Madagascar, la fraternisation des militaires et des gendarmes avec la « génération Z »

Depuis le début de la crise malgache, les militaires, les gendarmes et les policiers s’étaient rangés aux cotés du président Rajoelina. Les hommes du CAPSAT, chargés notamment des munitions, se sont déclarés les premiers en faveur des manifestants en provoquant un tournant décisif au sein de la majotité des forces sécuritaires qui devrait aboutir à la fin du régime. Le général tout juste nommé dans la précipitation Premier ministre pour souder l’armée autour du pouvoir a pris la fuite en avion privé après avoir vu se refuser l’accès de la Réunion..

Michel Galy

Les militaires des services administratifs et techniques (CAPSAT) 

MICHAËL RANDRIANIRINA, patron du CAPSAT

Les événements se sont accélérés ce samedi 11 octobre à Madagascar. Après l’insurrection soudaine de la «  génération Z » il y a 15 jours et sa répression brutale (24 morts selon les Nations unies), le président Andry Rajoelina s’est rapproché de l’armée en nommant le 6 octobre un proche, le général Zafisambo comme nouveau premier ministre.

Comme dans un remake de prises de pouvoir récurrentes  à Madagascar, les militaires du Capsat (corps d’armée des personnels et des services administratifs et techniques, contrôlant notamment les munitions ) se sont insurgés samedi dans une vidéo choc diffusée sur les réseaux sociaux contre la répression, et ont invité les autres armes  à se rallier.

On a lors assisté en fin d’après midi à des scènes de liesse et de fraternisation avec les civils, tandis que les blindés du Capsat fonçaient avec la foule vers le centre ville , notamment vers Ambotsatova, devenu l’épicentre de la contestation politique.

Le gouvernement intérimaire et les responsables politiques, dont le Premier ministre qui a fui à l’Ile Maurice,  sont aux abonnés absent, et le président Rajoalina aurait quitté la capitale , peut-être en direction de Majunga où des activités aériennes ont été observées, en vue d’une éventuelle exfiltration. Selon une autre version de dimanche , le président Rajoelina serait encore dans un lieu sécurisé de la capitale en espérant reprendre les commandes.

La culture du coup d’État

L’ ironie de la situation ,encore floue et instable , est que Rajoelina, ancien DJ et maire de la capitale est arrivé au pouvoir par une insurrection similaire en 2009 , renversant son rival, le président Ravalomnana.

Madagascar, « Mamy » Ravatomanga, milliardaire, vice Roi et cible des manifestants

S’appuyant sur un clan et des hommes d’affaires aussi puissants que contestés, tel le milliardaire « Mamy » Ravatomanga, Rajoelina s’est maintenu au pouvoir à coup d ‘élections truquées et de distribution de prébendes. Malgré l ‘acquisition discrète de la nationalité française en 2014 ( ce qui légalement le rendit inéligible), Andry Rajoelina est tenu en piètre estime par la diplomatie française, ce que vient de révéler Mondafrique dns une note confidentielle.

Les images de la vidéo des officiers du Capsat à Antananrivo en rappellent d’autres. Il ne s’agit pas pourtant pas d’un putsch devenu classique comme dans les trois pays du Sahel, mais d’un processus en cours rappelant la victoire récente de la «  Génération Z «  au Népal en empruntant aussi des formes typiquement malgaches de la contestation et de la chute des régimes successifs.

Révolutions populaires et directoires militaires.

Depuis 1972, Madagascar, un des pays les plus pauvres de la planète, connaît des crises successives , marquées par des pillages et des violences sporadiques, une corruption rampante, et l’exclusion constante des plus déshérités, notamment en Imerina, sur les Hautes terres,  les descendants d’ « Andevo »( anciens esclaves d’une société encore castée), sujet tabou s’il en est.
Effectivement la révolution populaire de 1972 renversa un pouvoir très inféodé à Paris , si ce n’est ouvertement néo colonial, de Philibert Tsitsiranana, premier président malgache après l’indépendance formelle de 1960.

Sa chute, en 1972 entraîna paradoxalement la prise de pouvoir par un directoire militaire, du général Ramanantsoa au colonel  Ratsimandrava dont la très brève présidence( six jours) s’acheva par son assassinat en février 1975.

Du très long règne chaotique du capitaine de frégate – puis amiral Didier Ratsiraka(1975 1993 puis 1997 2002), de la prise de pouvoir de Marc Ravalomanana ( 2002 2009) à celle du jeune putschiste Andry Rajoelina  en 2009, on retiendra le véritable tabou pour la culture malgache des  assassinats d’opposants, qui provoquèrent irrémédiablement leur chute. Les 24 victimes civils de la récente insurrection, et hier le premier soldat du Capsat  tombé pour défendre la population  devraient marquer la fin plus ou moins proche du régime Rajoelina.

Partie d’une révolte du petit peuple à propos des coupures de l’eau et de l’électricité, le mouvement s’est radicalisé, comme ailleurs , par l’activité de très jeunes militants de la « Gen Z 261 » sur le serveur Discord- avant de passer dans le réel des manifestations des rues et de l’interposition de l’armée.

Il y a un modèle ancien des mouvements cycliques des «rotaka » (émeutes violentes ) à Madagascar, marquée par des pillages de commerces , notamment de la minorité karane, d’incendies et d’anomie -où les déshérités se revanchent par la violence. Rien de tel dans le « modèle népalais » et asiatique, où l’armée désignerait un civil de consensus pour une brève transition avant des élections libres. Personne ne peut dire encore quel  modèle politique va l’emporter.