Le 31 mars prochain, les électeurs turcs se rendent aux urnes pour les élections municipales – moins d’un an après un double scrutin présidentiel et législatif de mai 2023, qui a reconduit le président turc Recep Tayyip Erdogan à la tête de l’État turc, mais aussi donné une majorité à son parti et ses alliés à l’Assemblée nationale.
Dans une étude récente, l’Institut français des relations internationales (IFRI) a choisi d’évoquer l’implantation de l’AKP et de l’islamisme politique turc dans une ville qui a massivement voté pour le président Erdogan aux dernières élections : Konya, dans le centre de l’Anatolie. Dans son étude, l’IFRI indique que cette ville, « longtemps marginalisée dans un espace provincial peu connecté aux centres du pouvoir » et réputée pour son patrimoine religieux et historique, est devenue, avec l’AKP, un « tigre anatolien ».
Voici un décryptage de ce papier très instructif
Le mercredi 27 mars, le programme Turquie/Moyen-Orient de l’Institut français des relations internationales (IFRI) a rendu public une étude réalisée – avant et après les élections de mai 2023 – dans la province centre-anatolienne de Konya. Celle-ci est la plus vaste et l’une des plus peuplées de Turquie, avec 2,3 millions d’habitants. Une province où, précise l’IFRI, le président turc Recep Tayyip Erdogan a réalisé « l’un de ses meilleurs scores » au second tour du scrutin présidentiel (73% des voix) le 28 mai 2023.
Pour l’institut, ce résultat « témoigne du soutien massif de la population locale au gouvernement et au Parti de la justice et du développement (AKP, parti du président Erdogan, NDLR)« , alors que le chef de l’État turc « se retrouvait pour la première fois mis en ballottage au niveau national, sur fond de mauvaise gestion du terrible séisme de février 2023 et de crise économique rampante« . Par ailleurs, précise l’IFRI, à Konya, les sièges perdus par l’AKP lors des élections législatives sont revenus à son allié ultranationaliste du Parti d’action nationaliste (ou MHP).
Le poids de l’islam politique
Dans son étude, l’IFRI précise également que le poids de l’islam politique à Konya, « dans laquelle s’inscrit la performance de l’AKP de nos jours, n’est pas nouveau« . Il rappelle ainsi que le fondateur de l’islamisme turc – qui se trouve être le mentor du président Erdogan mais aussi le premier des Premiers ministres islamistes qu’a connus la Turquie (1996-1997) – Necmettin Erbakan, « a été élu député de Konya dès 1969, et la mairie métropolitaine de la ville est restée depuis 1989 aux mains du parti islamiste dominant » (le parti Refah, puis le parti Fazilet, et enfin l’AKP depuis 2002).
Pour l’IFRI, ce succès politique s’explique par « la sociologie de la ville connue pour être l’une des plus conservatrices de Turquie, mais aussi par l’alliance au niveau local entre des entrepreneurs efficaces (les « tigres anatoliens ») et les formations politiques islamistes : ces dernières recrutent parmi les dirigeants de petites et moyennes entreprises (PME) et, une fois parvenues au pouvoir, servent leurs affaires en retour grâce aux ressources conférées par l’institution municipale. Les équipes municipales mobilisent par ailleurs les politiques sociales au profit de réseaux clientélistes pour assurer leur maintien au pouvoir.«
On peut également lire que « le niveau local constitue un marchepied vers des positions institutionnelles nationales pour les partis islamistes, notamment par l’acquisition d’une légitimité gestionnaire et la formation d’un personnel professionnalisé. Ces schémas d’entraide sont la condition d’une métamorphose économique et sociale qui garantit l’ampleur et la solidité de l’ancrage de l’AKP« . Et au contact du parti, la ville est devenue, selon l’IFRI, un « tigre anatolien ».
« Une vitrine de la modernité paradoxale »
L’Institut indique en outre dans son étude que la ville de Konya, en tissant des « liens privilégiés » avec l’AKP, a bénéficié de « politiques de développement territorial qui ont hâté son désenclavement » jusqu’à en faire aujourd’hui « une vitrine de la modernité paradoxale de la nouvelle Turquie« , à travers notamment « son identité anatolienne, sa géographie centrale, la variété des circulations humaines ou encore l’ouverture vers des marchés de plus en plus lointains« , comme, par exemple, l’Afrique.
« Grenier céréalier de la Turquie (…) Konya est longtemps restée à l’écart du développement de l’ouest du pays, véritable cœur battant de l’empire depuis le temps des Ottomans« , rappelle l’IFRI. « Elle est devenue un centre industriel important à partir des années 1990 grâce à l’exode rural et au succès local et national d’une alliance informelle entre entrepreneurs exportateurs pieux (les fameux « tigres anatoliens ») et entrepreneurs politiques islamistes (ceux de l’AKP depuis 2002). »
« L’évolution de Konya depuis cette époque en fait un parfait exemple du modèle de développement local et d’extraversion progressive de l’AKP par synthèse entre volonté de modernisation de la ville tout en préservant son caractère conservateur« , évoque l’Institut dans son étude, décrivant Konya comme « une ville connectée aux centres du pouvoir turcs (…) mais aussi au reste du monde« .