La formidable opération de communication des Iraniens à Washington

L’administration Obama a-t-elle été « infiltrée » par des agents iraniens dans le but de masquer ou réduire l’importance des activités nucléaires de l’Iran ? Un volume important de courriels qui ont fuité du ministère iranien des affaires étrangères selon « Iran International », une chaine de télévision en langue persane basée à Londres, montre que les « influenceurs » iraniens sont allés jusqu’à infiltrer l’équipe de négociation américaine.

Une femme portant un foulard et un masque tient une affiche représentant Ebrahim Raisi, lors d’un meeting de campagne électorale, à Téhéran, le 14 juin 2021.

Au printemps 2014, de hauts responsables du ministère iranien des Affaires étrangères ont mis en place un dispositif d’influence discret à Washington, au cœur de la capitale américaine. Il s’agissait pour eux de corriger la détestable image antisémite et fanatique créée par le précédent président de la république iranienne, Mahmoud Ahmadinejad, et de positiver – autant que possible -, le nouveau président Hassan Rouhani et ses positions sur le programme nucléaire clandestin.

Plusieurs milliers de courriels divulgués

L’existence de cette opération d’influence a pu être établie sur la base de plusieurs milliers de courriels qui ont fuité du ministère des affaires étrangères iranien et qui ont atterri entre les mains d’Iran International, une chaine de télévision en langue persane basée à Londres. Iran International a ensuite partagé ces documents avec Sémafor, une lettre d’information américaine spécialisée sur la politique américaine, qui  a publié une longue analyse de ces documents dont les principaux éléments sont reproduits ci-dessous.

Cette opération d’influence consistait à mobiliser autant d’universitaires, de chercheurs et d’intellectuels susceptibles d’inonder en continu les médias et les publications spécialisées américaines de tribunes  qui minimisaient le risque nucléaire iranien. Ce réseau d’universitaires et de chercheurs étrangers influents a pris le nom d’Initiative des Experts Iraniens (IEI).

Les responsables d’IEI ont travaillé sous la direction du président « modéré » Hassan Rouhani qui s’est félicité de la réussite de cette initiative. Réussite notable en effet, puisque trois personnes membres du réseau IEI ont intégré l’équipe de Robert Malley, l’envoyé spécial de l’administration Biden pour l’Iran.

Robert Malley (Crisis Group) écarté

Rappelons que Robert Malley a récemment été démis de ses fonctions au sein de l’administration Biden pour « mauvaise gestion » de l’information confidentielle qui lui était communiquée. Le FBI lui reproche en réalité d’avoir communiqué à Téhéran de nombreux documents confidentiels.

Ce soupçon de trahison a amené à la suspension de son habilitation de sécurité.

Les mails qui ont fuité du ministère des affaires étrangères iranien révèlent donc que les diplomates du président iranien Rouhani ont pénétré les cercles décisionnaires de Washington sous la présidence de Barack Obama. Ils montrent aussi que « les participants à l’IEI étaient des influenceurs prolifiques d’articles et d’analyses, et qu’ils sont intervenaient aussi bien à la télévision que sur Twitter pour vanter régulièrement la nécessité d’un compromis avec Téhéran sur la question nucléaire – une position conforme à celle des administrations Obama et Rohani de l’époque ».

Le projet IEI est ainsi progressivement monté en puissance tout au long de 2014. Au point que le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif s’est montré dépité qu’il n’existe pas de personnalité flamboyante – un peu comme Robert Einhorn, diplomate de l’administration Obama et expert en prolifération nucléaire – capable d’incarner avec brio les positions iraniennes sur la scène internationale.

International Crisis Group mis en cause

Malgré cette absence de de figure de référence, l’IEI a multiplié les articles d’opinion et les analyses dans des médias de premier plan aux États-Unis et en Europe, ciblant spécifiquement les décideurs politiques.  Certains membres de l’IEI, comme Ali Vaez de l’International Crisis Group, un protégé du patron de cet ONG,  Robert Malley, faisait d’abord valider ses articles par Téhéran avant de les proposer à des publications américaines. « J’attends avec impatience vos commentaires et réactions », a-t-il écrit en farsi à son correspondant iranien, le 4 juin 2014, en joignant un article intitulé « Les périls conceptuels de la diplomatie nucléaire avec l’Iran ». Les courriels montrent que l’article a été vérifié par Mohamed Javad Zarif lui-même, puis publié 12 jours plus tard dans le National Interest, sous le titre « Faux dilemmes dans les pourparlers sur l’Iran ». 

Le cas d’Ariane Tabatabai est particulièrement significatif. Cette jeune chercheuse d’origine iranienne a occupé une fonction centrale dans l’IEI, puis sans doute grâce à Robert Malley, elle a occupé des fonctions tres sensibles au Pentagone en tant que chef d’état-major du secrétaire adjoint à la Défense pour les opérations spéciales, un poste qui nécessite une habilitation de sécurité du gouvernement américain. Ariane Tabatabai a également occupé un poste de diplomate au sein de l’équipe de négociation sur le nucléaire iranien aux côtés de Robert Malley après l’entrée en fonction de l’administration Biden en 2021.

Humaniser l’image des Mollahs

L’IEI pourrait en réalité avoir servi à accréditer l’idée que le président Rouhani représentait l’ouverture politique iranienne et une volonté d’intégration de la République islamique dans l’économie mondiale. En d’autres termes, Rouhani aurait été un leurre mis en place par les durs du régime pour dissimuler le fait que le vrai pouvoir demeurait chez les durs du régime, notamment les le Corps des Gardiens de la révolution.

L’élection en 2021 du président iranien Ebrahim Raïssi a marqué la fin de cette période de leurre. Avc Raissi, les durs ont pris le pouvoir en personne et pourraient même avoir liquidé Robert Malley et plusieurs membres de l’IEI, les accusant dans les médias d’État de chercher à inciter à des troubles raciaux et ethniques en Iran. Semafor postule que Robert Malley a été victime des luttes de pouvoir au sein du régime iranien. Le Tehran Times, un média anglophone associé au bureau de Raïssi, s’est réjoui de la suspension de Malley : « Les interactions suspectes de Malley avec ses collaborateurs d’origine iranienne ont contribué à sa chute », a écrit le Tehran Times le mois dernier. 

Le Département d’État a refusé de commenter les raisons de la suspension de Robert Malley. Le FBI enquête également sur Malley, suggérant que les actions du diplomate pourraient être plus graves qu’une simple mauvaise gestion d’informations classifiées.

Aucun des membres de l’IEI n’a accepté de répondre aux questions de Semafor.