Imaginez un désert, troué comme un gruyère. Avec au fond des puits, parfois profond de dizaines de mètres, des hommes grattant la roche à l’aide d’outils rudimentaires. Chami, capitale mauritanienne du métal précieux, mais aussi des émanations de mercure, des dépôts d’ordures, des prostituées, et des maladies sexuellement transmissibles.
Ian Hamel, envoyé spécial en Mauritanie.

Il y a d’abord la mine à ciel ouvert de Tasiast, à 70 kilomètres de Chami, exploitée depuis 2007 par le groupe canadien Kinross Gold Corporation. On n’y entre pas, et la production se chiffre en centaines de milliers d’onces (1). Et puis, pas très loin dans le désert, des milliers de petites mains s’épuisent sous un soleil de plomb. Au tout début, Mauritaniens, Maliens, Sénégalais, Tchadiens, et même Soudanais, se sont parfois mis à plusieurs pour acquérir un détecteur de métaux, tant l’or affleurait à la surface.
En 2016, Mohammed était commerçant quand il a été pris par la fièvre des pépites. Il n’y connaissait rien. Il a eu beaucoup de chance. A présent, ils sont quelques dizaines d’orpailleurs à travailler pour lui. Les uns creusent le sable du désert, de plus en plus profondément, les suivants transportent les sacs de terre d’une cinquantaine de kilos, les autres concassent des tonnes de roches, jusqu’à ce qu’elle devienne une pâte grisâtre. Puis c’est la batée. Une opération délicate : le métal précieux va s’agglomérer au mercure pour former une “bille“. Celle-ci est brûlée pour récupérer l’or. Quant aux émanations de mercure à l’air libre, elles peuvent provoquer des nausées et des maux de tête. Quant à la contamination de la nappe phréatique, elle est passée sous silence.
35 tonnes annuelles d’or
A Chami, située à égale distance de Nouakchott, la capitale, et Nouadhibou, la deuxième ville du pays, au bord du “goudron“ (qui désigne les rares routes revêtues d’enrobé, à la différence des pistes), le bureau d’achat de la Banque centrale de Mauritanie tourne au ralenti. La plupart des orpailleurs préfèrent vendre leur or au marché noir. Malgré tout, Maaden Mauritanie, établissement public à caractère industriel et commercial, créé en 2020 pour encadrer les mines traditionnelles et semi-industrielles, tente de proposer des estimations crédibles.
La production totale d’or dépasserait les 35 tonnes annuelles, dont 5 à 6 tonnes extraites presque à mains nues, du moins à coups de pelles et de pioches. De quoi faire vivre plus de 50 000 orpailleurs dans tout le pays. Sans compter les restaurateurs, les électriciens, les plombiers, les magasins de réparation de voitures et de pneumatiques. L’administration mauritanienne a suivi le développement de cette ville-champignon en créant un site d’artillerie de la gendarmerie et une unité de confection de tenues militaires. Sortie du désert en quelques années, Chami compte aujourd’hui plus de 15 000 habitants.
« Il y a toujours des bagarres »
Les pierres sont concassées jusqu’à devenir un pâte grisâtre.
« Le gros problème de l’exploitation aurifère, c’est la pollution par le mercure. C’est d’autant plus dangereux que Chami est située à proximité du Parc national du Banc d’Arguin, une réserve naturelle classée au patrimoine mondial de l’humanité. Sans oublier une gestion désastreuse des déchets.
Des milliers de tonnes de plastique jonchent le désert », déplore Moussa Ould Hamed, ancien directeur de publication du journal francophone Le Calame. « Cette ruée vers le métal précieux a provoqué une explosion de la prostitution et du sida », ajoute-t-il. Dans le désert, les passes se négocieraient autour de 500 ouguiyas, soit à peine plus de dix euros… Le Malien Amadou, qui partage un bout de tente avec trois autres compatriotes, est content de sa journée. « Aujourd’hui on a trouvé, et on oublie la fatigue. Si je ne trouve rien, comment ma famille va manger ? », interroge-t-il. Toutefois, il renonce à nous amener jusqu’à son puits. « Si j’y vais avec vous, les autres sauront que j’ai trouvé, et ce n’est pas bon. A Chami, tu ne peux faire confiance à personne. Il y a toujours des problèmes, des bagarres », ajoute l’orpailleur, débarqué à Chami en 2023.
De l’or aux groupes armés
En 2021, Le Monde écrivait que l’or, vendu dans des circuits parallèles, pouvait alimenter « divers trafics d’armes, de drogue, pour finir à Dakar, Bamako ou Dubaï » (2). L’ouvrage « Victoire dans les dunes », écrit par un colonel français et un colonel mauritanien, paru en 2024, rappelle que les pays du G5 Sahel ont laissé des zones d’orpaillage se constituer de manière anarchique « ont pu rapidement en mesurer les dégâts en termes de délinquance puis de trafics et enfin de refuge ou de soutien au profit de groupes armés ». La Mauritanie a pris des précautions en installant à Chami des forces de sécurité ce qui lui permet de garder le contrôle de cette région, « malgré la fièvre de l’or et l’orpaillage illégal » (3).Thiam Tidjani, ministre des Mines et de l’Industrie, reconnaît que lorsque l’orpaillage artisanal est apparu en 2016 de façon anarchique, « sans que les autorités aient une expérience préalable dans la gestion de ce type d’activités ».
Mais depuis l’État a réfléchi à la création d’un cadre institutionnel et juridique, notamment avec la création de la société Maaden en 2020. Celle-ci attribue des “corridors“, certains destinés à l’orpaillage artisanale, d’autres à l’exploitation semi-industrielle, couvrant une superficie de 36 388 km2, soit presque la superficie de la Suisse (4). Pour Amadou, les autorités mauritaniennes tentent effectivement de limiter la pagaille : « Avant, quelqu’un, qui avait des relations, pouvait venir et te dire que le terrain lui appartenait et qu’il prenait ton puits. A présent, c’est mieux organisé », reconnaît-il, ajoutant que de tout façon, « Tout dépend de Dieu. C’est Dieu qui connaît ».
- le poids d’une once d’or équivaut à 31,104 grammes.
- Pierre Lepidi, « En Mauritanie, Chami saisie par la fièvre de l’or », 12 février 2021.
- Colonel Mokhtar Ould Boye, colonel Charles Michel, L’Harmattan, 204 pages.
- « Ministre des Mines : la pratique “orpaillage artisanal“ en Mauritanie a connu des mutations et le secteur doit s’adapter en conséquence », Agence Mauritanienne d’Information, 9 avril 2025.