un epu plus d’un an plus tar, la reconnaissance officielle par la France du plan marocain pour le Sahara occidental en juillet 2022 surprend Alger. Cette position est considérée comme une trahison par le régime algérien, qui voit en elle un alignement sur les intérêts marocains au détriment de ses propres revendications.

Ce n’est pas tout. Amira Bouraoui, militante algérienne, figure connue du Hirak (le mouvement populaire de contestation en Algérie), a été au centre d’un incident diplomatique majeur entre Paris et Alger en février 2022. Recherchée par les autorités algériennes pour ses critiques ouvertes du régime, elle se réfugie en Tunisie pour éviter une condamnation judiciaire en Algérie.

Alors que Bouraoui était sous le coup d’une interdiction de quitter le territoire tunisien, elle est exfiltrée vers la France par des réseaux diplomatiques français. L’opération, orchestrée de manière discrète, est perçue par Alger comme une violation flagrante de sa souveraineté et une ingérence dans ses affaires internes.

  • L’Algérie réagit violemment à cet incident, accusant la France d’avoir organisé cette fuite et de protéger une personne considérée comme « hostile à l’État algérien ».
  • En représailles, Alger rappelle son ambassadeur à Paris, marquant une nouvelle escalade dans les tensions bilatérales.
  • Du côté français, la décision est justifiée comme une mesure humanitaire, mais elle met en lumière les désaccords profonds sur les questions de droits de l’Homme et de souveraineté.

Le soutien à des groupes dissidents

L’Algérie accuse régulièrement la France de soutenir ou d’héberger des opposants politiques et des groupes dissidents, notamment des militants berbéristes et des figures du Hirak. Ces accusations s’inscrivent dans un contexte où le régime algérien perçoit toute opposition organisée à l’étranger comme une menace existentielle. La France, en tant que destination privilégiée de nombreux exilés politiques algériens, est souvent pointée du doigt pour offrir une tribune à ces opposants.

Les rassemblements hebdomadaires, place de la République à Paris ou ailleurs, les scores de participation de la disapora aux différents scrutins inférieurs à 10%, voire moins, ou encore l’audience auprès d’une fraction de l’émigration kabyle du mouvement du MAK (indépendantiste) témoignent d’un malaise général des Algériens émigrés qui ont majoritairement basculé dans l’opposition. Les vagues projets à l’époque du ministre des Affaires étrangères de Bouteflika de créer une banque de l’émigration pour restaurer un lien de confiance entre la communauté algérienne et Alger, sont totalement décalés. 

La surprise pendant la mobilisation populaire du Hirak après 2018, la voici: les services algériens changent désormais de braquet et menacent de mort certains opposants réfugiés à l’étranger particulièrement populaires sur les réseaux sociaux. Leur choix porte de préférence sur les stars islamistes du Net. L’espoir du pouvoir algérien aura été de convaincre ses interlocuteurs occidentaux, notamment à Paris, qu’il reste le seul rempart contre le péril intégriste. Cette position avait particulièrement bien fonctionné durant les années noires entre 1992 et 1998 où la répression violente des militaires algériens contre le Front Islamique de Salut (FIS) n’a guère provoqué de réactions de la part des gouvernements français et européens.

La crise ouverte (décembre 2023)

Le 7 décembre, deux chaînes publiques algériennes ont diffusé un documentaire qui accuse directement les services extérieurs français d’ingérences en Algérie. Ce documentaire présente un récit structuré autour de plusieurs accusations, dont une particulièrement grave : celle d’une tentative de recrutement de jihadistes par les services français pour déstabiliser l’Algérie. Les chaînes algériennes affirment que les services de renseignement français auraient orchestré des actions visant à interférer dans les affaires intérieures algériennes. Cette ingérence prendrait la forme d’opérations clandestines destinées à affaiblir la stabilité politique et sociale du pays.

Selon le documentaire, les services français auraient tenté de recruter des individus à tendance extrémiste, notamment des jihadistes, pour inciter des troubles en Algérie. Cette allégation suggère que la France chercherait à utiliser des réseaux clandestins pour provoquer une situation de crise dans le pays. Les auteurs du documentaire présentent ces actions comme faisant partie d’une stratégie globale visant à affaiblir les institutions algériennes, notamment dans le contexte de tensions diplomatiques persistantes entre Alger et Paris.

Ces accusations pourraient renforcer le discours officiel du gouvernement algérien visant à unir la population autour de la lutte contre les « ingérences étrangères ». Cela peut aussi servir à légitimer des actions internes, notamment contre des opposants politiques ou des groupes accusés de collusion avec des puissances étrangères.  Paris pourrait nier ces accusations et appeler au dialogue diplomatique pour désamorcer les tensions. La France pourrait également considérer ces allégations comme une tentative de détourner l’attention de problèmes internes en Algérie.

Si ces accusations étaient prises au sérieux, elles pourraient avoir des répercussions sur la coopération régionale dans la lutte contre le terrorisme et la stabilité en Afrique du Nord. Elles risquent aussi de compliquer davantage les efforts de médiation et de rapprochement entre Alger et Paris.

Cette situation illustre les tensions latentes entre les deux pays, enracinées dans une histoire coloniale complexe et dans des divergences actuelles sur des questions stratégiques.


Les implications stratégiques

Le poste d’ambassadeur à Alger est stratégique pour la politique extérieure française, notamment en Afrique du Nord. Plusieurs ambassadeurs, comme Bernard Bajolet et Xavier Driencourt, ont été directement impliqués dans les relations sécuritaires bilatérales. Cependant, leur passage est souvent marqué par des tensions, reflétées dans des écrits critiques, comme ceux de Driencourt.

Le pouvoir algérien, conscient de la fracture entre les dirigeants et le peuple, utilise des campagnes médiatiques pour mobiliser le nationalisme. Le documentaire diffusé en décembre 2023 vise à renforcer l’unité nationale tout en détournant l’attention des difficultés internes, comme l’émigration croissante des jeunes.


Un avenir incertain

La crise entre Alger et Paris reflète des divergences profondes sur des questions stratégiques, mémorielles et sécuritaires. Si des tentatives de rapprochement existent, elles sont systématiquement compromises par des tensions historiques et des rivalités d’intérêt. L’avenir des relations bilatérales reste conditionné à une volonté mutuelle de dépasser ces conflits latents.


Ce développement offre une perspective claire et détaillée des différents aspects et étapes de la crise. Souhaitez-vous approfondir un point spécifique ou ajouter des éléments ?

 
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